Guerre Russie-Ukraine : Kiev tient toujours, des centaines de milliers d'Ukrainiens sur les chemins de l'exode

Kiev est toujours aux mains du gouvernement ukrainien. Des Ukrainiens cherchent à rallier l'ouest du pays par tous les moyens. Carnet de route de notre envoyé spécial Romain Sinnes entre Kiev et Lviv.
Image
UKRAINE
Des Ukrainiens essaient de rejoindre la frontière polonaise ce 26 février.
AP Photo/Sergei Grits
Partager 4 minutes de lecture

Le week-end a été éprouvant pour les habitants de la capitale. Les deux dernières nuits ont été courtes, perturbées par d’incessantes alertes aux raids aériens et bombardements.

Dans les bunkers, les habitants emportent sachets de vivres, chaises ou tabourets, voire couvertures et oreillers au cas où il faudrait rester retranchés jusqu’à l’aube. Les repas sont rationnés. Les réserves de nourriture ne sont pas infinies. Avec le couvre-feu imposé jusqu’à lundi matin, tous les lieux de ravitaillement sont restés fermés. Personne ne s’aventure dans les rues, au risque d’être considéré comme un ennemi, a prévenu la mairie de Kiev.

Il faut dormir habillé, avec papiers et argent à portée de main, pour rapidement aller se réfugier en cas d’alertes. Malgré le froid, une fenêtre reste constamment ouverte pour éviter l’effet de compression qui ferait exploser les vitres si un obus venait à tomber aux alentours.

Des attaques d’une toute autre ampleur attendues à Kiev

Ce lundi 28 février, Kiev a donc tenu. Les Russes ne sont pas parvenus à percer les défenses ukrainiennes.

Sur les réseaux sociaux, les images d’Ukrainiens repoussant les tanks russes rien qu’en marchant devant eux sont reprises partout. Se répandent également les exploits d’un certain « Ghost of Kiev » (« Fantômes de Kiev »), un chasseur ukrainien qui aurait abattu 14 de ses homologues russes. Ces exploits, réels ou imaginaires, font du bien au moral des habitants de la ville.

Désormais, les rumeurs avancent qu’avec la résistance ukrainienne, les prochains assauts pourraient être d’une toute autre ampleur. Le président russe, Vladimir Poutine, s’est engagé à laisser les civils évacuer.

« Vous pensez que c’est sûr à Lviv ? »

À 9h, la gare de Kiev ressemble à une fourmilière. Chargés comme des mules, les gens se pressent sur les quais d’où démarrent les trains d’évacuation vers l’ouest du pays. Des files interminables de passagers se forment devant les portes.

À peine ouvertes, c’est la cohue. Il faut jouer des coudes pour se frayer un passage dans l’étroit couloir d’entrée. « On est cinq, personne n’a de billet », s’inquiète un jeune homme qui a fui Kharkiv après le début de l’invasion. La plupart n’en ont pas. Personne ne contrôle les titres de transport dans les wagons dont les capacités ont été étendues.

À l’intérieur, les passagers investissent les moindres recoins. Les cabines composées de quatre couchettes sont bondées. Certains patientent assis ou debout dans les allées. La fatigue se lit sur les visages. « Vous croyez que c’est sûr du côté de Lviv ? », tente de se rassurer une jeune femme accompagnée par sa mère. « Je ne sais pas quand je pourrai revenir chez moi à Kiev. Si on le pourra tout court un jour... »

Ruée sur les prises de courant

Au cours du voyage, c’est la ruée sur les rares prises de courant pour recharger les téléphones et rester en contact avec les proches et amis restés à Kiev ou dispersés à travers le pays. Beaucoup n’ont pas de perspectives immédiates et se demandent où ils vont passer la nuit. D’autant que les trajets sont très longs.

Le nôtre doit rallier Kovel, au nord de Lviv, dans la soirée. Trop juste compte tenu du début du couvre-feu instauré à partir de 22h. Nous faisons escale à Loutsk, localité de quelques 210.000 habitants. La frontière biélorusse, d’où sont tirés des missiles frappant l’Ukraine, est à moins de 100 km. Peu avant 20h, les rues sont quasiment désertes. Les commerces ont pour l’essentiel baissé les rideaux métalliques. Seul un magasin de l’enseigne Silpo fonctionne encore.

Une boîte de nuit comme abri

À plusieurs reprises au cours de la soirée et au beau milieu de la nuit, la réceptionniste de l’hôtel donne l’alerte dans les couloirs, toque aux portes des chambres ou fait sonner les téléphones. Il faut aller se mettre en sécurité au sous-sol, en temps normal une boîte de nuit, qui fait maintenant office de bunker.

Mardi 1er mars, direction Lviv. Aucun train ne circule entre les deux agglomérations et les bus se font rares. Il se dit que la frontière polonaise pourrait fermer d’ici peu. Selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’Organisation des Nations unies (HCR), près de 370.000 personnes auraient déjà quitté le pays dont 200.000 par la Pologne.

Un local accepte de nous conduire à Lviv. Les axes routiers sont congestionnés, balisés par de nombreux checkpoints. « Ma femme et mes enfants sont déjà en Pologne. Je suis rassuré », nous confie ce dernier, qui officiait comme chauffeur pour un commerce de revente de voitures entre la France et l’Ukraine. « Je n’ai pas trop peur. C’est plutôt calme dans cette région. Pour l’instant... »