Fil d'Ariane
Fidèle à sa mission de surveillance de la répression en Russie, l'ONG OVD Info tient la comptabilité quotidienne des arrestations à travers le pays de ceux qui s'opposent à l'invasion de l'Ukraine par les forces russes. Résultat, au cinquième jour de guerre, "5935 personnes personnes ont été arrêtées du 24 au 27 février dans plus de 70 villes de Russie". Des vidéos diffusées par l'ONG montrent bien le climat de terreur instauré par les forces de l'ordre.
Sur son site OVD Info met à disposition toutes les informations nécessaires, notamment sur les risques encourus par les manifestants, à savoir selon les chefs d'accusation, "entre 2000 à 300 000 roubles d'amendes et jusqu'à 30 jours de détention".
le régime russe essaie de justifier l''attaque' militaire en falsifiant l'histoire et en déformant le sens de concepts culturels et historiques clés
Pétition des traducteurs de langue ukrainienne ou russe vers l'anglais
Dans ces conditions, le mouvement antiguerre russe a du mal à mobiliser dans la rue. Néanmoins, de nombreuses pétitions fleurissent sur Internet et les réseaux sociaux. Basé en Lettonie, le journal indépendant en ligne russe Meduza recense toutes ces actions, pétitions, lettres-ouvertes venues de Russie qui affichent leur opposition à l'invasion en Ukraine.
La plus importante est la pétition en russe intitulé "Non à la guerre !" qui a franchi ce lundi le million de signatures. Elle s'adresse directement aux Russes qu'elle appelle à faire partie du mouvement antiguerre, à s'opposer à la guerre. Elle demande un "cessez-le-feu immédiat des forces armées russes et leur retrait du territoire de l'Etat ukrainien indépendant".
Son initiateur n’est autre que Lev Ponomarev, célèbre défenseur des droits de l’homme en Russie. Dans une interview à la chaîne télé en ligne Dojd, il explique que si un million de signatures sont réunies, cela signifie que des dizaines de millions de personnes sont contre la guerre, étant donné les difficultés ou l'impossiblité pour beaucoup d'accèder à Internet.
D'ailleurs beaucoup de ressources en ligne ne sont accessibles en Russie que par le biais d'un VPN, qui permet de contourner la censure. Depuis le début de la guerre, les autorités censurent l'Internet russe. Il est d'ailleurs interdit de reprendre des informations qui ne viennent pas de "sources officielles fiables", mais aussi d'employer les termes d'"invasion ou de "guerre" en Ukraine, alors que le président Poutine avait parlé d'une "opération militaire spéciale" dans le Donbass dans son discours du 24 février.
(Re)lire : Comment Poutine justifie l'invasion de l'Ukraine
Plusieurs médias indépendants sont dans le viseur du Roskomnadzor, le gendarme des communications en Russie, qui demande de restreindre l'accès notamment à la radio Echos de Moscou, la chaîne de télévision indépendante sur internet Dojd ou le journal Novaïa Gazeta. Le site de The New Times a lui été bloqué en Russie.
Une des dernières censures en date, celle du site étudiant russe Doxa qui a lui été bloqué pour ne pas avoir retiré sa publication intitulé "Guide pour les disputes anti-guerre en famille et au travail". Il recense les "17 arguments les plus fréquents justifiant la guerre" et donne les clés pour y répondre. Le site poursuit ses publications à travers une autre adresse <https://doxajournal.com/>.
Des sites ukrainiens sont également visés par la censure en Russie, à la fois des médias comme le site Oukraïnskaïa Pravda ou l'agence de presse Unian mais aussi le site rf200. Comme indiqué en page d'accueil, ce site mis en place par des représentants du ministère de l'Intérieur ukrainien publie des photos et vidéos de soldats russes présumés tués ou capturés en Ukraine. Cela permet aux parents et proches de ces soldats russes d'avoir de leurs nouvelles. À cet égard, plusieurs organisations russes de défense des droits exigent que les autorités russes rendent possible le rapatriement des dépouilles de ces victimes russes.
Défenseur des droits des soldats russes et de leurs familles depuis 1989, le Comité des mères de soldats russes, une organisation non gouvernementale implantée dans tout le pays, s'inquiète pour sa part que contrairement à la loi, des appelés puissent être envoyés combattre en Ukraine.
tous les Russes ne sont pas d'accord avec ce qui se passe. Tout le monde ne soutient pas cela. C'est une chose tout à fait naturelle - ce serait étrange s'il n'en était pas ainsi, sinon je cesserais de respecter la Russie.
Oleg Anissimov, climatologue russe
D'autres groupes de citoyens russes se mobilisent, sur Internet. Des juristes de Russie rappellent que "les actions de la Russie violent de manière flagrante la disposition de la partie 4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies, qui oblige les États à s'abstenir de recourir à la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État". Des traducteurs de langue ukrainienne ou russe vers l'anglais soulignent pour leur part que "en tant que traducteurs et interprètes, nous avons consacré notre vie professionnelle à l'intégrité de la communication interculturelle. Mais le régime russe essaie de justifier l''attaque' militaire en falsifiant l'histoire et en déformant le sens de concepts culturels et historiques clés." De jeunes scientifiques russes ont diffusé eux une vidéo sur Youtube pour dire leur opposition à la guerre.
Il y a aussi des comédiens, des réalisateurs, des diplômés de l'École des hautes études économiques de Russie et d'autres encore qui montrent que les antiguerre russes veulent donner de la voix en leur propre nom.
C'est ce même esprit civique qui a poussé Oleg Anissimov à s'exprimer personnellement lors d'une visioconférence internationale à huis clos de l'ONU consacré au climat. Mais le témoignage de ce scientifique russe spécialiste des régions arctiques et membre de la délégation de son pays lors d'une réunion de travail de l'ONU sur le changement climatique a eu un retentissement mondial, malgré lui. «J'ai honte - en tant que personne, en tant que citoyen de ce pays. J'ai honte que nous n'ayons pas pu créer des institutions de la société civile dans notre pays qui pourraient influencer les décisions prises par le président et le gouvernement." Des propos tenus en anglais, rappelle-t-il au site Meduza, et surtout en son seul nom et non celui de sa délégation.
Aujourd'hui , il ne cache pas craindre des répercussions sur sa carrière, mais assure qu'il ne regrette rien et qu'il ne fuira sûrement pas son pays. Il ne veut surtout pas que l'on fasse de lui une figure médiatique, et encore moins un héros.
Et de rappeler que "dans tout le pays, il y a des déclarations qui indiquent que tous les Russes ne sont pas d'accord avec ce qui se passe. Tout le monde ne soutient pas cela. C'est une chose tout à fait naturelle - ce serait étrange s'il n'en était pas ainsi, sinon je cesserais de respecter la Russie."
(Re)lire : Russie : Poutine laisse planer le spectre de l'arme nucléaire