Fil d'Ariane
Les Etats-Unis n’en ont pas fini avec les Ben Laden. Cinq ans et quelques mois après avoir exécuté Oussama, le fondateur d’Al-Qaida, ils ont annoncé jeudi avoir placé son fils Hamza sur leur liste noire des "terroristes internationaux" (lien en anglais). C’est que le jeune homme s’est signalé depuis 2015 par une ascension fulgurante dans les rangs de la nébuleuse djihadiste. Un développement qui a été suivi avec une grande attention, et une inquiétude croissante, à Washington.
L’affaire remonte à un message audio diffusé en août 2015. Un message au cours duquel le chef actuel d’Al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, n’a pris la parole que pour introduire celui qu’il a appelé le "fils du lion". A la stupeur générale, Hamza ben Laden lui a alors succédé au micro. Après avoir déclaré sa loyauté à son aîné, le jeune homme a salué les différentes "franchises" de sa mouvance, de la Syrie au Yémen et de l’Afrique de l’Ouest au Sous-Continent indien, avec la hauteur d’un dirigeant clé de l’organisation. Puis, fidèle au style et à la vision de son père, il a dessiné un programme extraordinairement audacieux.
"L’islam subit les assauts des croisés", a déclaré Hamza ben Laden, qui a comparé son ennemi à un "oiseau malfaisant", dont la tête est l’Amérique, les ailes Israël et l’OTAN… et le corps les dirigeants musulmans "apostats" liés à l’Occident. L’objectif d’Al-Qaida, a-t-il expliqué, est de détruire la tête, ce qui ne peut manquer de tuer l’animal. Après quoi, selon lui, Israël pourra être rayé de la carte et la mosquée Al-Aqsa "libérée". Une tâche impossible ? Une décennie de guerres désastreuses en Afghanistan et en Irak ont affaibli les Etats-Unis, a souligné l’héritier.Hamza ben Laden est réapparu en juillet 2016, dans un message vidéo intitulé "Nous sommes tous Oussama". Dans la droite ligne de son père, il s’est adressé directement aux puissances occidentales. "Nous continuerons à vous frapper et à vous cibler, sur votre sol comme ailleurs, en réponse à votre oppression des peuples de Palestine, d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak, du Yémen, de la Somalie et du reste des terres musulmanes", a-t-il déclaré. Avant de préciser : "Il ne s’agit pas de venger la personne d’Oussama mais de venger tous ceux qui défendent l’Islam."
Oussama ben Laden a eu une bonne vingtaine d’enfants, dont onze fils. Mais Hamza, son cadet, est rapidement sorti du lot. Particulièrement photogénique, il est apparu très jeune dans des films de propagande, pour servir à la fois de mascotte au mouvement et de modèle aux garçons de son âge. Une vidéo le montre par exemple en Afghanistan peu après le 11 Septembre, une arme à la main, fouillant les débris d’un aéronef en compagnie de trois de ses frères, puis récitant un poème à la gloire de Kaboul et du mollah Omar, le chef du régime fondamentaliste de l’époque.
Contrairement à nombre de ses frères qui ont pris leur distance avec le temps, le jeune homme n’a jamais renié l'"œuvre paternelle". Au contraire. Il s’y est montré année après année plus attaché, comme en témoignent des lettres découvertes par l’armée américaine à Abbottabad, lors du raid qui a conduit au meurtre d’Oussama ben Laden. "Mon cher père, écrit-il en 2009, je ne pouvais pas imaginer la longueur de cette séparation amère quand vous m’avez laissé au pied des montagnes (des années plus tôt). Mais ce qui m’attriste vraiment est que les légions des moudjahidin ont marché et que je ne me suis pas joint à eux."
A environ 25 ans, le plus jeune fils d’Oussama ben Laden constitue une aubaine pour Al-Qaida, qui compte désormais sur lui pour redynamiser son image et refaire son retard médiatique sur l’Etat islamique. "Hamza est doté d’une réelle légitimité aux yeux des djihadistes du fait d’avoir été le fils favori de son père, assure Fawaz Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics. Jeune et charismatique, il est susceptible d’apporter du sang neuf à une organisation qui a souffert ces dernières années d’un manque flagrant de leadership sous la houlette d’un Ayman al-Zawahiri affaibli par l’âge."
Le moment est bien choisi. L’Etat islamique multipliant les revers depuis quelques mois, Al-Qaida a une occasion unique de reprendre l’ascendant sur la scène djihadiste. Son pari est de capitaliser sur une rhétorique un peu moins radicale, en proposant une réislamisation des sociétés arabes dans les frontières existantes, quand son rival vise la destruction des Etats actuels et la fondation d’un califat sur leurs ruines. D’où la sympathie affichée par Hamza ben Laden envers la libération de "la Palestine" et la rébellion "en Syrie".
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La mesure prise contre le "fils d’Oussama» a pour but de lui fermer le système financier américain, en gelant ses biens éventuels aux Etats-Unis et en interdisant toute transaction avec lui. Mais elle risque d’avoir aussi des effets indésirables. "Cela va lui donner plus d’attrait et de notoriété aux yeux de ses partisans, avoue Fawaz Gerges. Il est le nouveau visage d’Al-Qaida."
► Retrouvez l'intégralité de l'article d'Etienne Dubuis sur le site de nos partenaires suisses Le Temps.