Fil d'Ariane
TV5MONDE : Le régiment ukrainien Azov a été désigné "organisation terroriste" par la justice russe. Est-ce la fin du régiment ? Quelles conséquences cette décision peut-elle avoir pour les prisonniers d’Azov en Russie ?
Cela ne veut pas dire la fin du régiment Azov, il existe toujours. Certes, il y a la défaite du 17 mai 2022 dans la ville portuaire de Marioupol au sud-ouest de l'Ukraine. La ville était le fief du régiment et le plus gros des effectifs était là-bas. Ils ont en grande partie été capturés. Mais au début de l’invasion, le régiment avait déployé ses forces partout en Ukraine. Certains étaient présents autour de la capitale Kiev, d’autres à l’est, à Kharkiv.
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En ce qui concerne la justice russe, cela va prendre du temps. Les autorités russes ne veulent pas faire une justice expéditive. Le dossier doit passer par une cour martiale. Un nombre de règles et de procédures doivent être respectées.
Si les Russes veulent absolument rétablir la peine de mort pour les membres du régiment Azov, il y a deux alternatives. Soit, ils passent par des débats et le vote de la Douma, la chambre basse de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie. Mais cela pourrait prendre du temps. Soit, ils passent par la justice des républiques prorusses autoproclamées de Donetsk et de Lougansk. Dans ces territoires, le droit international ne s’applique pas et la peine de mort est autorisée. Cela avait été fait dans le cadre des combattants étrangers marocain et britanniques capturés par les séparatistes prorusses.
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TV5MONDE : Pour légitimer la désignation d'organisation “terroriste”, la Russie met en avant le caractère néonazi du régiment et les crimes de guerre qu'il aurait commis. Sur quoi sont fondées ces accusations ?
Elles sont déjà fondées sur le parcours de certains membres fondateurs. Avant de faire partie du régiment, certains appartenaient à des organisations paramilitaires et d’extrême droite ukrainienne, que ce soit l’Assemblée sociale-nationale ( SNA ) ou le groupe paramilitaire Patriote d’Ukraine.
En 2019, le Département américain avait lui-même proposé à ce que le régiment Azov soit classé comme "une organisation terroriste internationale".Adrien Nonjon, chercheur à l'Inalco, spécialiste de l’Ukraine et de l’extrême droite post-soviétique
Jusque dans le choix de ses insignes, le régiment est controversé. Sur le premier logo du régiment Azov, entre 2014 et 2016, il y avait deux symboles problématiques. En premier plan, en noir, on retrouve la "Wolfsangel" inversée. Le signe fait penser au signe utilisé par la 2ème division SS "Das Reich" pendant la Seconde Guerre mondiale. En arrière plan, en jaune et blanc, on retrouve le signe faisant référence au soleil noir nazi. C'est un symbole ésotérique nazi, employé par différentes organisations suprémacistes blanches à l’international.
Mais depuis 2016, Azov a épuré son logo et n’a gardé que la "Wolfsangel" inversée. Chez les nationalistes ukrainiens, ce signe est un symbole banal faisant références aux lettres I et N pour Idée de la Nation.
Ensuite, certains membres du régiment Azov, une fois après l’avoir quitté, ont fondé un parti politique d’extrême droite, Le Corps national. En 2019, le Département américain avait lui-même proposé à ce que le régiment Azov soit classé comme "une organisation terroriste internationale". Cela n’avait pas abouti. Azov est aujourd’hui considéré un régiment de la Garde nationale de l’Ukraine en grande partie dépolitisée.
Concernant les crimes de guerre, on a accusé Azov de commettre des actes de barbarie contre les populations civiles du Donbass. Cela a été rapporté par certaines ONG internationales, comme Amnesty International. Faute de preuve, il n’y a eu aucune poursuite.
À partir de ces éléments, la Russie peut constituer un nouveau dossier à charge contre les combattants d'Azov.
TV5MONDE : Dans le même temps, ils sont les derniers combattants à s’être opposés aux Russes dans la bataille de Marioupol. Comment sont-ils perçus aujourd’hui au sein de la population ?
Pour une grande majorité de la population et ce dès le début du conflit dans le Donbass en 2014, Azov est considéré comme un régiment martyr. Ce sont les défenseurs de la souveraineté ukrainienne face à l’invasion russe.
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Les Ukrainiens font la distinction entre ce régiment et son émanation politique, le Corps national, dont je vous ai parlé précédemment.
TV5MONDE : Vous disiez que ces fondateurs étaient dans une idéologie d’extrême droite. À quel moment l’image du régiment s’est-elle adoucie ?
Au départ, c’était des gens qui évoluaient dans les sphères de paramilitarisme d’extrême droite et du hooliganisme. En 2014, ils se sont constitués comme bataillons de volontaires pour venir en aide à l’armée régulière ukrainienne. Elle n’arrivait pas à contenir l’avancée des séparatistes. Ces volontaires ont offert leur expérience de la violence à l’armée ukrainienne. L’État a fermé les yeux parce que c’était une nécessité compte tenu de la situation.
Au début de l'invasion russe, les effectifs d'Azov tournaient autour de 3 500 à 4 000 combattants. Ils représentent moins de 2% des effectifs.
Adrien Nonjon, chercheur à l'Inalco, spécialiste de l’Ukraine et de l’extrême droite post-soviétique
Ensuite, une fois intégré à la Garde nationale de l’Ukraine, Azov a joui d'une certaine légitimité aux yeux des Ukrainiens. Le régiment a construit un discours élitiste, disant "nous sommes l’un des remparts de l’Ukraine contre la Russie poutinienne." Il a alors lissé son image et attiré de nouveaux membres, non affiliés à l’idéologie de départ.
En même temps, cette nouvelle image a permis à certains vétérans de se lancer en politique en disant : "nous avons combattu au sein d’Azov, nous sommes des nationalistes et nous avons un projet politique légitime pour sortir du marasme". Le Corps National porte un programme tourné vers une forme de militarisme de la société ukrainienne. L’Ukraine ne doit pas rejoindre le camp occidental ou la Russie poutinienne.
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TV5MONDE : Que représente le régiment au sein des forces ukrainiennes aujourd’hui ?
L’armée ukrainienne au début de l’invasion russe, en février 2022, c’était à peu près 200 000 hommes. Les effectifs du régiment Azov tournaient eux autour de 3 500 à 4 000 combattants. Ils représentent en réalité moins de 2% des effectifs.
En termes d’idéologie, ce noyau d’extrémistes a été marginalisé. Azov n’a pas pour autant renoncé à son identité nationaliste. Elle s’est diluée dans une forme de patriotisme mais on n’a pas affaire à un discours extrémiste.
TV5MONDE : Leur idéologie n’est donc pas soutenue par le président Volodymyr Zelensky ?
Les nationalistes ukrainiens ne sont pas forcément soutenus par la population ukrainienne. Ils ont fait moins de 2% aux dernières élections législatives et présidentielles.
Compte tenu de la situation, Volodymyr Zelensky ne peut pas se passer de ces combattants-là.
Adrien Nonjon, chercheur à l'Inalco, spécialiste de l’Ukraine et de l’extrême droite post-soviétique
Ces groupes ont une capacité d’action et sont actifs dans les rues. Mais la population ukrainienne aspire à construire un pays démocratique, libre. Le projet que portent les nationalistes a peu de chance d’être légitimé par des élections.
TV5MONDE : Que peut-on attendre de la suite du régiment et du groupement politique qui en découle ?
Azov, c’est un régiment dépolitisé et d’élite. Compte tenu de la situation, Volodymyr Zelensky ne peut pas se passer de ces combattants-là.
Azov n’est pas mort, il est rentré dans une sorte de légende. À tel point que beaucoup de gens constituent des bataillons de volontaires s’inscrivant dans cet héritage, comme Kraken à Kharkiv ou SSO Azov dans la ville de Zaporijiia.
D’un point du vue politique, les nationalistes sont en première ligne sur le front et beaucoup d'entre eux meurent. À voir s’ils auront toujours cette capacité de constituer des partis. Néanmoins, au regard des cicatrices laissées par l’agression russe, on est en mesure de se demander si on ne va pas avoir un renouveau du nationalisme ukrainien.