Fil d'Ariane
Pour Lova Rinel Rajaoarinelina, chercheure associée à la Fondation pour la recherche stratégique, la question de l’emploi de l’arme nucléaire, à ce moment du conflit, est inévitable. Cependant, cet emploi reste très codifié. "Nous avons, d’une part, un dialogue stratégique, qui relève des mouvements militaires liés à une hausse ou pas de l’alerte nucléaire. Ce dialogue stratégique parle de choses factuelles sur le plan militaire et tactique. Et nous avons, d’autre part, la dialectique nucléaire. Ce sont deux choses différentes, mais l’une ne va pas sans l’autre. Et les deux ne s’adressent pas aux mêmes personnes. Les deux n’ont pas le même enjeu. Ce sont les deux volets de la dissuasion."
De quelle type de guerre s’agit-il ? Pour la chercheuse, il s’agit d’un conflit mondialisé. "Nous n’avons pas des pays engagés sur le front comme nous avons pu le voir pendant les deux premières guerres, 14-18 et 39-45" explique-t-elle. "L’objectif ultime de Vladimir Poutine c’est de rejouer l’ordre mondial international. Il veut diriger le mouvement des pays non-alignés. Dans son intervention du 30 septembre, il a un discours de dissuasion nucléaire." Mais pour Lova Rinel Rajaoarinelina "ce qui se passe en Afrique, et ce qui se passe au niveau nucléaire est consubstantiel, c’est la même guerre pour Vladimir Poutine." La guerre, pour la chercheuse, se situe sur le terrain idéologique et l’Ukraine n’est qu’un "prétexte".
Lire : Russie-Ukraine : de quoi est constitué l'arsenal nucléaire russe ?
Les États-Unis ont supprimé les essais d’armes hypersoniques prévus au printemps dernier, souligne Lova Rinel Rajaoarinelina, alors que les Russes ont continué de leur côté avec Satan 2, un missile nucléaire intercontinental. "Ils ont un rapport agressif que nous [Occidentaux] n’avons pas."
Vladimir Poutine se situe sur un terrain politique. "Quand il utilise ce discours, il vise les opinions publiques de l’Occident qu’il sait très partagées sur les questions de néo-colonialisme et très divisées sur les questions identitaires." Et les opinions africaines sont très à l’écoute de celles occidentales rappelle-t-elle en soulignant la forte implantation de la chaîne russe RT qui depuis dix ans a ouvert 39 antennes en Afrique, "en alimentant un discours anti-occidental qui aujourd'hui est arrivé à maturité."
Cette menace de l'arme nucléaire intervient alors que les forces russes connaissent des revers sur le terrain. Comment l'expliquer ? "Il est parti sur une guerre pensant que ses bases étaient solides. Quant à Joe Biden en disant ça, que l’on frise l’apocalypse, il s’adresse moins à la Russie qu’aux pays de l’OPEP en leur demandant de choisir leur camp."
Ce 7 octobre, Karine Jean-Pierre, la porte-parole de la Maison Blanche, fait une mise au point aux propos partculièrement forts de Joe Biden : "Nous n'avons pas de raison d'ajuster notre propre posture nucléaire stratégique, pas plus que nous n'avons d'indications que la Russie se prépare à utiliser de manière imminente des armes nucléaires".
Il faut renvoyer les Russes au droit international souligne Lova Rinel Rajaoarinelina. "Un État démocratique repose sur deux piliers, la diversité et l’État de droit. À ce sujet, il est bon de rappeler la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU du 19 juin 1968 (sur la non prolifération des armes nucléaire n.d.l.r.), et complétée par celle du 11 avril 1995 qui dit : un État doté d’une arme nucléaire ne peut pas attaquer un État non doté sous peine d’une réaction des membres du Conseil de sécurité. "
Pour Lova Rinel Rajaoarinelina, il faut rappeler la Russie à l’ordre du droit. "L’opinion doit comprendre qu’il y a une atteinte très grave à la sécurité internationale basée sur des principes que la Russie a votés par ailleurs. Une résolution du conseil de sécurité a force de loi et ne peut être votée qu’à l’unanimité. Il faut ramener la Russie à cette incompatibilité juridique. Et il ne faut pas oublier que Volodymyr Zelensky n’a pas la bombe atomique et qu’on est en train de tuer sa population. Il n’a pas le choix. Il endosse la posture du résistant qui lutte contre l’oppression hégémonique. "
En juin 2020, nous explique Lova Rinel Rajaoarinelina, Vladimir Poutine publie un décret dans lequel il expose la doctrine nucléaire de la Russie : "la Fédération de Russie se réserve le droit d’utiliser la force nucléaire en cas d’attaque à l’arme nucléaire massive contre elle et ses alliés. De même qu’en cas d’agression contre la Fédération de Russie avec des armements conventionnels et lorsque les fondements de l’État sont menacés. Dans cet article 17, il pose son concept de parapluie nucléaire, sans que nous sachions ce qui s'y trouve. "
Lire : "L'arme nucléaire, ce n'est pas vraiment de la dissuasion mais l'équilibre de la terreur"