Guerre en Ukraine : les forces russes sont-elles en pause ou en panne ?

L'armée russe se concentre-t-elle sur sa réorganisation logistique ? Rencontre-t-elle des difficultés qui la poussent à abaisser ses ambitions ? Après six semaines de guerre entamée, la question demeure.
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soldat ukrainien tank russe
Un soldat ukrainien passe à proximité d'un tank russe détruit dans le village de Dmytrivka, à proximité de Kiev, capitale de l'Ukraine, le 2 avril 2022.
Efrem Lukatsky/AP
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Les experts occidentaux sont unanimes pour décrire un début de conflit raté pour la Russie, qui rêvait de prendre Kiev en quelques jours. Cependant, l'actuel redéploiement vers l'Est et le Donbass suscite des interprétations contrastées.
 
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"Après l'échec sur Kiev, les Russes n'ont plus réussi à percer, sauf sur la partie sud où ils sont sortis de Crimée vers Kherson et les territoires prorusses", explique une source au sein de l'État-major français. "Ils adoptent des positions défensives sur une bonne partie des lignes de confrontation Nord et concentrent leurs efforts sur la zone stratégique". Une fois le constat posé, il reste à déterminer sa signification profonde. "Il est difficile de mesurer s'ils sont en pause stratégique pour repartir à l'attaque ou s'ils sont en panne", admet cette source.

Que prépare l'armée russe ?

"Les forces russes peuvent se préparer pour une offensive plus large dans les districts de Donetsk et Lougansk (...) mais elles auront du mal à produire la force de combat nécessaire", pronostique pour sa part l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW). À titre d'exemple, selon l'ancien colonel de l'armée française Michel Goya, "la première Armée blindée de la garde a été transférée dans le secteur Donbass-Nord en vue de la bataille décisive du mois d’avril". Mais "lorsque cette masse d’attaque sera usée au combat fin avril-début mai, la capacité de manœuvre russe sera réduite à peu de choses".

Si la Russie ne peut compenser ses pertes, elle risque d'être exténuée.

Michel Goya, ancien colonel de l'armée française

Les informations diffusées et largement relayées par les Ukrainiens évoquent déjà de lourdes pertes humaines et matérielles côté russe. Les chiffres sont plus rares encore côté ukrainien, ce qui complique l'analyse du rapport de force. 

Une unité qui a perdu 30% de sa capacité de combat est inefficace, rappelle Raphael Cohen, expert militaire pour la Rand Corporation, en faisant siennes les estimations (non vérifiées) de pertes russes à entre 7 000 et 15 000 hommes.

Or, les conscrits censés s'y substituer sont inégalement formés et les mercenaires moins nombreux que prévus. "Si la Russie ne peut compenser ses pertes, elle risque d'être exténuée", affirme l'analyste. Michel Goya observe pour sa part que la société de mercenaires Wagner, réputée proche de Poutine, accepte tous les candidats qui se présentent.


"Ces engagements individuels destinés à combler les trous et non à constituer des forces nouvelles donnent une indication du niveau très élevé des pertes", écrit l'officier en retraite. Selon lui, la Russie semble "avoir perdu l'équivalent d'une trentaine de groupements tactiques interarmes (GTIA) sur 120 engagés et un potentiel maximum d'environ 140".

Des observations peu encourageantes

"Nous n'avons pas constaté de redéploiement massif de ces forces russes" parties du nord du pays, relève un responsable occidental sous couvert de l'anonymat, qui s'attend à ce que Moscou "réécrive son récit" sur ses objectifs militaires et sur ce qu'elle "définit comme un succès ou un échec".

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Le 9 mai, Moscou célébrera le très important anniversaire de la victoire contre l'Allemagne nazie en 1945.  Le Kremlin voudra des victoires à revendiquer en Ukraine.

Or, "la Russie a complètement perdu l'initiative", affirme le responsable occidental. "Pas plus tard qu'hier, on voyait des files de blindés russes essayant d'avancer sur la route et qui peinaient face à la résistance ukrainienne", relève-t-il.

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La chute complète de Marioupol, port stratégique du sud-est du pays, sur la mer d'Azov, lourdement bombardé, aurait constitué un gain stratégique important pour Moscou. Mais jeudi 7 avril, les séparatistes prorusses ont indiqué y combattre encore des milliers d'Ukrainiens, admettant qu'en prendre le contrôle "prendrait du temps", en raison notamment d'un réseau de voies souterraines.
 

Au-delà, les difficultés enregistrées depuis six semaines, la bravoure ukrainienne, le froid et les pertes - qui concernent aussi les officiers généraux - pèsent sur la psychologie des troupes russes. 

L'état-major "donne apparemment des instructions pour restreindre sévèrement l'accès à internet des troupes russes afin d'essayer de lutter contre leur moral en berne", ajoute à cet égard l'Institut américain pour l'étude de la guerre.