Guinée : "Ce premier jour de concertation était une prise de contact"

La junte militaire organise du 14 au 17 septembre 2021 des journées de concertation. À la table du colonel Mamady Doumbouya, membres de la société civile, acteurs économiques, responsables religieux et hommes politiques sont conviés. Les militaires souhaitent instaurer une transition inclusive. Que retenir de ces premières heures de concertation ? Analyse de Kabinet Fofana.
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Certains dirigeants de partis politiques tentent d'accéder à une réunion avec la junte militaire dirigée par le colonel Mamady Doumbouya, au palais du peuple à Conakry, en Guinée, le mardi 14 septembre 2021.
 
AP Photo/ Sunday Alamba
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À Conakry, au Palais du peuple, les représentants politiques et religieux ont été reçus ce mardi 14 septembre 2021, pour le début d’une série de concertation menée par la junte militaire. A terme, les putschistes ont promis de rendre le pouvoir aux civils. Kabinet Fofana, analyste et directeur de l’association guinéenne de science politique décrypte pour nous ce début de concertation.

TV5Monde : Que retenir de cette première journée de concertation ?
 

Kabinet Fofana : Cette journée peut être considérée comme une prise de contact dont l’objectif est de délimiter un cadre général pour la manière dont les choses vont se dérouler. Pour le moment, nous ne sommes pas entrés dans le vif du sujet. Il n’y a pas de visibilité sur la transition. Hier, par exemple, c'est quasiment le même discours que le Colonel a tenu aussi bien devant les partis politiques que devant les responsables religieux. Il est dans la continuité de son discours de prise de pouvoir. 

Kabinet Foofana
Kabinet Fofana, analyste et directeur de l'association guinéenne de science politique
DR

Le colonel Mamady Doumbouya a affirmé qu’ils éviteront de réitérer  les erreurs du passé. Il a rappelé qu’il souhaite que les combats menés par les différents acteurs le soient pour servir la Guinée, au-delà des luttes partisanes. Cela pose question car les formations politiques leur propre agenda, celui des batailles des électorales.

Je pense que la junte a tout intérêt à œuvrer pour une démarche transversale n’excluant personne. La prise de contact pour ce premier jour est réelle. Nous pouvons aussi constater l’engouement suscité par ces concertations. Mardi et mercredi, des personnes ont voulu prendre part aux discussions. Cela illustre le fait que le colonel est en train d’asseoir son autorité aussi bien du côté des militaires que de celui des acteurs de la société civile.
 

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Dans son discours, hier, le colonel Mamady Doumbouya explique que les chefs politiques et les principaux acteurs sociaux ont une part de responsabilité dans la situation actuelle du pays; Comment interpréter cet argumentaire ?
 

K. F. : Il faut dire que traditionnellement la politique c’est la production de discours suivi d’actions publiques. Le discours du colonel a deux dimensions. Il s’agit tout d’abord d’un discours de rupture car il avait pour objectif de rester dans le continuum de son discours de prise de pouvoir où il indiquait être en rupture avec la gabegie, la personnification du pouvoir, le mandat de trop… Ce discours s’inscrivait dans l’esprit de faire passer l’idée d’une rupture pour mieux jeter les bases d’une nouvelle Guinée. Il s'agit aussi de la doter d’institutions fortes.

La deuxième dimension ces propos tendent à rassurer les différents acteurs sur les intentions du colonel dans l’avenir. Le militaire a assuré qu’il n’y aurait pas de chasse aux sorcières. Il a également indiqué qu’il œuvrait pour une transition inclusive, ce propos tend à vouloir rassurer les hommes politiques et les responsables religieux. Selon le colonel Mamady Doumbouya, ces journées de concertations sont aussi une manière de faire passer ce message : il appartient aussi aux différents acteurs de prendre leur part dans l’avenir du pays. Cette prise de parole est donc un discours de rupture qui se veut également rassurant.

Une frange de l’opinion demande des gages sur un retour à la Constitution. Le colonel a compris qu’il lui fallait donner sa position sur ces sujets
Kabinet Fofana, analyste politique

Dans son discours, le militaire a su imposer une image qui a trouvé écho chez de nombreux Guinéens. Une partie de l’opinion est sensible au fait que le CNRD (le comité national pour le rassemblement et le développement) soit perçu comme un organe dictatorial, il faut donc rassurer. Même chose au sein des membres de l’opposition politique. Certains ont exprimé leur opposition à la participation de proches du pouvoir d’Alpha Condé dans les décisions prises pour l’avenir du pays, et demandent à ce qu’ils soient écartés des prochaines élections. 

Une frange de l’opinion demande des gages sur un retour à la Constitution. Le colonel a compris qu’il lui fallait donner sa position sur ces sujets.

Le discours tenu par le colonel met dos à dos les différents acteurs c’est assez traditionnel et peut s'apparenter à du populisme. Pour rappel, la politique c’est la production de discours mais c’est aussi de la mise en scène. Il faut arborer la tunique que le peuple pourrait attendre. Ce premier discours était attendu. Les prochaines prises de paroles du colonel vont être scruter. De façon générale, le discours tenu pour cette première journée de concertation a été globalement bien perçu.

Pour l'instant il n’y a pas de travaux qui soient menés de manière méthodologique avec un cadrage
Kabinet Fofana, analyste politique

Lire aussi : Guinée : espoirs et interrogations autour de la concertation organisée par la junte
 

Comment analyser la stratégie de concertation mise en œuvre par la junte militaire ?
 

K. F. : Pour l'instant il n’y a pas de travaux qui soient menés de manière méthodologique avec un cadrage. Si nous prenons l’exemple de la France, grand débat national a été mené avec une organisation spécifique (ndlr : en réponse à la crise des gilets jaunes, le Président Emmanuel Macron lance alors une grande consultation avec des réunions locales pour recueillir les propositions de Français et répondre à leurs attentes). Une équipe assistait aux discussions et prenait des notes. Une plateforme avait été mise en place, où les entités conviées, les personnes anonymes pouvaient déposer des contributions. Pour le moment, nous n’en sommes pas là. Hier, il y avait de la cohue au Palais du peuple. Ce mercredi, d’après différents retours, l'organisation s’est mieux déroulée, les acteurs sociaux ont pu déposer des mémorandums.

Pour le moment, il n’y a pas d’organisation pratique avec une équipe qui ferait du recueil de données en vue d’un "reporting". Pour l’instant le colonel a indiqué que tous les acteurs politiques, sociaux et économiques sont comptables du naufrage de la Guinée. Nous sommes au stade des discours. Je pense que les consultations devront prendre une autre forme pour être efficientes et faire émerger une ligne directrice.