Hamas : l'après Yahya Sinouar

La mort du chef du Hamas, Yahya Sinouar, tué par Israël, a porté un coup sévère au mouvement islamiste palestinien. Si elle laisse un grand vide au sommet du mouvement, ses combattants restent déterminés à se battre.
 

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Yahya Sinouar, le 14 avril 20223 à Jérusalem

Yahya Sinouar, le 14 avril 20223 à Jérusalem.

© AP Photo/Fatima Shbair
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Celui qui est considéré comme l'architecte de l'attaque du 7 octobre 2023 contre Israël, qui a déclenché la guerre à Gaza, avait pris la tête du mouvement en août, après l'assassinat de son prédécesseur Ismaïl Haniyeh. 

Voir Proche-Orient : la mort de Yahya Sinouar

Si sa mort a été présentée comme une victoire majeure par Israël, les analystes estiment que son héritage pourrait inspirer une nouvelle génération de Palestiniens subissant les conséquences des représailles israéliennes.

Quel impact sur le Hamas ?

"Le martyr de notre chef (...) et de tous les dirigeants et symboles du mouvement (...) ne fera que renforcer notre mouvement et notre résistance", a affirmé le 18 octobre Khalil al-Hayya, un responsable du Hamas basé au Qatar. 

La mort de Sinouar a créé un vide dans la direction d'une organisation très structurée. Andreas Krieg, maître de conférences au King's College de Londres

Mais pour l'analyste Andreas Krieg, la mort de Sinouar n'est pas que "symbolique", elle a créé "un vide dans la direction d'une organisation très structurée". Son élimination survient un peu plus de deux mois après l'assassinat, imputé à Israël, de l'ancien chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran. Israël n'a ni confirmé ni nié son rôle dans cet assassinat.

Voir Mort de Yahya Sinouar : "C'est un succès tactique majeur"

Selon l'expert en géopolitique James Dorsey, Yahya Sinouar était "exceptionnel" car il "bénéficiait d'un arge soutien au sein du mouvement, tant de l'aile politique que de l'aile militaire". 

Des divergences étaient déjà apparues dans le passé entre la direction politique du Hamas, en exil principalement au Qatar, et les ailes militaires et opérationnelles à Gaza, selon Andreas Krieg, maître de conférences au King's College de Londres. 

En juillet, Israël a déclaré avoir tué le chef militaire à Gaza, Mohammed Deif, ce que le Hamas n'a pas confirmé. "Différentes cellules du Hamas continueront à se battre, mais au coeur du mouvement, il y a un vide, ce qui rendra la coordination très difficile", estime Krieg.

Qui pour remplacer Sinouar ?

Après la mort d'Ismail Haniye, Yahya Sinouar était parmi d'autres candidats potentiels à la direction du Hamas, comprenant des modérés basés en dehors de Gaza notamment Moussa Abou Marzouk, un conseiller et négociateur, qui était considéré proche de l'ancien chef.

D'autres personnalités en exil comme Khalil al-Hayya, basé au Qatar qui s'est imposé comme le principal négociateur du mouvement dans les pourparlers sur une trêve, et Khaled Meshaal, l'ancien chef du Hamas également basé dans l'émirat du Golfe, pourraient être des successeurs potentiels, selon James Dorsey.

Relire Yahya Sinouar, la tête pensante de l'attentat du 7 octobre

Mais le choix de Yahya Sinouar plutôt que des membres de l'aile politique en août a été largement perçu comme une restructuration du mouvement autour de la lutte armée, centrée sur Gaza.

"Le prochain dirigeant sera inévitablement quelqu'un du niveau opérationnel", prédit Andreas Krieg.
Si le choix se porte sur un homme de terrain, le frère cadet du chef tué, Mohammed Sinouar, apparaît comme un favori. Celui-ci n'a pas le charisme de son frère, mais "il a une bonne réputation (...) en tant que militant et combattant", dit l'analyste.

Le Hamas peut-il s'en remettre ?

Le Hamas "ne peut pas être éliminé", a déclaré le 18 octobre à l'AFP Bassem Naïm, membre du bureau politique du mouvement en affirmant qu'il s'agissait d'"un mouvement mené par des gens cherchant la liberté et la dignité". 

Lire Que sait-on du Hamas, l’organisation à l’origine des attaques terroristes contre Israël ?

La mort de son chef est certes une "défaite tactique et opérationnelle", mais elle "ne va pas changer la résistance armée contre Israël à l'intérieur de Gaza", abonde Krieg.

C'est une génération qui a perdu tout espoir... surtout à Gaza. Quand vous n'avez plus d'espoir, vous n'avez plus rien et nulle part où aller, vous n'avez plus rien à perdre. James Dorsey, spécialiste du Proche Orient

Le Hamas s'est révélé "très résilient", affirme pour sa part Dorsey, en rappelant que son histoire est marquée par "les d'assassinats de ses dirigeants par Israël. Yahya Sinouar vient s'ajouter à cette liste".
Selon ce chercheur basé à Singapour, la guerre déclenchée par l'attaque du 7 octobre 2023 pourrait continuer à renforcer les rangs du Hamas, mais cela résulterait autant du désespoir qui règne à Gaza que de l'influence de Yahya Sinouar. "C'est une génération qui a perdu tout espoir... surtout à Gaza. Quand vous n'avez plus d'espoir, vous n'avez plus rien et nulle part où aller, vous n'avez plus rien à perdre", a déclaré Dorsey.

Quelle conséquence sur l'issue du conflit ?

Après le président américain Joe Biden, Josep Borrell a estimé ce 19 octobre que la mort du chef du Hamas ouvrait "une nouvelle perspective" en vue d'un cessez-le-feu. Mais des analystes soulignent que la disparition de Yahya Sinouar désorganise encore davantage le mouvement, à présent éparpillé en petites cellules, compliquant d'autant de futures négociations.

"Les efforts de négociations étaient précédemment tous basés sur l'idée que Sinouar disposait d'un lien avec la plupart de ceux qui détenaient des otages, et qu'il pouvait façonner leurs actions", résume Jon Alterman, du think-tank américain CSIS. "La photo est bien plus floue maintenant et nous devrions assister à des dénouements variés", ajoute cet expert. Les familles des otages, tout en saluant la mort de Sinouar, ont d'ailleurs exprimé leur "profonde inquiétude" sur le sort de leurs proches.