Fil d'Ariane
Un mécanicien répare un moteur pendant qu'il teste un véhicule blindé de transport de troupes MT-LB réparé, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 24 octobre 2023.
Depuis l’offensive menée par le Hamas sur Israël et sa riposte, le conflit entre l’Ukraine et la Russie a été éclipsé. Pourtant, la bataille se poursuit sur ce front. Une guerre de position se met en place.
Le 7 octobre, le Hamas attaque Israël et entraîne la réaction immédiate de l'armée israélienne sur la Bande de Gaza. Les regards de la communauté internationale se tournent alors vers le Moyen-Orient. De ce fait, la guerre en Ukraine, en cours depuis février 2022 est reléguée au second plan. Le conflit n’a pas cessé pour autant. Si l’Ukraine a lancé au début du mois de juin une contre-offensive d’ampleur, celle-ci n’a abouti qu’à des gains très limités.
Depuis plusieurs semaines, c'est l'armée russe qui est repassée à l'offensive autour de la place-forte d'Avdiïvka dans l'Est et près de la ville de Koupiansk, dans le Nord-Est, là encore sans réaliser de gains significatifs. Ces offensives de part et d'autre ont mené à de lourdes pertes en hommes et matériel, que Kiev comme Moscou se refusent à chiffrer.
“Sur les 100 000 km2 que la contre-offensive ukrainienne souhaitait conquérir, elle en a conquis moins de 300, pour un nombre de victimes important et pour une hécatombe de matériel terrestre”, résume le général Vincent Desportes, co-auteur de “Visez le sommet. Pour réussir, devenez stratège”, paru en 2022 aux éditions Denoël. “On est exactement dans la situation de la France en 1915, poursuit-il. En 1915, on a fini la guerre de mouvement et on va rester jusqu’à début 1918 sur des guerres de position avec cette fois-ci pas 200, mais 2200 morts par jour.” Le général Vincent Desportes estime que la situation n’évoluera pas avant la fin de l’hiver, en avril, mais “il est très fort probable qu’elle ne change pas non plus à ce moment-là.”
De son côté, le général et consultant politique François Chauvancy reconnaît “qu'avec le conflit en cours au Moyen-Orient, on a un centre d’intérêt différent.” Cela concerne différents aspects du conflit et notamment les promesses de livraisons d’armes de la part des pays occidentaux à l’Ukraine. “On le voit avec le vote du projet de budget américain actuellement en discussion, explique-t-il. Les Républicains ne veulent pas donner autant à l’Ukraine si Israël ne reçoit pas plus.” En effet, les États-Unis sont le fournisseur le plus important d'aide militaire à l'Ukraine. Depuis l’invasion russe, le pays a engagé des dizaines de milliards de dollars.
Le 31 octobre, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken affirme devant une commission au Sénat que Vladimir Poutine “cherche vraiment à tirer profit de l'attaque du Hamas contre Israël dans l'espoir qu'elle nous distraira (...) et qu'elle amènera les États-Unis à retirer leurs ressources.”
Pendant la même audition, consacrée à l'aide à l'Ukraine et à Israël, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin déclare que Vladimir Poutine réussirait sa tentative de conquérir le territoire ukrainien par la force si les États-Unis cessent de soutenir Kiev. "Je peux vous garantir que sans notre soutien, Poutine sera victorieux", dit-il. "Si on leur coupe l'herbe sous le pied maintenant, Poutine n'en deviendra que plus fort et il réussira à faire ce qu'il veut : prendre possession du territoire souverain de son voisin", ajoute-t-il.
Par ailleurs, le général Vincent Desportes énumère plusieurs raisons qui ont mené à l’échec de la contre-offensive ukrainienne. Tout d’abord, “avant le déclenchement de cette attaque, c’est-à-dire en avril ou mai 2023, le président Zelensky avait dit que sans aide de l’aviation, la contre-offensive n’aurait pas pu être lancée”. Cependant, deux mois plus tard, la contre-offensive est lancée sans l’appui aérien nécessaire.
Ensuite, il considère que “fiers de leur courage et de leur défense, les Ukrainiens se sont dit qu’ils allaient balayer les Russes”, sauf que cela ne s’est pas passé comme cela compte tenu des réalités matérielles. Cela renvoie à l’état d’esprit russe au début de leur offensive, qui se disaient que la guerre allait être finie en quelques jours.
Les Russes ont extraordinairement durci leurs lignes de défense et que pour les passer, il était illusoire de le faire avec les forces qui avaient été rassemblées.
Vincent Desportes, général et ancien directeur de l'école de guerre
“L’autre vérité, c’est que les Russes ont extraordinairement durci leurs lignes de défense et que pour les passer, il était illusoire de le faire avec les forces qui avaient été rassemblées", poursuit le général. “On a pensé que l'armement qui arrivait viendrait en complément de l'armement ukrainien et qu'il constituerait une masse de manœuvre suffisante, rappelle Vincent Desportes. Cependant, ça n’arrivait pas en complément mais en remplacement et la masse de manœuvre n’a jamais été optimale."
Le constat à propos de l'enlisement de la situation sur le front, le commandant en chef de l’armée ukrainienne l’a partagé au grand public. Pour la première fois, le général Zaloujny s’est exprimé à propos de la contre-offensive ukrainienne lancée au début du mois de juin. Dans une interview pour le magazine britannique The Economist, il estime que les deux armées se dirigent vers une impasse. Selon lui, “la guerre passe maintenant à une nouvelle étape" et devient une guerre de positions.
Le devoir d’un général en opération, c’est de dire au chef politique de modifier sa stratégie en fonction de la situation.
François Chauvancy, général et consultant
Le général François Chauvancy affirme comprendre la position du général Zalounji, qui affirme que les deux armées sont dans une impasse. “C’est le chef opérationnel, il voit l’état de ses troupes, il voit le résultat et il voit surtout que la mission ne peut pas être remplie”, explique-t-il. Le général ajoute que “le devoir d’un général en opération, c’est de dire au chef politique de modifier sa stratégie en fonction de la situation”.
La guerre de position risque de durer un certain temps parce que personne ne veut céder.
François Chauvancy, général et consultant
Dans le cas actuel, “Zaloujny offre une opportunité publique de désengager la responsabilité du président Zelensky dans cette guerre et c’est le militaire qui prend sur le dos.” Selon François Chauvancy, “la guerre de position risque de durer un certain temps parce que personne ne veut céder. Tant que l’un des belligérants ne va pas arrêter, ça continuera.” En revanche, il considère que l’interview du général Zalounjy à un média étranger représente “un signe d’affaiblissement du côté ukrainien.”