Fil d'Ariane
Les résultats ne sont toutefois pas très concluants. L’UE a payé 84 milliards d’euros (120 milliards de dollars canadiens) à la Russie pour son pétrole depuis l’invasion de l’Ukraine, selon les données compilées par le Centre de recherche sur l'énergie et l'air pur (CREA).
L’UE a payé 84 milliards d’euros (120 milliards de dollars canadiens) à la Russie pour son pétrole depuis l’invasion de l’Ukraine, selon les données compilées par le Centre de recherche sur l'énergie et l'air pur (CREA).
Cet été, le président Joe Biden s’est ainsi rendu à Djeddah pour rencontrer le prince héritier Mohammed ben Salmane et essayer de convaincre l’OPEP d’augmenter sa production, mettant ainsi de côté sa promesse de campagne de faire du royaume un paria à la suite du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
"Les États-Unis souhaitaient faire pression sur l'Arabie saoudite pour qu’elle augmente sa production de pétrole, explique Olivier Appert, conseiller du Centre Énergie & Climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Cela permettrait de faire baisser les prix, et donc ça aurait un impact indirect sur l'économie russe. Mais il y a eu une fin de non-recevoir polie de la part des Saoudiens."
Ce voyage a été un échec cinglant, qui a été caché par la diplomatie américaine.Olivier Appert, conseiller du Centre Énergie & Climat de l’IFRI
Pour couronner le tout, le 5 octobre, l’OPEP+ (formée de 24 pays, dont la Russie, qui représentent 90 % de la production mondiale de pétrole) a décidé de réduire la production de pétrole de 2 millions de barils par jour, au risque de faire flamber le prix du baril.
Avec les quatrièmes réserves mondiales, l’Iran est un autre joueur majeur dans le domaine énergétique. Mais les sanctions qui pèsent sur le pays à cause de son programme nucléaire entravent le commerce du pétrole.
"L'Iran pourrait être potentiellement le quatrième ou cinquième pays producteur le plus important au monde", note Olivier Appert.
Il y a bien eu une tentative de relancer l'accord de 2015 sur le nucléaire, ce qui aurait pu permettre la levée des sanctions et l'ajout sur le marché de 1,3 à 1,5 million de barils par jour. Mais cet essai s’est soldé par un échec.
L’Iran s’est plutôt rapproché de la Russie, à qui il a vendu des drones, amplement utilisés dans le cadre de la guerre en Ukraine
"On constate un rapprochement entre la Russie et l'Iran, ainsi qu’un éloignement de la possibilité d'un accord sur le nucléaire et donc la levée de l'embargo", souligne M. Appert. Dans le contexte actuel de répression envers les opposants, "les pays occidentaux ont une certaine réticence à négocier avec un gouvernement des mollahs assez largement discrédité", ajoute-t-il.
Mis au ban de la communauté internationale depuis plusieurs années en réponse à la dérive autoritaire du président Nicolas Maduro, que les États-Unis considèrent comme illégitime, le Venezuela est un autre pays dans la mire des Américains en raison de ses richesses pétrolières.
"Cela a été assez immédiat à partir du moment où la Russie a envahi l'Ukraine", raconte Thomas Posado, docteur en sciences politiques de l’Université Paris 8 et spécialiste du Venezuela." En 10 jours, des émissaires américains étaient à Caracas pour négocier."
Depuis sept ans, le pays est sous le coup de sanctions internationales qui ont complément entravé ses exportations de pétrole. Alors qu’en 2015 le Venezuela produisait environ 2,65 millions de barils par jour, ce nombre a chuté à 700 000 en 2021.
Selon certains analystes, dans un an ou deux, le Venezuela pourrait produire environ 1 million de barils par jour et jusqu’à 3 millions de barils d’ici une décennie. Mais cela nécessiterait des investissements majeurs. En effet, les installations sont délabrées et le personnel qualifié manque à l’appel.
"Dans l'hypothèse où les sanctions seraient levées totalement, l'état des infrastructures ne permettrait pas de revenir au niveau de production d'il y a quelques années", estime Thomas Posado.
On ne peut pas imaginer que ça revienne à 2,3 millions de barils en quelques mois, ni même en quelques années. Ce serait un travail de très longue haleine, vu le mauvais état des infrastructures pétrolières.
Thomas Posado, spécialiste du Venezuela
Des changements concrets se sont déjà matérialisés. Après un accord entre le président Maduro et l’opposition, Washington a décidé d’alléger l’embargo pétrolier et permis au géant des hydrocarbures Chevron de relancer en partie sa coentreprise avec la société d'État Petroleos de Venezuela (PdVSA).
Le département du Trésor américain a également annoncé qu'il accorderait à Trinité-et-Tobago une licence pour développer un important gisement de gaz situé dans les eaux territoriales vénézuéliennes.
Les infrastructures pétrolières sont dans un état lamentable. Les analystes ne sont toutefois pas très optimistes.
Pour procéder à l’annulation totale des sanctions, l’administration américaine réclame que l’élection présidentielle qui doit se tenir l’année prochaine soit complètement libre. Or, le président Maduro exige, pour sa part, la levée des sanctions avant d’entreprendre un dialogue avec l’opposition en vue des élections.
Un bras de fer se dessine, qui risque d’être compliqué par les divisions entre les Américains eux-mêmes. Depuis que les républicains ont repris le contrôle du Congrès, le président Biden n’est pas assuré d’avoir l’appui nécessaire pour avancer ses priorités.
Entre les raisons qu’a Nicolas Maduro de faire capoter ces négociations, les raisons que peut avoir l'opposition vénézuélienne de faire capoter les négociations et les raisons qu'ont les États-Unis de faire capoter ces négociations, c'est très, très, très loin d'être un processus qui est certain d'aboutir. Thomas Posado, spécialiste du Venezuela
Les Européens ont décidé, dès le mois de mai, de couper leur dépendance énergétique envers la Russie. Ils ont fixé des embargos sur le brut russe et sur les produits raffinés, qui sont entrés en vigueur le 5 décembre et le 5 février.
Avec ces embargos, l’UE se prive d’environ 90 % des volumes de pétrole russe qu’elle importait de Russie avant l’invasion de l’Ukraine.
L'UE s'est également entendue avec le G7 et l’Australie pour plafonner le prix du pétrole russe à 60 $ le baril. Au-delà de ce prix, les entreprises basées dans ces pays ne pourront plus fournir leurs services à la Russie (négoce, fret, assurance, armateurs, etc.) sous peine de sanctions.
L’idée est d’assécher le trésor de guerre de la Russie, qui reçoit 400 millions de dollars par jour, en moyenne, grâce aux exportations d’hydrocarbures.
En riposte, le président Vladimir Poutine a publié un décret interdisant l’exportation de tout produit pétrolier vers des pays qui adopteraient ce plafonnement.
"L'objectif des sanctions, ce n'est pas de bloquer le pétrole russe", rappelle Yvan Cliche, fellow et spécialiste en énergie au Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM). "On veut simplement s'assurer qu’il soit vendu à un prix moindre pour ne pas garnir le coffre de guerre de la Russie."
Le prix du baril de pétrole russe est en chute libre depuis le début de l’année. Il est passé de 94,99 $ US le baril le 24 février 2022 à 59,5 $ US le 10 février 2023, et se négociait en janvier 48 % en dessous de la référence internationale, le pétrole brut Brent.
La récente décision de la Russie de réduire sa production de pétrole de 500 000 barils par jour a causé une remontée des prix.
D’autres pays comptent bien profiter de ce pétrole dont les Européens ne veulent plus. On a constaté au cours de l’année une augmentation marquée des exportations de pétrole russe vers la Chine, l’Inde et la Turquie.
Le pétrole russe circule encore, et il est en bas du prix plafond, note M. Cliche. C'est une position très intéressante pour l'Inde et la Chine, qui ont effectivement bougé et acheté beaucoup plus de pétrole russe que par le passé.
Les arrivages de produits pétroliers turcs dans les ports européens et américains ont augmenté de 85 % en septembre-octobre par rapport à juillet-août, note CREA.
Le Rapport mensuel sur le marché pétrolier de l’OPEP de décembre 2022 révèle également que les importations de brut russe vers l’UE ont diminué de près de 1 million de b/j en novembre, tandis que les flux vers la Turquie ont fortement augmenté, pour atteindre 400 000 b/j.
Les principaux destinataires des exportations de produits pétroliers turcs étaient l'Espagne, la France, les États-Unis, la Roumanie et les Pays-Bas.
Les États-Unis, l'Espagne et l'Italie ont également importé des produits pétroliers de l’Inde, un autre pays qui a fortement augmenté ses importations de brut russe. Les importations de pétrole russe vers l'Inde ont été multipliées par 10 sur un an, constate Olivier Appert. Et une partie de ce pétrole éventuellement revient en Europe sous forme de produits pétroliers raffinés.
Ces nouveaux acheteurs respecteront-ils le plafond fixé par les Européens?
Olivier Appert n’en est vraiment pas convaincu. "La Chine et l'Inde ont dit très clairement que les embargos décidés par les Occidentaux ne les concernaient pas", souligne-t-il.
Réussira-t-on à les rallier? Ce sera un autre défi pour les Européens.