Fil d'Ariane
Le 24 février, les Russes lançaient une offensive sur l’Ukraine et les sirènes retentissaient sur la place Maïdan de Kiev. Aujourd’hui, de hauts responsables russes admettent que le conflit va durer. Point d’étape d’une guerre de trois mois.
Selon les plans de Vladimir Poutine, la guerre devait durer quelques jours seulement. Ce 24 mai marque les trois mois du conflit et l’Ukraine est désormais dépossédée d'un quart de son territoire. Quel est le bilan militaire et humain de cette guerre qui semble enlisée ? Quels scénarios sont envisageables ?
La première phrase de la guerre prévoyait une prise rapide des principales villes en Ukraine : Kiev, Kharkiv, Soumy, Louhansk, Donetsk. Aujourd’hui, seul Louhansk et Donetsk, villes capitales des républiques autoproclamées, ne sont pas revenues sous contrôle ukrainien.
Les Russes n’ont jamais pénétré dans les rues du centre de Kiev, tandis qu’ils ont été récemment éloignés des abords de Kharkiv après avoir essuyé des semaines de bombardements meurtriers. Marioupol, ville symbolique, a fini par être conquise au prix fort. La ville est détruite à 80% et l’Ukraine parle de 20 000 morts. Près de 2000 militaires du bataillon d’Azov, retranchés dans l’aciérie Azovstal,ont été fait prisonniers par les troupes de Moscou. La ville de Kherson tombée début mars, voit le rouble désormais instauré par les Russes occupants.
Les combats se concentrent désormais sur l’Est du pays, dans le Donbass. Depuis quelques jours, les Ukrainiens reconnaissent d’ailleurs des "difficultés" dans le bassin houiller du Donbass, formé par les provinces de Lougansk et de Donetsk. Moscou concentre précisément sa puissance de feu sur le réduit ukrainien de la région de Lougansk, essayant de cerner les villes de Severodonetsk et de Lyssytchansk. La chute de Bakhmout, dans la province de Donetsk, donnerait aux Russes le contrôle d'un carrefour qui sert actuellement de centre de commandement impromptu pour une grande partie de l'effort de guerre ukrainien.
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"La plus grande activité hostile" est observée "près de Lyssytchansk et de Severodonetsk" que les Russes cherchent à "encercler", selon l’état major ukrainien. "Aujourd'hui, nous constatons que le nombre des bombardements à Severodonetsk a augmenté (...). Ils détruisent simplement toute la ville", a déclaré le gouverneur de la région de Lougansk, Serguiï Gaïdaï.
Si tous les efforts sont dirigés sur le Donbass, la capacité russe à pouvoir s’établir de l’Est jusqu’au Sud semble peu probablement selon Emmanuel Dupuy, président de l'Institut propective et sécurité en Europe. "Un front s’étendant jusqu’à la Transnistrie semble peu envisageable au vu de la résistance des Ukrainiens à Odessa, et de la vigilance de la communauté internationale pour que le conflit ne s'étende pas en territoire moldave. De ce point de vue, l'extension du conflit au delà du Dniepr semble difficile."
Aucune statistique indépendante n’étant disponible, difficile de chiffrer précisément le nombre de pertes, civiles et militaires, des deux côtés. Sur le plan militaire, le ministère ukrainien de la Défense évalue les pertes russes depuis le 24 février à plus de 29 200 hommes, 204 avions et près de 1 300 chars. Le Kremlin a admis des "pertes importantes". Des sources occidentales évoquent quelque 12 000 soldats russes tués.
Ces pertes sur trois mois avoisinent celles enregistrées en neuf ans par l'Armée soviétique en Afghanistan, souligne le ministère britannique de la Défense.
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Le président Zelensky a, lui, déclaré mi-avril qu'environ 2 500 à 3 000 soldats ukrainiens avaient été tués et quelque 10 000 blessés. Pour la seule ville de Marioupol, les autorités ukrainiennes parlent toutefois de 20 000 morts civiles.
Par ailleurs, plus de huit millions d'Ukrainiens ont été déplacés à l'intérieur du pays, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut Commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR). S'y ajoutent 6,5 millions de personnes qui ont fui à l'étranger, dont plus de la moitié (3,4 millions) ont trouvé refuge en Pologne.
Si les troupes ukrainiennes font face actuellement à des difficultés dans l’Est de l’Ukraine, la capacité de la Russie de tenir sur le long terme semble aussi peu assurée soulève Emmanuel Dupuy. "Ce qui devait être une conquête expéditive et totale de l'Ukraine se résume au bout de 3 mois à une conquête partielle avec peu de victoires." conclut le président de l'Institut propective et sécurité en Europe. "Ces dernières jours dans le Donbass, les troupes ukrainiennes semblent moins bien résister, mais elles tiennent encore, même si c’est au prix de lourdes pertes humaines et matérielles."
Toute idée de cessez-le-feu semble bien éloignée que ce soit au Kremlin ou à Kiev, au vu du contexte militaire qui ne satisfait personne. "La Russie ne négociera pas pendant qu'elle poursuit des opérations" admet Emmanuel Dupuy. "Elle décidera de négocier une fois que ses objectifs, réduits à la baisse, auront été atteints. Les Ukrainiens, eux, ne négocieront qu'une fois qu'ils auront la certitude que la Russie n'ira pas plus loin dans ses opérations militaires et que les armes cesseront de tonner."
Selon Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique de la Russie, un cessez-le-feu ne signifiera aucunement la fin de la guerre : "On se dirigerait alors vers un « stop-and-go », c’est-à-dire des périodes de cessez-le-feu alternées avec des reprises de combats et des négociations poussées par de nombreux pays. Cela se solderait probablement par un échec comme on l'a vu depuis 2014, avec des accords de paix qui ont échoué. On va revenir au point de départ avec une Ukraine amputée de ses territoires qui souhaitera plus que tout renégocier sa souveraineté totale."