Guerre en Ukraine : la Russie en défaut de paiement selon l'agence de notation Moody's

Dans un contexte où toutes les places financières s'interrogent sur un potentiel défaut de paiement de la Russie, l'agence de notation Moody's a estimé mardi 28 juin que tel était le cas. Selon elle, le pays ne parvient pas à régler le paiement des intérêts de sa dette.
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Moscou banque
La Russie devait payer 100 millions d'intérêts sur sa dette le 27 mai, une échéance assortie d'une période de grâce d'un mois qui expirait dimanche 26 juin. AP (2015).
 
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Moody's estime ainsi que la non-réception, au 27 juin, des intérêts de la dette russe par ses créanciers constitue un "défaut" de paiement pour la Russie. L'agence a publié un communiqué en ce sens dans la nuit de lundi 27 à mardi 28.

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"Le 27 juin, les détenteurs de la dette russe n'avaient pas reçu de paiement de coupon sur deux euro-obligations d'une valeur (totale) de 100 millions de dollars à l'expiration du délai de grâce de 30 jours calendaires, ce que nous considérons comme un cas de défaut selon notre définition", a-t-elle expliqué.

Cette estimation n'introduit pas un statut juridique de défaut de paiement pour la Russie. Les agences de notation n'ont en effet plus le droit de noter le pays depuis les sanctions internationales à l'encontre de Moscou.

Moscou récuse le défaut 

Le Kremlin a réagi mardi 28 dans la matinée et invité l'agence à "s'expliquer".

"En ce qui concerne Moody’s, ils ont il y a peu décidé de ne pas prendre en compte notre pays, ont refusé de noter notre pays. Cela veut-il dire que Moody’s a repris le processus de notation ?", a déclaré le porte-parole Dmitri Peskov.
 
La non-obtention de l'argent par les investisseurs n'est pas le résultat d'une absence de paiement, mais est causée par l'action de tierces parties, ce qui n'est pas directement considéré (...) comme un cas de défaut.Ministère des Finances russe
La Russie devait payer 100 millions d'intérêts sur sa dette le 27 mai, une échéance assortie d'une période de grâce d'un mois qui expirait dimanche 26 juin.

Le ministère russe des Finances assurait avoir versé l'argent en devises étrangères dès le 20 mai. Mais il a reconnu que l'argent n'était pas parvenu aux créanciers. Des intermédiaires bancaires ont bloqué les paiements du fait des sanctions prises contre Moscou par les pays occidentaux .

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Et certaines obligations européennes, émises avant 2018, "ne contiennent pas de clause" permettant à la Russie "de les rembourser en roubles", a souligné Moody's dans son communiqué.
 

"Action de tierces parties" 

Il revient désormais à un comité de créanciers, le Credit Derivatives Determinations Committee (CDDC), d'évaluer si oui ou non la Russie rate des paiements. Ce comité avait acté début juin le non-paiement par Moscou de 1,9 million de dollars d'intérêts de retard sur une échéance précédente.

Il prévoit de se réunir mercredi 29 en début d'après-midi pour délibérer sur l'échéance manquée du 27 juin.

C'est aussi lui qui décidera d'activer le cas échéant les CDS (Credit Default Swap), des produits financiers qui servent d'assurance contre les défauts de paiement sur une dette.

De son côté, le ministère des Finances russe a récusé toute idée de défaut de paiement. Moscou assure que "la non-obtention de l'argent par les investisseurs n'est pas le résultat d'une absence de paiement, mais est causée par l'action de tierces parties, ce qui n'est pas directement considéré (...) comme un cas de défaut".

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De fait, le pays a largement les moyens de rembourser les intérêts de sa dette extérieure, libellés en dollars ou en euros, selon les analystes financiers.

En 1998, la Russie avait décrété un moratoire unilatéral sur le paiement de sa dette étrangère après avoir dévalué le rouble, et renoncé à honorer ses échéances vis-à-vis des créanciers internationaux. Mais elle était parvenue à négocier un rééchelonnement de son remboursement avec ses principaux créanciers, parvenant ainsi à éviter d'être déclarée en défaut.

Le pays n'a donc pas fait défaut depuis 1918 lors de la révolution russe.
 
Pays en défaut de paiement : les précédents depuis 1982
 
Un pays est considéré comme en défaut de paiement quand il n'honore plus ses engagements financiers auprès de ses créanciers. Il peut s'agir d'autres États, des institutions financières comme le FMI ou des investisseurs privés sur les marchés obligataires.

Retour sur les défauts les plus emblématiques depuis 1982, qui entrainent souvent d'importantes crises économiques et sociales :

1982 : Mexique. Le 22 août, le Mexique fait brutalement défaut sur sa dette. Le président Jose Lopez Portillo avait dépensé sans compter les surplus générés par l'argent du pétrole et accumulé les déficits publics. Situation aggravée à partir de 1981 par le repli des cours du brut.

Le défaut mexicain entraine une brutale raréfaction internationale du crédit et provoque une crise de la dette dans d'autres pays en développement. Les États-Unis accordent au Mexique des prêts relais de plusieurs milliards de dollars. Le Fonds monétaire international (FMI) apporte une aide en échange de réformes drastiques.

2001 : Argentine. En récession depuis 1999, l'Argentine enchaîne les plans d'austérité et ne contrôle plus sa dette extérieure. Début décembre 2001, le gouvernement plafonne les retraits en liquide dans les banques. Des émeutes sont sévèrement réprimées (33 morts). Le président Fernando de la Rua démissionne.

Le 23, l'Argentine décrète un moratoire sur la dette nationale, entraînant un défaut de paiement d'environ 100 milliards de dollars auprès de créanciers privés. Ce défaut s'accompagnera d'une profonde crise économique, politique et sociale dans le pays.

2015 : Grèce. Fin juin et mi-juillet, alors qu'elle est engluée dans la récession et soumise à une austérité stricte depuis 2010, la Grèce fait défaut, en n'honorant pas deux remboursements au FMI pour un total de deux milliards d'euros. Un prêt d'urgence des Européens permet à Athènes de pouvoir à nouveau prétendre à l'aide du FMI.

En août, un accord entre la Grèce, dont la dette frôle les 180% du PIB, et ses créanciers sur un troisième plan d'aide de 86 milliards d'euros sur trois ans éloigne le risque d'un défaut. La crise de la dette publique grecque a provoqué une intense crise sociale dans le pays et tendu comme jamais les relations avec l'Union européenne.

2017 : Venezuela. Plongé depuis 2013 dans une profonde crise économique, politique et sociale, accentuée par un recul des cours pétroliers, dont le pays est très dépendant, le Venezuela est déclaré à la mi-novembre 2017 en défaut partiel.

Cette annonce ravive les inquiétudes sur les capacités du pays à continuer de rembourser sa dette extérieure. Elle est d'environ 150 milliards de dollars et les sanctions américaines accentuent ses difficultés économiques. L'allié russe vient épauler Caracas. Moscou accorde le 15 novembre la restructuration d'un crédit de 3,15 milliards de dollars.

Le 2 janvier 2018, le Venezuela est de nouveau déclaré en défaut de paiement partiel.

2020 : Liban. Englué dans la crise, le Liban annonce le 7 mars être pour la première fois de son histoire en défaut de paiement, sur une tranche de 1,2 milliard de dollars. Sa dette totale s'élève à 92 milliards de dollars (170% du PIB).

Beyrouth demande une aide du FMI, mais les négociations s'enlisent. En avril 2022, le FMI annonce un accord de principe pour un plan d'aide de trois milliards de dollars, sous réserve de mise en œuvre de réformes.

Mai 2020: Argentine. Le pays négocie une restructuration de sa dette, connaît le neuvième défaut de son histoire. En mars 2022, Buenos Aires scelle avec le FMI un accord sur le refinancement de sa dette.

2022 : Sri Lanka. Plongé dans la pire crise économique de son histoire, le Sri Lanka annonce le 12 avril faire défaut sur l'ensemble de sa dette extérieure, soit 51 milliards de dollars. Le pays a engagé, depuis, des négociations avec le FMI.