Fil d'Ariane
TV5MONDE : l’Allemagne a décidé d’investir 100 milliards d’euros dans la modernisation de son armée, et d’augmenter progressivement ses dépenses de défense pour atteindre 2% de son PIB. En quoi va consister ce programme de modernisation de la Bundeswehr ?
Frédéric Coste, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) : Ce que veulent montrer les autorités fédérales allemandes, c’est une montée en puissance de leur armée. À court terme, il y a notamment de nombreux matériels à renouveler ou des parcs à agrandir, et il faut que ce soit relativement rapide. Or, le système de gestion des programmes d’équipements militaires allemand est très compliqué, et ne marche pas toujours très bien.
Donc cet argent va très certainement être employé pour acheter des nouveaux équipements, mais aussi pour mettre plus de pression pour faire appliquer des réformes sur la gestion des programmes d’armement, pour la rendre plus efficiente.
Les Allemands produisent des sous-marins, ils ont une tradition de fabrication de blindés… Il y a une vraie base industrielle de défense, mais il faut que la concrétisation de ces programmes s’améliore. Les autorités allemandes ne peuvent plus accepter des retards d’un an ou deux ans de retards sur les livraisons de programmes d’armement, comme c’est parfois le cas à l’heure actuelle.
TV5MONDE : En quoi la décision allemande marque-t-elle un tournant historique ?
Il s’agit en fait d’un ensemble de trois décisions. L’augmentation de 100 milliards d’euros du budget de la Défense, l’envoi de matériel militaire et surtout, la décision de ne pas bloquer la Commission européenne dans son projet de fournir des armes à l’Ukraine. C’est ça, à mon sens, qui est symbolique. Le changement de référentiel de l’Allemagne est indéniable, mais il était, dans une certaine mesure, déjà engagé.
On avait déjà vu s’effriter le dogme de la non-intervention, avec l’envoi de troupes en Afghanistan, et maintenant, les Allemands acceptent d’envoyer des armes à l’Ukraine. Pour moi, ce revirement allemand est un pas supplémentaire majeur dans une tendance de long terme, mais de nombreuses étapes avaient été franchies avant.
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TV5MONDE : Dans cette logique européenne et compte tenu de la situation en Ukraine, d’autres pays européens pourraient-ils suivre le changement de cap de l’Allemagne ?
Cette crise ukrainienne est un véritable révélateur pour toute l’Europe. Ceux qui sont concernés au premier chef sont bien sûr les pays d’Europe de l’Est : la Pologne va probablement accentuer les efforts de modernisation de son armée, de même que la République tchèque.
Avec le Brexit, la France était la principale puissance militaire au sein de l’UE. Cela va changer : il va falloir développer de nouveaux rapports les Allemands.
Frédéric Coste, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique
Et la possibilité d’une présence militaire russe en Ukraine sur le long terme va forcément alimenter les tensions entre la Russie et ses plus proches voisins : les pays baltes. La Suède par exemple, qui a toujours milité pour sa neutralité militaire et politique, s’interroge sérieusement sur le fait d'entrer dans l’OTAN !
C’est un moment charnière dans l’histoire géopolitique qui va changer les positionnements des États.
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