Dans la nuit de jeudi à vendredi 4 mars, l’armée russe a attaqué et pris le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijjia. Un peu plus de 25 ans après la catastrophe de Tchernobyl, quel est le risque d’incident nucléaire en Ukraine avec l'invasion des forces russes ?
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L'Ukraine compte 15 réacteurs nucléaires. S'il y a une explosion, c'est la fin de tout", a déclaré le président ukrainien Volodymir Zelensky vendredi 4 mars, après la prise de la centrale nucléaire de Zaporijjia par l’armée russe. Il y a une semaine, jeudi 24 février, l'armée russe avait pris le contrôle du site de la centrale de Tchernobyl.
Dans la nuit de jeudi 3 à vendredi 4, les Russes ont bombardé les alentours de la centrale. Ils s’en sont emparés en mettant le feu à un bâtiment consacré aux formations et à un laboratoire. À 8 heures, vendredi matin, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) précisait “
qu’aucun des six réacteurs de la centrale n’avait été endommagé et qu’il n’y avait aucune fuite radioactive”. La centrale de Zaporijjia, d'une puissance de 6000 MW, est la plus importante du pays. Elle est aussi la première centrale nucléaire active conquise par les Russes. Une façon pour Vladimir Poutine de recourir à la "
terreur nucléaire" selon Volodymir Zelensky.
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Agiter la menace sans craindre d’escalade
Carole Grimaud Potter est chercheuse et fondatrice du Centre de recherche sur la Russie et l’Europe de l’Est. D’après elle, la prise d’une centrale nucléaire permet notamment aux Russes de faire peur. "P
lus ils font peur, plus ils sont puissants", déclare la chercheuse, pour laquelle la prise de la centrale est principalement "
une démonstration de force".
Les Russes ne comptent pas utiliser la centrale nucléaire comme une armeCarole Grimaud Potter, chercheuse et fondatrice du Centre de recherche sur la Russie et l’Europe de l’Est
Le Washington Post va plus loin dans un éditorial. Pour le quotidien américain, prendre le contrôle de centrales nucléaires est une façon pour Vladimir Poutine d’agiter la menace nucléaire "
sans vraiment craindre de représailles". "
Les puissances occidentales ne peuvent savoir si ces attaques de centrales nucléaires sont une stratégie délibérée ou un accident tactique sur le terrain, et ne serait-ce que pour cette raison, ils ne pourront pas répondre par l’escalade", explique le quotidien.
Pour le moment, la centrale de Zaporijjia fonctionne normalement. "
Certains réacteurs de la centrale étaient arrêtés pour maintenance. En ce moment, il y a donc un réacteur en marche, qui fonctionne comme d’habitude", développe Geneviève Baumont, responsable des expositions et de la vulgarisation au sein de l’Institut de radioprotection et de sûreté. La centrale respecte les normes de sécurité strictes imposées par l’AIEA. "
Il y a des protections contre les accidents qui sont importantes en cas de dommages à un réacteur", selon Mme Baumont. Celles-ci permettraient théoriquement au réacteur de pouvoir résister à la collision d’un avion ou à un tremblement de terre.
Reste que Vladimir Poutine a brandi la menace nucléaire récemment. Le 27 février, lors d’une conférence de presse télévisée, il avait ordonné la mise en alerte de la "
force de dissuasion". En 2014 déjà, lors de l'annexion de la Crimée par les Russes, il avait aussi brandi la menace en cas d’intervention occidentale. Toutefois, pour Carole Grimaud Potter, la prise de la centrale "
n’est pas au centre de la stratégie nucléaire russe : ils ne comptent pas utiliser la centrale nucléaire comme une arme", selon la chercheuse.
Des risques existent tout de même
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Il faut empêcher que l'Europe ne meure d'un désastre nucléaire", a déclaré vendredi 4 mars le président ukrainien Volodymir Zelensky qui a poursuivi, "
nous avons survécu à une nuit qui aurait pu mettre fin à l’Histoire, à l’histoire de l’Ukraine, à l’histoire de l’Europe". Toutefois, il est peu probable qu’une catastrophe aussi importante que celle de Tchernobyl en 1986 ait lieu à Zaporijjia.
Les deux centrales sont de types différents. Les réacteurs utilisés dans la centrale de Zaporijjia sont des réacteurs VVER, refroidis grâce à de l’eau pressurisée. À Tchernobyl, d’énormes bâtons d’uranium étaient refroidis par de l’eau et entourés de graphite, des réacteurs dits RBMK. "C’était d’ailleurs le graphite qui avait pris feu ", rappelle Mme Baumont. Selon elle, les réacteurs VVER sont plus sûrs car "il y a beaucoup plus d’eau que dans les réacteurs RBMK : cela retarde l’échéance à partir de laquelle le réacteur ne serait plus refroidi".
[En cas d'incident nucléaire], il n'y a plus que deux questions à se poser : d'où vient le vent et va-t-il pleuvoir ?Geneviève Baumont, responsable des expositions et de la vulgarisation à l'INRS
De plus, les normes de sécurité sont devenues bien plus strictes depuis les années 80. Selon Geneviève Baumont, même si le système de refroidissement ne fonctionnait plus, les produits contaminants resteraient dans le réacteur "si le bâtiment reste intact". Les produits radioactifs s'échappe dans l’environnement seulement s’il a été percé . Dès lors, il n’y aura "plus que deux questions à se poser", d’après Geneviève Baumont, "d’où vient le vent et va-t-il pleuvoir ?" Le vent, pour savoir dans quelle direction le nuage radioactif se dirigerait, et la pluie qui aiderait à le freiner.
Il existerait deux facteurs pouvant mener à une catastrophe, selon Najmedin Meshkati, professeur d’ingénierie et de relations internationales à l’université de Californie du Sud cité par
The Conversation. Le premier est l’erreur humaine. Petro Kotin, le patron d’Energoatom, l’entreprise publique qui gère les centrales nucléaires ukrainiennes, a confié à
CNN que les employés de Zaporijjia travaillaient désormais "
avec un pistolet sur la tempe". Deuxième facteur : une coupure d’électricité pourrait aussi être catastrophique. Sans électricité le système de refroidissement arrêterait de fonctionner. C’est ce qu’il s’était passé à Fukushima, au Japon, en 2011.
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Pourquoi prendre une centrale nucléaire ?
La centrale nucléaire de Zaporijjia produit 20% de l’électricité du pays. Autrement dit, la Russie contrôle un cinquième de l’électricité ukrainienne. "S’ils souhaitent plonger 20% du territoire dans le noir, ils peuvent le faire", insiste Carole Grimaud Potter.
Selon la chercheuse, les Russes auraient décidé de s’en prendre à la centrale de Zaporijjia aussi pour une raison symbolique. "C’est une manière de montrer qu’ils ont le contrôle de points stratégiques du pays, dans la continuité de la prise de Tchernobyl", selon Mme Grimaud Potter.
La prise de la centrale nucléaire de Zaporijjia permet surtout à Vladimir Poutine de continuer de faire peur. Selon Carole Grimaud Potter, cette attitude joue actuellement en sa défaveur. "Ce qui m’interpelle, c’est le nombre de civils européens qui répondent à l’appel de Volodymir Zelensky et vont se battre en Ukraine", déclare-t-elle. "La Russie ne s’attendait pas à faire face à une telle unité européenne ". Depuis le début de l'invasion russe il y a dix jours, les rassemblements se multiplient partout dans le monde en soutien à l'Ukraine.
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