Fil d'Ariane
La Russie a annoncé dans un communiqué de presse avoir achevé la "première phase de l'opération" en Ukraine et annonce vouloir "concentrer le gros des efforts sur l'objectif principal", à savoir "la libération du Donbass", ce vendredi 25 mars. Stratégie militaire ou propagande destinée au reste de l’Europe ?
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Pour Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique de la Russie, ce changement de tactique peut être perçu comme un “aveu de faiblesse” de Moscou, les combats sur le terrain ayant échoué à aboutir à un “encerclement complet des grandes villes”. “Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils abandonnent le combat. Ils continuent avec les frappes aériennes ciblées”, précise-t-elle.
Cet échec met également en lumière les pertes humaines conséquentes du côté russe. D’abord officiellement estimé à moins de 500 morts par les autorités russes, le chiffre a été évalué à la hausse par Moscou, qui admet aujourd’hui plus de 1300 morts. L’Otan de son côté estime ces pertes entre 7000 et 15000 soldats. Un écart énorme qui indique l'importance de la communication dans cette guerre, pour la spécialiste.
“C'est une perte colossale pour l'armée russe qui comprend bien que l'attaque éclair n'a pas marché”, explique Carole Grimaud Potter. “L’armée russe a aussi pris cette décision de retrait pour que le nombre de victimes chez les soldats n’augmente pas trop. Les choses commencent à bouger en Russie, le mécontentement gronde”, détaille-t-elle. La chercheuse se questionne aussi sur le sort des dépouilles de ces soldats. “Le sort des soldats morts est absolument horrible”, déplore-t-elle. “Ils sont laissés sur place et les corps ne sont pas réclamés par l’armée russe. Les autorités ukrainiennes ne savent pas quoi en faire”, poursuit-elle.
Et c’est précisément ce qui commence à faire débat, notamment en Russie. En effet, les informations concernant les pertes militaires y sont classées secret d’État suite à un décret de 2015. Des associations comme le Comité des mères de soldats russes à Saint-Pétersbourg ont du mal à venir en aide aux familles demandant des nouvelles de leurs fils. “On leur a interdit de divulguer toute information concernant les décès de soldats. Elles sont bloquées dans le décompte et l’aide apportée aux familles”, décrit Carole Grimaud Potter. En cachant ces morts au combat, les autorités russes plongent les familles des soldats dans le désespoir. Ces mères ne savent plus vers qui se tourner comme l’explique cet article du Guardian.
Des vidéos de soldats russes, faits prisonniers par les forces ukrainiennes, appelant leurs mères en larmes ont fait le tour des réseaux sociaux. Affamés, terrassés par le froid et l’horreur des combats, ces soldats souvent très jeunes fondent en larmes au moment de donner des nouvelles à leurs mères.
Un correspondant du Wall Street Journal a posté l’une de ses vidéos sur Twitter. “Beaucoup de ces soldats ne sont que des adolescents qui n’ont aucune idée de la raison de cette guerre”, écrit-il.
Video shared on Ukrainian channels of a captured Russian soldier apparently being fed by locals. The post says he burst into tears when he was allowed to video-call his mother. So many of these troops are just teenagers, with absolutely no clue what this war is really for. pic.twitter.com/oCPUC8cKcO
— Matthew Luxmoore (@mjluxmoore) March 2, 2022
Des témoignages font aussi cas de désertion, ou de demandes d’asile en Ukraine de la part de soldats russes, nous explique la chercheuse. “On l’a beaucoup vu au début du conflit. On voyait des chars abandonnés sans qu’ils aient été particulièrement attaqués. Leurs occupants étaient partis quand ils se sont rendus compte qu’ils étaient en Ukraine et qu’ils devaient tirer sur des Ukrainiens”, se remémore Carole Grimaud Potter.
Le lien affectif et culturel entre les deux pays en est donc une raison, selon elle. “Même s'ils s'en défendent, même si les Ukrainiens parlent tous de l'époque après 2014, quand l'Ukraine s'est construite en faisant table rase de son passé russe et soviétique, il n'en reste pas moins qu'ils ont des liens très étroits et profonds. Il n'y a pas une famille ukrainienne qui n'a pas de proches Russes”, détaille-t-elle.
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De jeunes soldats, visiblement non préparés à cette guerre quasi fratricide, qui croyaient partir pour un exercice à la frontière ukrainienne. C’est ce qui ressort de certains témoignages, à prendre avec précaution pour la chercheuse. “Il y a des témoignages de prisonniers russes en Ukraine et certains ont parlé de ce manque d’information”, raconte Carole Grimaud Potter. “Au départ il y avait beaucoup de conscrits, qui se sont retrouvés là alors qu’en effet, ils étaient partis seulement en exercice, à la frontière avec l’Ukraine, ou en Biélorussie”, explique-t-elle. “Ils se sont retrouvés sur le front du jour au lendemain, sans qu’on leur ait expliqué de quoi il s’agissait”, poursuit la chercheuse. D'abord niée par les autorités, la présence de ces conscrits au combat a été confirmée par Vladimir Poutine début mars. “Il a parlé d’erreur de commandement. Après une enquête interne, promesse a été donnée que l’armée n’aurait plus recours à ces conscrits”, détaille Carole Grimaud Potter.
Difficile de continuer à nier la présence de soldats non professionnels quand ces derniers se font arrêter sur le territoire ukrainien. “Finalement l’information est passée de l'autre côté en Russie, puisque les autorités ont eu à se défendre à ce sujet”, précise-t-elle. “On ne sait pas combien ils étaient, mais on imagine bien ces jeunes soldats qui sont arrivés sans préparation pour des entraînements et qui se retrouvent à faire la guerre”, explique l'enseignante. “C'est une dévalorisation complète du soldat de l'armée, c’est de la véritable chair à canon”, déplore-t-elle.