Fil d'Ariane
Réfugiées en France, des dizaines de familles venues de Gaza attendent depuis des mois que soient évacués leurs proches toujours bloqués dans l’enclave palestinienne. Mais ils se heurtent au silence des autorités françaises.
Raja et son fils Asef sont arrivés en France en décembre 2023
Rares sont ceux qui parviennent à s’extraire de la souricière palestinienne pilonnée sans relâche depuis sept mois. Et lorsqu’ils y arrivent c’est souvent au prix d’un lourd sacrifice : l’abandon de membres de leur famille derrière, parfois même les plus proches.
Réfugiée à Périgueux, Nadia* ne sait plus comment répondre aux questions de ses enfants qui lui demandent quand ils reverront leur père, un ancien employé de l’Institut français de Gaza. En novembre dernier, Hatem* aurait pourtant dû fuir avec eux. Mais 48h avant le départ, le couperet tombe : son nom ne figure pas sur la liste des personnes autorisées à franchir le passage de Rafah, unique porte de sortie de l’enclave à la frontière égyptienne. Seuls ceux de sa femme, de son fils de 7 ans et de sa fille de 9 ans apparaissent.
Hatem convainc alors son épouse de partir, certain de pouvoir rapidement les rejoindre. « Le consulat français nous a encouragé dans ce sens, mon mari pensait que ce serait l’affaire de quelques jours », raconte cette Palestinienne de 28 ans. Sept mois plus tard, son époux est toujours cloué à Gaza.
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Quitter l’enclave palestinienne est quasi-impossible. Même lorsqu’on dispose d’un laisser-passer consulaire délivré par un pays tiers, l’issue n’est jamais totalement garantie. L’Egypte et Israël décident de qui rentre et qui sort, se réservant le droit de refuser la sortie d’un parent, d’un enfant, d’un frère où d’une sœur... Le moindre lien avec le Hamas, un cousin fonctionnaire dans l’administration, un oncle ayant porté les armes, peut éveiller les soupçons israéliens.
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Persuadée qu’Israël bloque le départ de son mari, la jeune femme ne s’explique pas ce refus. " Il passait sa vie entre sa maison et l’Institut français. Il déteste tous les partis politiques ", assure-t-elle. Le 13 décembre dernier, son cœur se soulève lorsqu’elle apprend que leur immeuble à Rafah, a été bombardé. Hatem est sain et sauf mais la grand-mère de ses enfants et plusieurs de leurs jeunes cousins ont été tués.
Je suis partie sans même avoir pu les serrer dans mes bras.
Raja, Palestinienne
Parmi les victimes, figure aussi un autre agent de l’Institut français que son époux hébergeait. L’homme, Ahmed Abu Shamla, avait refusé de suivre sa femme et ses jeunes enfants en France pour rester avec ses deux aînés, majeurs, et interdits de quitter l’enclave palestinienne. Ils seront finalement évacués quelque temps plus tard par la France qui s’est émue dans un hommage du sort tragique de son agent.
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Depuis des mois, de nombreuses familles attendent désespérément de retrouver leurs proches. Au total, plus de 260 personnes ont pu quitter la bande palestinienne pour la France, essentiellement des binationaux et des agents employés au sein de l’antenne consulaire française. Paris a également accueilli 14 enfants blessés, dont l’essentiel de la famille nucléaire se trouve toujours à Gaza.
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Dans les allées d’un hôpital de banlieue parisienne, une femme au dos courbé pousse un petit fauteuil roulant où se tient assis un jeune garçon aux cheveux noirs. Raja est arrivée fin décembre avec Asef, 12 ans, son petit dernier, amputé de la jambe droite dans un bombardement pendant qu’il jouait au football. Alors que son fils est hospitalisé dans un dispensaire palestinien, l’hôpital lui offre de l’évacuer vers l’Egypte. Un seul adulte est cependant autorisé à l’accompagner. Raja est veuve. Pour sauver son fils, elle est contrainte de faire un choix impensable : laisser ses autres enfants à Gaza.
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"Je suis partie sans même avoir pu les serrer dans mes bras", confie en pleurs cette Palestinienne d’une quarantaine d’années. "Mes enfants m’appellent et me demandent de les sauver, de les emmener en France. Ils pensent que leur maman est un ange qui va pouvoir les faire sortir. Mais je me sens impuissante, je n’arrive pas à leur expliquer que je suis dans l’incapacité de faire mieux".
Est-ce que la France met tous les moyens en œuvre pour obtenir leur sortie ? Aujourd’hui nous n’avons pas de nouvelles et nous craignons que ce ne soit pas le cas.
Lyne Haigar, membre du Collectif des avocat.es France-Palestine
Son seul lien avec ses enfants demeure son téléphone, objet qu’elle chérit autant qu’il lui fait peur. Chaque jour elle redoute de recevoir la terrible nouvelle. Alors, Raja a préféré les séparer pour éviter, dit-elle, "de tous les perdre en même temps".
Mobilisé, le Collectif des avocat.es France-Palestine a écrit à plusieurs reprises à la cellule de crise du Quai d’Orsay et au consulat de Jérusalem pour demander le rapatriement des proches de plusieurs familles de Gazaouis réfugiés en France. Malgré leurs relances, ils assurent n’avoir reçu aucune réponse. "C’est le silence total", fustige Lyne Haigar, membre du groupe. "La première question à laquelle on aimerait avoir une réponse, et que les autorités sont en mesure de nous donner, est la suivante : Est-ce que ces personnes sont intégrées dans le dispositif d’évacuation mis en œuvre par la France ? Est-ce que la France met tous les moyens en œuvre pour obtenir leur sortie ? Aujourd’hui nous n’avons pas de nouvelles et nous craignons que ce ne soit pas le cas."
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Impuissance diplomatique ou manque de volonté politique ? Le dossier demeure des plus opaques. Questionné mi avril sur la question, le porte-parole du Quai d’Orsay se bornait à rappeler que la France était "pleinement impliquée" pour faire sortir les ressortissants français et les agents de l’État ainsi que leurs familles de Gaza, évoquant des "opérations extrêmement complexes (…) réalisées dans des conditions difficiles". Concernant les enfants blessés, le ministère des Affaires étrangères assure que leur famille proche "est autorisé à se rendre en France dans le cadre d’une procédure de réunification, dont le traitement est accéléré". Mais Paris ne précise pas comment ces personnes sont censées quitter Gaza, comme si sortir de l’enclave palestinienne n’était qu’une simple formalité.
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*Les noms ont été changés à la demande des intéressés.