Haïti : après le retour de Baby-doc

Si bien des points demeurent encore à ce jour obscurs ou incertains, la confusion et la surprise qui ont entouré le retour de Jean-Claude Duvalier en Haïti commencent peu à peu à s’estomper. Les quelques évidences qui en ressortent ne sont pas toutes agréables.
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Haïti : après le retour de Baby-doc
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La pochette-surprise du bébé-docteur

La pochette-surprise du bébé-docteur
Jean-Claude Duvalier à l'hôtel Karibe (20 janvier 2011, AFP)
Comment Duvalier est-il rentré ? De la façon la plus simple et légale du monde, par le vol régulier d’Air-France en provenance de Pointe à Pitre (Guadeloupe). Il semble cependant qu’il ait pris soin de brouiller préalablement sa trace entre l’Europe et les Antilles françaises en effectuant un détour. Quelle était sa situation administrative ? Selon le site « Haïti libre » « l’ancien Président Jean Claude Duvalier dispose d’un passeport diplomatique [numéro PPD000455] émis le 22 décembre 2005. Passeport expiré, qui est en cours de renouvellement à la Chancellerie, après une demande de Jean-Claude Duvalier au Consulat Général d'Haïti à Paris. «Baby Doc» est entré en Haïti avec un certificat d'identité, délivré par le Consulat Général d'Haïti à Paris, tenant lieu provisoirement de passeport ». Ce passeport diplomatique est présenté comme une facilité accordée traditionnellement à d’anciens chefs d'États. Son renouvellement après vingt ans d’une éclipse tout de même peu glorieuse peut cependant étonner. Sans même parler des dictateurs poursuivis par des cours internationales, Jean-Bertrand Aristide, par exemple, ne dispose nullement d’un tel document. Et justement, il aimerait bien. Qui était au courant ? L’intéressé, quelques proches et des partisans mais ils ont été mobilisés au dernier moment. Les États-Unis, la France et la plupart des instances internationales se sont déclarées surprises. Compte tenu de la somme d’ennuis qu’il apporte avec lui, il n’y a pas de grandes raisons de ne pas les croire. Des complicités au sein des autorités haïtiennes à plus ou moins haut niveau sont en revanche assez plausibles.
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Jean-Claude Duvalier à l'hôtel Karibe (20 janvier 2011, AFP)
Pourquoi Duvalier est-il rentré ? C’est bien sûr la principale question. L’intéressé a déclaré en substance être venu pour aider Haïti. Un diplomate haïtien se présentant comme son porte-parole a traduit le lendemain qu’il venait conquérir la présidence. La date du retour, en plein imbroglio sur le recompte de l’élection présidentielle et une possible remise en cause du premier tour ouvrant la voie à tous les plans b donnent un certain crédit à cette hypothèse, comme le bon accueil réservé par certains candidats à ce singulier allié. Pourtant, Duvalier dément. Il récuse le « prétendu porte-parole » et nie toute ambition politique, ce qui n’est pas le meilleur moyen de réussir une prise du pouvoir éclair. Logé d’abord à l’hôtel, il se fait d’ailleurs plutôt discret. Nulle tournée triomphale malgré la pression de ses partisans. On le décrit fatigué et d’élocution hésitante. Au fil des jours, l’interprétation politique du retour fait progressivement place à un autre mobile, d’abord avancée par des sources américaines puis développée en France : l’argent. En gros, Duvalier est ruiné mais il lui reste potentiellement dans des banques suisses quelques 6 millions de dollars (à rapporter aux 800 qu’on lui reproche d’avoir emportés en 1986) bloqués pour des raisons juridiques. Pire, une nouvelle loi helvétique applicable en février prochain pourrait amener ces établissements à verser cet argent suspect à l’État haïtien. Un voyage au pays sans heurt ou tout au moins sans poursuites le blanchirait de facto, lui permettant de disposer légalement du pactole litigieux. Le site Marianne 2 fait en outre état d’une négociation avec le président actuel René Préval sans cependant apporter sur ce point d’éléments probants. La piste financière n’en reste pas moins la plus plausible et elle est indirectement reconnue par l’un des avocats de Duvalier, Me Edwin Marger, cité par l’AFP : "Ce que (Duvalier) aimerait faire avec les fonds suisses c'est contribuer à la reconstruction du pays".
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Sa situation actuelle Placé en liberté provisoire après son audition au lendemain de son retour, Duvalier n’est pas entièrement libre de ses mouvements (le juge le rappelle à l’ordre lorsqu’il laisse sans prévenir son hôtel pour une résidence des hauteurs de la ville) et encore moins de quitter le pays, décevant un espoir formulé par l’ambassadeur de France Didier le Bret « Il a une réservation pour retourner à Paris le 20 janvier, j'espère qu'il va l'utiliser» (in Haïti Libre) . Les autorités haïtiennes suivent désormais deux enquêtes : poursuites pour corruption et détournements de fonds ; crimes contre l'humanité. Six plaintes sont déposées contre "Baby Doc" pour violation des droits de l'homme dont quatre pour crimes contre l'humanité. La journaliste Michèle Montas, ancienne porte-parole du secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, a notamment porté plainte pour "séquestration arbitraire, exil, destruction de biens privés, torture physique et morale, violation des droits civils et politiques". Selon les avocats de Duvalier, cependant, une partie des faits allégués sont prescrits et le crime contre l’humanité n’existe pas en Haïti. Les crimes de la dictature De 1957 à 1986, plusieurs milliers de victimes sont imputées aux dictatures duvaliéristes (liste partielle sur « Haïti for ever »). La plupart le sont néanmoins à celle du père, François Duvalier dit « Papa Doc ».
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François Duvalier dit “Papa doc“ (auteur inconnu)
Médecin considéré comme humaniste avant de devenir l’incarnation d’un pouvoir sanguinaire, il avait développé un système de terreur encadré par la redoutée milice de ses tontons macoutes, à la fois force de quadrillage et escadron de la mort. Jean-Claude est âgé de dix-neuf ans lorsqu’il succède en 1971 à son père décédé. Plutôt baby que doc, il s’intéresse surtout aux voitures. Sans marquer de véritable rupture, son pouvoir sera dans les faits bien moins brutal et s’assouplira notamment sous la pression américaine du président Carter.
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Jean-Claude Duvalier durant son exil (auteur inconnu)
Lui est pourtant attribuée directement ou non, outre le pillage de son pays, un nombre conséquent d’exactions politiques qu'il ne nie pas complètement (il exprime sa tristesse à "ceux qui se reconnaissent comme victimes de [son] régime") mais dont il faudra évaluer si elles forment des « crimes contre l’humanité », non prescrits, et jugeables par la justice haïtienne ou par une cour internationale. Le fait que le Baby Doc ait joui d’une retraite fort paisible - quoique dispendieuse – en Europe au cours des vingt-cinq dernières années sans jamais être inquiété par quelque justice que ce soit ne plaide pas dans ce sens. Que représente aujourd’hui Duvalier en Haïti ? S’il reste pour la majorité des Haïtiens l’incarnation d’une dictature officiellement honnie, il représente aussi pour beaucoup – notamment dans les classe moyennes – le souvenir d’une époque plus douce où la misère et l’insécurité – sous toute ses formes - étaient moindres. Le désastre absolu né du séisme renforce à cet égard une nostalgie diffuse. C’est ainsi qu’il faut lire l’étrange compréhension teintée de cynisme autant que d’amnésie de plusieurs candidats au pouvoir parmi lesquels Michel Martelly – désormais présidentiable - qui s’est déclaré prêt à s’adjoindre Baby Doc comme « conseiller ».
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Port-au-Prince après l'annonce des résultats du premier tour de l'élection présidentielle (décembre 2010, photo Pascal Priestley)
Quelles sont les conséquences de son retour ? Indépendamment des incertitudes judiciaires, elles paraissent malgré tout pratiquement assez limitées. On voit mal la communauté internationale – en dépit de la contestation dont elle est elle-même l’objet – permettre la remise en selle du dictateur emblématique dans un état qu’elle tient sous entière perfusion. Son équipée, même ratée, aggrave pourtant une confusion qui n’avait pas précisément besoin de cela et les démagogues en embuscade ne manqueront pas d’en profiter. Autre dictateur retraité et calamité potentielle peut-être plus redoutable, Jean-Bertrand Aristide, en exil en Afrique du Sud mais privé de passeport, s’est déjà inscrit sur les listes. L'irruption du vieux bébé-docteur dans les ruines de son pays n'y annonce sans doute pas de changement majeur mais le spectacle ambigu souligne la profondeur du désarroi haïtien.