Fil d'Ariane
Face aux nombreuses sanctions prises par l’Occident à l’encontre de l’économie russe depuis le début de la guerre en Ukraine, Moscou contre-attaque avec une série de mesures de rétorsion. Des sanctions russes pour le moins asymétriques.
Les mesures prises par Moscou en réaction aux sanctions occidentales se rangent en deux catégories : celles qui ciblent des personnalités et celles d'ordre économique et comerciale.
Jeudi 21 avril, la Russie a annoncé interdire l'entrée de son territoire à 29 personnalités américaines pour « une durée indeterminée », dont le dirigeant de Meta, Mark Zuckerberg, et la vice-présidente américaine, Kamala Harris. Plusieurs autres responsables gouvernementaux sont visés, comme la vice-ministre de la Défense Kathleen Hicks, le porte-parole du Pentagone John Kirby ou encore le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price.
Sont aussi ciblées plusieurs figures des mondes de la finance, comme le patron de la puissante Bank of America Brian Moynihan, et de l'industrie de la défense, comme la dirigeante de Northrop Grumman, Kathy Warden.
Enfin, plusieurs personnalités issues des médias sont également interdit sur le territoire russe, notamment George Stephanopoulos, coprésentateur de l'émission matinale d'ABC "Good Morning America", et David Ignatius, éditorialiste au Washington Post.
La diplomatie russe explique avoir visé ces "journalistes et experts" en les accusant de défendre un "agenda russophobe".
Au Canada, 61 personnalités, pour la plupart des responsables gouvernementaux ou militaires, sont également concernées par cette mesure. On retrouve notamment le directeur de la communication du Premier ministre Justin Trudeau, Cameron Ahmad, et le commandant des forces spéciales, Steve Boivin.
Auparavant, la Russie avait déjà sanctionné plusieurs centaines de personnalités anglo-saxonnes, dont le président américain Joe Biden et les Premiers ministres canadien Justin Trudeau et le Premier ministre britannique Boris Johnson.
Le 7 avril dernier, Moscou annonçait aussi des sanctions personnelles contre les dirigeants d'Australie et de Nouvelle-Zélande, leur interdisant l'entrée en Russie. Ils étaient accusés d’avoir "suivi docilement" les autres pays occidentaux.
Plus tôt dans le mois, les autorités russes ont édicté des contre-sanctions économiques et commerciales envers les "pays inamicaux", comme l'interdiction d'exporter certains produits agricoles (blé, céréales) et même des matériels aérospatiaux (ce qui, à terme, entravera l'accès des européens à l'espace).
Ces sanctions concernent également les acheteurs dits "inamicaux" du gaz russe. Ces pays doivent depuis le 1er avril, payer depuis des comptes en roubles, ouverts en Russie. La mesure touche surtout l'Union européenne.
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Le Kremlin a précisé cependant que le prix du gaz restait libellé dans la devise des contrats en cours, soit le plus souvent en euros ou en dollars, et que les clients devront effectuer une simple opération de change en Russie. Les entreprises pourront continuer à payer en euros auprès des banques qui, elles-mêmes, devront convertir leurs euros en roubles.
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Les mesures russes sont asymétriques, comparées aux différentes sanctions européennes ou américaines prises à l'encontre de la Russie. Leur but est de mettre un réel coup à l'économie russe. "Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie", avait déclaré le ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire, le 1er mars dernier, avant de se rétracter.
L’impact des sanctions russes est sans doute très limité, parce que l’économie russe est faible.Alexandre Melnik, expert en géopolitique et ancien diplomate à Moscou
La Russie n'a pas la puissance économique de l'Union européenne ou des États-Unis. Elle ne dispose donc pas de la même force de frappe. "L’impact de ces sanctions russes est sans doute très limité, parce que l’économie russe est faible. Il ne faut jamais oublier cela. Le PIB russe équivaut à peu près au PIB de l’Espagne. En d’autres termes, il est douze fois inférieur à celui de la Chine. La place de la Russie dans l’économie mondiale est donc très modeste", explique Alexandre Melnik, expert en géopolitique et ancien diplomate à Moscou.
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Selon les dernières prévisions économiques du FMI, le PIB de la Russie devrait d'ailleurs se contracter à 8,5% cette année. Il équivaut actuellement à 1 703 milliards de dollars. En comparaison, le PIB de l'Union européenne atteignait les 16 400 milliards d’euros en 2019. L'UE représente environ 15 % du commerce mondial de biens. Elle est l'un des trois principaux acteurs mondiaux du commerce international avec la Chine et les États-Unis.
Quel peut donc être l'effet des sanctions russes dirigées à l'encontre des pays occidentaux ? L'effet des interdictions de territoire semble en tout cas très limité voir prêterait à rire : "Je dois dire que ce n'est rien de moins qu'un honneur de susciter la colère d'un gouvernement qui ment à son propre peuple, maltraite ses voisins et cherche à créer un monde où l'indépendance et la liberté sont en danger", a réagi le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price. "C'est un bon groupe auquel appartenir", a lancé de son côté John Kirby, le porte-parole du Pentagone, estimant que ces sanctions montrent la "peur de la vérité" et "la faiblesse" du président russe Vladimir Poutine.
Le seul et vrai combat qu’engage aujourd’hui Poutine n’est pas le combat économique, où il est sûr de perdre, c’est le combat militaire.Alexandre Melnik, expert en géopolitique et ancien diplomate à Moscou
Interrogé par des journalistes pour savoir s'il allait devoir annuler des plans de voyage en Russie, le porte-parole du département d'Etat américain a répondu: "Fort heureusement je ne possède pas de roubles et, même si j'en possédais, ils ne vaudraient rien désormais de toute façon". "Ces sanctions sont un coup d’épée dans l’eau. Qui aujourd’hui veut aller en Russie ?", ajoute de son côté Alexandre Melnik."C’est une décision symbolique de la Russie, un pis-aller, c’est en quelque sorte l’énergie du désespoir. Le seul et vrai combat qu’engage aujourd’hui Poutine n’est pas le combat économique, où il est sûr de perdre, c’est le combat militaire", continue l'ancien diplomate à Moscou.
"Il s'agit d'une guerre hybride, la Russie déplace la guerre, par tous les moyens", affirme Alexandre Melnik. La Russie semble en effet avoir ouvert un nouveau front dans cette guerre avec l'Occident et l'Union européenne, en Afrique.