Fil d'Ariane
Reportage - A quelques 250 kilomètres de Kramatorsk, dont la gare a été visée par deux roquettes russes, vendredi 8 avril, un hôpital de Dnipro prend en charge certains survivants. Parmi eux, 19 enfants dont certains dans un état critique.
"Je vais te battre ! Je vais te battre pour la troisième fois !" . Sur le lit d’hôpital, Breslavets, entouré par sa grande sœur, Anna, et deux autres enfants, savoure joyeusement sa victoire à la bataille navale. Le jeune garçon de 12 ans s’est bien remis de ses blessures.
Trois jours plus tôt, avec sœur et mère, il patientait dans un wagon à la gare de Kramatorsk quand deux roquettes ont percuté les lieux, causant la mort de 52 personnes dont cinq enfants.
4.000 personnes s’y étaient massées selon le maire de la ville, Alexandre Goncharenko, poussées à fuir le Donbass, où les Russes ont annoncé vouloir focaliser leur offensive.
Quelques jours plus tôt, les autorités ukrainiennes enjoignaient les habitants de la région à plier bagages immédiatement.
"Si nous n’avions été sur le quai principal, nous serions morts", relate la maman, Anna, encore traumatisée. La quadragénaire, visage pâle, lunette vissée sur des yeux cernés, présente une petite plaie encore rouge vif sur le front.
Les séquelles psychologiques, elles, sont indélébiles.
Entre deux questions, elle marque des temps de silence, le regard vide. "Nous étions assis depuis dix minutes quand une première explosion est survenue, puis une autre." En sortant du wagon, ils croisent une femme en pleurs, agenouillée auprès de son mari, touché mais vivant ; "tous les autres étaient morts."
La tente érigée dans la station par des volontaires distribuant des vivres a été soufflée. Ses voisins, à ses côtés au moment de l’attaque, souffrent de lésions plus sévères. "Nous sommes allés à l’hôpital mais il n’y avait plus de places disponibles et plus assez de médecins. Certains blessés ont été envoyés dans d’autres villes environnantes."
Eux ont été transportés dans une clinique de Dnipro, la deuxième plus grande ville de l’Est, à 250 km plus à l’ouest.
Selon Victoria Kulik, cheffe du département de la santé de l’agglomération, 98 personnes y ont été transférées dans les heures suivant le bombardement, dont 19 enfants.
Au sous-sol du bâtiment, des palettes en bois et des sacs de sables entassés sur des chariots servent de barricades près des vitres. "Il s’agit d’éviter les débris de verre en cas d’explosion", renseigne Sergeï Evgonov, chef du service anesthésie.
Les enfants d’Anna se remettent dans la section réservée aux blessés légers.
Les patients sont plus nombreux en soins intensifs. Endormie sur un lit, une petite fille de 5 ans guérit d’une opération à la tête. A côté, un lit vide. Son occupant, un garçonnet du même âge, "est en train d’être opéré", indique M. Evgonov. Sa main a été arrachée.
Dans une salle attenante, une autre fille, visage tuméfié et branchée de toutes parts, est plongée dans le coma.
Sur le lit voisin, un garçon s’égosille de douleur alors qu’une infirmière change son pansement et qu’une deuxième tente, en vain, de le réconforter en lui montrant des vidéos sur un téléphone.
Plus loin, une fillette gémit péniblement, les larmes aux yeux. Durant son coma, les médecins ont dû procéder à une ablation du foie et de la rate. "Certains enfants vont être envoyés à Lviv dans les prochains jours, confirme le spécialiste. Des pays européens sont également prêts à les prendre en charge."
Jusqu’alors, Anna refusait de quitter Kramatorsk où "elle travaillait et gagnait de l’argent".
Certains de ses amis y résident toujours pour des raisons similaires. La fermeture des supermarchés et les distributeurs d’argent dysfonctionnels l’y ont encouragée.
Frôler la mort l’en a définitivement convaincue. Elle prévoit de prendre le chemin de l’ouest du pays, sans destination précise pour l’heure, mais "loin de la guerre. Rien de bon ne va arriver à l’Est."