“N’oublions jamais qu’un pays qui aide est un pays qui affirme sa puissance“
Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières France
Quelle est la priorité à l’heure actuelle en Haïti, 3 jours après le séisme ? Il y a plusieurs priorités qui doivent être abordées de front. Il va falloir tout d'abord dégager les personnes ensevelies sous les gravats le plus tôt possible si on veut avoir la chance de les retrouver vivantes. Il faut reprendre en charge les malades qui ont pu être sortis des hôpitaux lors du séisme. Ce sont là quelques priorités médicales, mais elles sont loin d’être les seules. Il est urgent de mettre en place des systèmes de distribution d’eau potable et de vivres, un système de logistique, c'est-à-dire d’approvisionnement, de stockages et de distribution de produits nécessaires aux populations. Une plateforme de télécommunication et d’accueil de l’aide est également indispensable. On compte ainsi au moins une demi-douzaine de priorités et on ne peut pas dire que certaines sont plus urgentes que d’autres. Elles doivent être abordées ensemble. Que faut-il penser de cette aide qui afflue déjà en quantité énorme du monde entier ? Il faut se réjouir. C’est la seule réaction que cela m’inspire. Que cela se fasse dans la désorganisation est évidemment attristant. On n’imagine pas qu’il puisse en aller autrement. Il faut faire avec le chaos, ça fait partie des problèmes à traiter. Je suis bien content qu’une trentaine de pays se soient déjà mobilisés.
La Sécurité civile française évacue un Américain retrouvé vivant dans les décombres de l’hôtel Montana à Port-au-Prince, le 14 janvier 2010
Les grandes puissances et les organisations internationales acheminent chacune à leur tour leur aide aux Haïtiens… Quelles sont les solutions à apporter pour gérer ces dons ? Il faut coordonner l'ensemble de l'aide. Chaque pays met en place son système local d'acheminement de l'aide jusqu'à Haïti. Par conséquent, il y a un empilement de systèmes locaux qui se rejoignent sur place. Le gouvernement haïtien et les Nations Unies pourront ensuite seulement coordonner toute l’aide étrangère. Les différents intervenants que sont les donateurs, les organisations internationales et les agences des Nations Unies, devront se rendre au siège de l’ONU pour annoncer ce qu'ils font. Ils seront répartis dans les zones géographiques où ils pourront entrer en action. C’est comme cela que marche la coordination. Nous sommes pour l'instant au stade où les gens font ce qu’ils peuvent à l’endroit où ils peuvent et, compte tenu du chaos, c’est de toute façon, beaucoup mieux que rien. Pensez-vous qu’il y ait un emballement et une course effrénée à la générosité de la part de ces donateurs ? Il y a un emballement bien sûr, mais je ne le dirais pas de façon trop critique. La situation impose d’aller vite et, entre la rapidité et l’emballement, la nuance n’est pas toujours très facile à faire. Les besoins sont énormes et urgents en Haïti. On se précipite à travers le monde pour tenter d’y répondre. Il y a certes des arrières-pensés de positionnement et de stratégies d’images de la part des grandes puissances, mais n’oublions jamais qu’un pays qui aide est un pays qui affirme sa puissance. Cela fait tout simplement parti du jeu politique.
Haïti le 13 janvier 2010 - Pascal Priestley
Un pays comme Haïti peut–il être un terrain d’affrontements diplomatiques pour les puissances occidentales dans ce moment précis ? Je ne parlerais pas d’affrontements mais de rivalités. Je prends l’exemple de la Chine qui envoie des sauveteurs et des soldats en Haïti. Elle entre en rivalité directe avec les États-Unis dans ce qu’il est convenu d’appeler leur arrière- cour. Les catastrophes naturelles permettent toujours aux stratégies politiques et diplomatiques de jouer. Il n’y a pratiquement pas d’exception à cela, dans la mesure où le pays sinistré est ouvert. Il y a eu des catastrophes à guichet fermé si l’on peut dire, comme celui qui s’est produit en Chine en 1974 et qui a fait entre cinq cent mille et un million de victimes selon ce qui a été rapporté. Personne n’en sait vraiment rien, parce que c’était la grande époque maoïste et les choses se sont passées à huis clos, parce qu'on ne pouvait pas entrer dans le pays. Mais dans un pays ouvert, on observe des rivalités et des jeux politiques. Cela fait partie de la catastrophe elle-même. Ce serait naïf d’attendre d’un pays qu’il se comporte comme une ONG. Un État défend un certain nombre d’intérêts. On a reproché aux ONG, présentes en Indonésie lors du tsunami en 2004, d’avoir donné trop d’aide d’un coup pour une situation qui devait être gérée à long terme… Comment éviter que la situation se reproduise ? Il faut tirer les leçons des catastrophes antérieures. Il faut savoir que le financement de la reconstruction, puisqu’il s’agit de cela, est entièrement assuré par l’extérieur. Mais la mise en œuvre de la reconstruction, si elle n’est pas assurée par les autorités elles-mêmes (gouvernement, corps constitués et intermédiaires), n’aura pas lieu. C’est la principale leçon à la fois cruelle et stimulante qu’il faut en tirer. Là où il n’y a pas eu de reconstruction après la catastrophe, c'est faute non pas de financements mais de dynamisme et de volonté. Des raisons qui sont essentiellement locales.
Haïti - 13 janvier 2010 - Pascal Priestley
Pourquoi le cas d’Haïti suscite tant d’émotions à travers le monde ? Haïti fait partie de ces pays qu’on aime, pour des tas de raisons. Un pays qui a conquis son indépendance très tôt, un pays qui a produit une littérature, un art, des intellectuels, un pays qui finalement n’envahit personne… Est-ce que la situation d’extrême pauvreté n’explique pas ce flux de réactions à travers le monde ? Je crois que c’est une raison surajoutée. Haïti est toujours décrit comme l’un des pays les plus pauvres du monde, très connu pour son célèbre bidonville Cité soleil. Tout cela suscite aussi beaucoup de compassion. Propos recueillis par Christelle Magnout15 janvier 2010