Haïti : quelle solution pour les migrants ?

Haïti est le théâtre d'une flambée de violences des gangs. La recrudescence des tueries et des exactions a contraint des milliers de civils à fuir la capitale, Port-au-Prince. Certains quittent ce petit État insulaire pour d’autres pays de la Caraïbe ou le continent américain. Ces mouvements de population ont de nombreuses conséquences. Analyse.

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22122021 Haïti États-Unis exode de civils

Photo d'archives du 22 décembre 2021. Un enfant dort sur l'épaule d'une femme. Ils font partie d'un groupe de migrants, dont beaucoup viennent d'Haïti. Del Rio, Texas - États-Unis.

AP/Julio Cortez
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Plus de 33 000 personnes ont fui Port-au-Prince en deux semaines, a annoncé vendredi 22 mars l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). La capitale haïtienne, qui comptait plus de 3 millions d’âmes selon le dernier recensement établi par l'Unicef, s’est progressivement vidée de ses habitants, en raison de la dégradation de la situation sécuritaire. Le pays compte 11,9 millions de citoyens.

"Les attaques et l'insécurité généralisée poussent de plus en plus de personnes à quitter la capitale pour trouver refuge dans les provinces, en prenant le risque de passer par des routes contrôlées par des gangs", a confirmé l'agence onusienne dans un communiqué publié le 22 mars.

La capitale est aujourd’hui cernée par les gangs”, complète de son côté le géographe haïtien et maitre de conférences à l’université Panthéon-Sorbonne à Paris, Jean-Marie Théodat. “Ils ont pris le contrôle des routes d'accès qui mènent à la mer, vers le sud, vers l’ouest du pays. Les gangsters ont quadrillé le territoire de la capitale".
 

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Un exode qui débute à l'intérieur même du pays

Conséquence des attaques répétées : la fuite des habitants de Port-au-Prince vers des provinces éloignées. Au cours du mois de mars, la plupart de civils ont pris la direction des départements du Grand Sud de l’île. Ils s’ajoutent aux 116 000 déplacés ayant déjà fui la capitale les mois passés, indique l’OIM dans un communiqué. Ces "provinces n'ont pas suffisamment d'infrastructures et les communautés hôtes n'ont pas de ressources suffisantes qui peuvent leur permettre de faire face à ces flux de déplacements massifs venant de la capitale", souligne l'OIM.

Mais bon nombre de ces déplacés avaient déjà fui lors de précédentes attaques. Ils se retrouvent aujourd’hui contraints de quitter une nouvelle fois leur domicile. “Les habitants de Port-au-Prince sont pour la plupart des gens issus des zones rurales. Il y a eu un tel afflux de paysans à la capitale que la plupart des habitants sont fils ou petits-fils de paysans ou de migrants”, relève encore Jean-Marie Théodat. 
 

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Une population stigmatisée 

Devant le regain de violences en Haïti, certains habitants tentent aussi de quitter le pays. Leur première destination : les pays voisins comme la République dominicaine, qui compte à ce jour plus de 700 000 ressortissants haïtiens, ou d’autres États situés en mer des Caraïbes. “Ils prennent la direction des Antilles, des Bahamas, de Trinité-et-Tobago”, liste Jean-Marie Théodat. Une importante diaspora haïtienne est aussi installée à Cuba. 


La façon dont on présente les Haïtiens dans la Caraïbe est extrêmement péjorative.

Jean-Marie Théodat, géographe haïtien 

Pour autant, les États caribéens sont-ils prêts à accueillir des réfugiés haïtiens ? Le gouvernement de la République dominicaine, par exemple, construit depuis 2022 un mur de 174 kilomètres le long de la frontière avec Haïti. Il entend ainsi contrôler les migrations. Des mesures de sécurité supplémentaires ont été mises en œuvre en raison du "problème que connaît actuellement notre pays voisin", a déclaré le 13 mars à nos confrères de l'AFP Morlin Fabian Tolentino, commandant d'une unité spécialisée dans la sécurité des frontières de la République dominicaine. 

“La présence haïtienne est sensible à cause de la façon dont on présente les Haïtiens dans la Caraïbe, qui est extrêmement péjorative”, souligne de son côté Jean-Marie Théodat. Selon lui, “aucun pays n’est vraiment disposé à accueillir davantage d’Haïtiens à cause d'une image négative d’un peuple sans culture, miséreux”. À cause de “ce narratif extrêmement péjoratif”, les émigrés haïtiens restent, pour la plupart, cantonnés à des emplois précaires dans leurs pays d’accueil. Jean-Marie Théodat le souligne : “Les Haïtiens sont les soutiers de l'économie touristique des Bahamas : ils sont hommes de ménage, transporteurs, jardiniers… Ils sont coupeurs de canne à sucre en République dominicaine. Ils sont également concernés par le scandale sanitaire du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique puisqu'on les retrouve aussi dans les plantations pour conditionner les bananes”. 

Lire aussi Chlordécone aux Antilles françaises : un non-lieu qui risque d'attiser le "scandale sanitaire"

Les États caribéens s’organisent

En réponse à cette situation, les États membres de la Communauté des Caraïbes (Caricom) se sont réunis d'urgence en Jamaïque, le 11 mars dernier, en présence de représentants onusiens, canadiens, français et du chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken. Il s'agit d'un "moment crucial pour Haïti et aussi pour nous tous", a-t-il déclaré.  

“Notre région n’a qu’un intérêt lorsqu'il s'agit d'Haïti : c'est le peuple haïtien”, indique la Caricom dans un communiqué. “Les chefs de la Caricom ont exprimé leur profonde préoccupation face à la détérioration continue de la situation sécuritaire, humanitaire et politique et au retard persistant dans la sortie de l'impasse politique (...) Ils ont souligné la nécessité critique et immédiate d'une voie politique claire, qui devrait être participative et inclusive”. Le mardi 12 mars, à la suite du sommet de Kingston, Ariel Henry a annoncé sa démission. 

Après plusieurs jours de tractations entre les acteurs haïtiens et internationaux, sous l'égide de Washington, la Caricom, le 15 mars, a annoncé un accord de gouvernance transitoire pour Haïti. Cet accord prévoit notamment la mise en place d'un conseil présidentiel de transition, composé de sept membres. Ils vont assurer l'intérim à la tête du pays, jusqu'à l'organisation d'une élection présidentielle prévue, pour l'instant, d'ici août 2025. C'est le dernier engagement pris par Ariel Henry. 

À voir Haïti : le chaos dans l'attente du conseil transitoire

Qui sont les pays membres de la Caricom ? 

- Antigua-et-Barbuda 
- Barbade
- Belize
- Bahamas
- République dominicaine 
- Grenades
- Guyana 
- Haïti 
- Jamaïque
- Montserrat
- Saint-Christophe-et-Niévès
- Sainte-Lucie
- Saint-Vincent-et-les-Grenadines 
- Suriname 
- Trinité-et-Tobago

Source : caricom.org

Cap sur les Amériques 

En attendant le retour d'une stabilité politique dans le pays et face aux difficultés d’accueil rencontrées dans les Caraïbes, des Haïtiens candidats à l’émigration ont décidé de miser sur le continent américain.

2021 a été marquée dans leur pays par un puissant tremblement de terre le 14 août ; d’une magnitude de 7,2, qui a fait près de 2 300 morts ; et l'assassinat du président Jovenel Moïse.  Cette année-là, "le nombre d'émigrants d'origine haïtienne est estimé à
1 770 000" de personnes estime l’OIM dans son rapport annuel. “Les principaux pays d'accueil étaient les États-Unis d'Amérique, la République dominicaine, le Chili, le Canada, la France, le Brésil et les Bahamas”, précise encore l’OIM.
 

 Le Mexique est le pays qui offre des opportunités qui n'existent pas, je crois, dans d'autres pays.
Evens Luxama, ressortissant haïtien de 34 ans

Ces dernières années, c’est surtout vers le Mexique que sont massivement partis les Haïtiens. Le pays hispanophone, voisin des États-Unis, fait face à des records de flux migratoire, avec des personnes venues d'Haïti, mais aussi du Venezuela, des États-Unis et du Honduras, selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

À l'image de Evens Luxama. À tout juste 34 ans, ce ressortissant haïtien a pris, lui aussi, la direction de Mexico au mois de février 2023. "Je voulais aller aux États-Unis, mais le Mexique est le pays qui offre des opportunités qui n'existent pas, je crois, dans d'autres pays", a affirme à l’AFP le jeune homme, interrogé début 2024. Quand il avait quitté son pays natal, l'ambassade du Mexique à Port-au-Prince était la seule à encore accorder des visas. 

Au total, 141 000 personnes ont déposé une demande d'asile au Mexique cette année-là. La majorité venait d'Haïti, Honduras et Cuba, toujours selon les informations de l’AFP. “Un chiffre sans précédent, dans ce pays qui est traditionnellement une terre de départ ou une route de transit vers les États-Unis ou le Canada”, rappelle l’agence de presse. Face à ce flux, les autorités mexicaines, épaulées par les gardes frontières des États-Unis, ont multiplié les contrôles. Des milliers de migrants - principalement haïtiens, là encore - ont été violemment refoulés. 

À voir Le cauchemar des réfugiés haïtiens à la frontière mexicaine vers les États-Unis

Quelle protection pour les migrants haïtiens ? 

Face à cette situation chaotique et les craintes d'un exode massif, le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR) a mis à jour les directives pour obtenir le statut de réfugié, afin de s’assurer que les Haïtiens les plus vulnérables soient protégés. Dans le même temps, mercredi 20 mars, le HCR a rappelé aux États qu'il est "impératif de garantir que les Haïtiens reçoivent la protection internationale du statut de réfugié dont ils pourraient avoir besoin".

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"La vie, la sécurité et la liberté des Haïtiens sont menacées par une confluence de violences croissantes des gangs et de violations des droits de l'homme", a notamment déclaré Elizabeth Tan, cheffe de la division de protection internationale du HCR, dans un communiqué. "Nous réitérons également notre appel à tous les États à ne pas renvoyer de force les personnes vers Haïti, y compris celles dont la demande d'asile a été rejetée", insiste encore l'agence de l'ONU. En octobre 2023, l’OIM a rapporté que  “plus de 115 000 Haïtiens ont été rapatriés de force depuis les pays voisins” au cours de cette année. “Bon nombre n’ont pas de document d’identité approprié”, précise encore l’agence onusienne.  

À voir Colombie : des migrants haïtiens tentent un voyage périlleux à travers la jungle sur la route de l'exil

Selon le HCR, de nombreux civils haïtiens pourraient bénéficier du statut de réfugié, encadré par la Convention sur les réfugiés de 1951. Ce statut est a priori réservé aux militants politiques, journalistes, juges, avocats et autres personnes luttant activement contre la corruption et la criminalité dans le pays. Mais la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés en Amérique centrale, datée de 1984, étend cette protection internationale “aux personnes qui ont fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur liberté étaient menacées par une violence généralisée, une agression étrangère, des conflits internes, une violation massive des droits de l’homme ou d’autres circonstances ayant perturbé gravement l’ordre public".

En 2023, le HCR avait recensé 312 000 réfugiés et demandeurs d'asile haïtiens dans le monde.