Fil d'Ariane
Ils sont trois et ont tout d’un symbole. Issus des trois principaux États protagonistes du conflit, le Centre ukrainien pour les libertés civiles (CCL), l'ONG russe Memorial, dissoute sur ordre de la justice, et le militant bélarusse Ales Beliatski, emprisonné dans son pays, ont été couronnés pour leur engagement en faveur "des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique" face aux forces autoritaires.
"La paix pour un pays attaqué ne peut être atteinte en déposant les armes", a déclaré la cheffe du CCL, Oleksandra Matviïtchouk. "Ce ne serait pas la paix, mais l'occupation".
Conséquence des bombardements sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes, Oleksandra Matviïtchouk a écrit son discours de remerciement pour le Nobel à la lueur d'une bougie, a-t-elle confié à l'AFP lors d'un entretien avant la cérémonie.
En neuf mois d'invasion russe, "plus de 27.000 épisodes" de crimes de guerre ont été dénombrés, selon elle, et c'est "seulement le sommet de l'iceberg". "La guerre transforme les gens en nombres. Nous devons redonner un nom à toutes les victimes de crimes de guerre", a-t-elle souligné.
La voix étranglée par l'émotion dans son discours à l'Hôtel de ville d'Oslo, paré de fleurs rouges de Sibérie, Oleksandra Matviïtchouk a de nouveau appelé à la création d'un tribunal international pour juger "Poutine, (son allié, le dirigeant bélarusse Alexandre) Loukachenko et d'autres criminels de guerre".
"Cette année, pour la première fois, la langue de l'Ukraine, notre langue ukrainienne, a été entendue" à Oslo, s'est réjoui le président ukrainien Volodymyr Zelensky, dans son allocution quotidienne. "Je félicite Mme Oleksandra, ses collègues et tous les défenseurs ukrainiens des droits de l'homme".
Le colauréat russe, le président de Memorial, Ian Ratchinski, a quant à lui dénoncé les "ambitions impériales" héritées de l'URSS, qui "fleurissent toujours aujourd'hui". La Russie de Vladimir Poutine a détourné le sens historique de la lutte antifasciste "au profit de ses propres intérêts politiques", a-t-il dit. Désormais, "résister à la Russie équivaut à du fascisme", a-t-il déploré.
Une dénaturation qui fournit "la justification idéologique à la guerre d'agression folle et criminelle contre l'Ukraine", a-t-il affirmé, malgré les sévères sanctions prévues par Moscou pour ceux qui critiquent publiquement son "opération militaire spéciale".
Le troisième lauréat du Nobel, Ales Beliatski, père de l'ONG de défense des droits humains Viasna, est incarcéré depuis juillet 2021. Dans l'attente d'un procès où il encourt jusqu'à douze ans de prison pour "contrebande" d'espèces au profit de l'opposition au régime répressif du président Alexander Loukachenko. Le militant de 60 ans n'a pas été autorisé à transmettre un discours de remerciement pour le Nobel.
Son épouse Natalia Pintchouk, qui le représentait à la cérémonie, n'a pu que répéter quelques-uns de ses mots, notamment ses appels à se dresser contre "l'internationale des dictatures".
En Ukraine, la Russie vise à établir "une dictature vassale, la même chose que le Bélarus d'aujourd'hui, où la voix du peuple opprimé est ignorée, avec des bases militaires russes, une énorme dépendance économique, une russification culturelle et linguistique", a dit Ales Beliatski, par la voix de sa femme.