Fil d'Ariane
Tout commence en mars 2022, quand une jeune femme de 22 ans porte plainte contre Jacques Bouthier. Elle raconte aux policiers qu'elle vit en captivité depuis cinq ans dans l'un des appartements de l'homme d'affaires, qui l'a sortie du squat dans lequel elle vivait en échange de relations sexuelles. Mais après quelques années, Jacques Bouthier la juge trop vieille. Il exige qu'elle lui trouve une remplaçante plus jeune, pour assouvir ses penchants sexuels. La jeune femme se met donc en quête d'une nouvelle victime et finit par recruter une adolescente de 14 ans, qui vivait elle aussi dans un squat.
La jeune femme montre aux enquêteurs une vidéo dans laquelle ont peut voir Jacques Bouthier au lit avec l'adolescente : cette preuve vidéo marque le point de départ d'une enquête qui mobilise presque toute la brigade des mineurs et débouche sur l'arrestation et la mise en examen de Jacques Bouthier, le 21 mai 2022. Il démissionne de ses fonctions de président d'Assu 2000 mais ne reconnaît pas les faits et évoque un piège pour le faire chanter.
Cinq autres personnes sont mises en examen aux côtés de Jacques Bouthier, pour traite d'êtres humains et viols sur mineures notamment, mais aussi pour une tentative d'enlèvement et de séquestration en bande organisée sur les ordres du patron.
Au courant de l'existence de la vidéo et du risque qu'elle présentait pour lui, Jacques Bouthier aurait monté une équipe chargée d'enlever la jeune femme, de récupérer le film et de la renvoyer de force vers le Maghreb, dont elle est originaire. Parmi les membres de cette équipe on compte l'épouse de Jacques Bouthier, l'une de ses anciennes victimes et trois agents de sécurités salariés d'Assu 2000, dont l'un est un ancien membre du GIGN.
Un autre volet de l'enquête concerne l'aspect financier : une enquête pour "abus de biens sociaux", "recel d'abus de biens sociaux" et "blanchiment en bande organisée" a été ouverte pour déterminer la responsabilité d'Assu 2000 dans les agissements de son ex-PDG.
L'enquête met au jour un vritable système d'exploitation de jeunes filles vulnérables. La méthode était toujours la même : les victimes de Jacques Bouthier, souvent en situation irrégulière ou vivant dans la rue ou dans des squats était chargées de recruter leurs remplaçantes lorsqu'elles-même devenaient trop âgées au goût de l'homme d'affaires. Au moins sept femmes, mineures ou à peine majeures, se seraient succédées dans l'appartement de Jacques Bouthier.
Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Au Maroc, des employés du centre d'appels d'Assu 2000, situé à Tanger, dénoncent elles aussi les agissement de l'ex-PDG. Sept plaintes ont été déposées pour traite d'êtres humains, harcèlement sexuel et violences verbales et morales.
(Re)voir : Maroc : leur PDG incarcéré, des ex-salariées d'Assu 2000 témoignent d'agressions sexuelles
"Les victimes ont décidé de briser la loi du silence et d'autres suivront aussi", a affirmé Me Abdelfattah Zahrach, un avocat des plaignantes, lors d'une conférence de presse à Tanger. Selon elles, le patron se rendait régulièrement au Maroc pour y recruter des victimes au sein du centre d'appel, avec la complicité des managers.
Septs collaborateurs de Jacques Bouthier sont pour le moment impliqués. Cinq d'entre eux ont été traduits devant un juge d'instruction et mis en détention provisoire le 6 juillet dernier. Ces salariés du groupe -cinq Marocains, dont deux femmes, et un Français - auraient "recruté et préparé psychologiquement les filles pour la venue du patron" selon une autre avocate membre de l'AMDV, Karima Salama.
Plusieurs plaignantes ont déjà fait état de harcèlement sexuel systématique, de menaces et d'intimidations au sein d'Assu 2000 à Tanger, et ce dans un climat de précarité sociale.
Elles ont dit avoir été licenciées après avoir refusé de "céder au harcèlement et au chantage" de M. Bouthier "et de ses complices" parmi les cadres français et marocains de la société d'assurances implantée à Tanger. Des confessions rares au Maroc où les victimes d'abus sexuels restent souvent stigmatisées par la société.
Samedi, lors de la conférence de presse, les jeunes femmes témoignant sous couvert de l'anonymat ont dénoncé une "campagne d'intimidation dans les médias et sur les réseaux sociaux" menée par "le clan Bouthier".
"Le cauchemar continue, ils (des responsables de l'entreprise, NDLR) nous ont menacées, insultées et même tenté de nous soudoyer mais sans succès!", a raconté l'une d'elles. "Malgré les difficultés, nous n'allons pas reculer. On ne s'arrêtera qu'une fois que la 'mafia Bouthier' sera derrière les barreaux", a juré une autre.