A 4kms de la frontière turque, dans la province d’Idelb, Harem est un verrou stratégique pour les troupes de Bachar Al Assad. Les rebelles ont assiégé la ville en septembre et clament l’avoir « libérée » le 30 octobre. Mais le régime lui, intensifie ses raids aériens dans la citadelle où demeurent les dernières poches de combat. Patrouille dans la ville avec le commandant du Bataillon, le général Bassil Isa qui sera abattu le lendemain par les avions d’Al Assad.
« Il y a encore des combats dans la citadelle mais le centre de la ville est sécurisé. Nos soldats de l’Armée Libre contrôlent 6 routes d’accès sur 7. Vous pouvez y aller » assure le colonel Shihab, talkie walkie en main, sous une tente en bord de route surplombant Harem. « Mais on n’est jamais à l’abri de bombardements aériens » lâche-t-il, regardant le ciel, et se rappelant que la veille, une seule bombe visant la mosquée avait fait 70 morts. « Aujourd’hui, inch’allah, la situation est calme ». Cet ancien responsable d’une société de transport à Alep, est responsable de la logistique et des blessés. Et expédie une kattiba (brigade) sur Harem. « Montez avec eux » m’enjoint-il. Quatre jeeps enfournent les virages à toute blinde jusqu’au siège de l’ASL – un ancien bâtiment administratif désormais flanqué du drapeau de la Syrie libre et où le nom de leur Bataillon, Shuhada, est inscrit sur tous les murs. Là, descendant les marches, le général Bassil Isa, à la corpulence impressionnante, vient de finir son point quotidien avec ses hommes.
Cet ancien ingénieur en mécanique, est un héros reconnu dans les rangs des combattants. Après un premier succès sur la ville d’Idleb en mars, il a restructuré ses troupes avec un commandement hiérarchique plus opérationnel. Ce qui lui a permis une belle victoire sur la ville de Armanaz en juin, où ses troupes ont vaincu 400 soldats du régime. En juillet, il prend la ville de Salqin puis le mois suivant, prend d’assaut Harem que son bataillon a « libéré » il y a dix jours.
Patrouille
Nous sautons dans son 4x4 sillonner la ville… Il a le sourire et répète fièrement que ses troupes ont libéré la ville il y a peu, après deux mois de combats acharnés entre les forces d’Al Assad. Puis met un disque de chants traditionnels syriens en allumant une énième cigarette. Etonnant contraste avec ce qui défile devant nous. Des décombres, des murs déchirés, des fils électriques flottant à l’air libre. Sur la route, des douilles, des obus de mortier, des chaussures, du sang encore frais et des lambeaux de chair humaine où s’agglutinent des mouches. « Vous voyez ce désastre» se désole le général pointant la mosquée et les immeubles en poussière encore fumants, qui hier l’entouraient. Ahmet, 47 ans, a survécu. De rage, il se tape la tête. Et implore le ciel les bras ouverts : « Al Assad détruit tout ! Il a sombré dans la barbarie ». La gorge nouée, il ne parvient plus à parler. Si sa famille est partie il y a longtemps, lui est resté pour aider les civils et l’armée libre. A deux rues de là, dans la cour d’un immeuble miraculeusement intact, une femme et ses deux enfants équeutent des haricots. Le canon d’un tank est encore pointé sur le bâtiment. « L’armée libre les a arrêté in extremis, tuant 5 soldats à bout portant. Les autres ont fuit de trouille ». Elle ne semble pas inquiète. Et sourie même, avant de lâcher fatalement : « nos vies sont entre les mains d’Allah ». Dans cette ville fantôme (90% de la population ayant fuit dans des villages voisins ou en Turquie, à 18 kms d’ici), quelques rares hommes boivent le thé sur un tabouret en plastique devant leurs maisons encore debout. Seuls les rebelles sont visibles, kalachnikov en bandoulière et en civil pour la plupart. Certains jouent aux cartes, décontractés. D’autres dévalent les ruelles à trois sur un scooter donnant l’impression de s’amuser. D’autres s’assurent par téléphone que les combattants dans la citadelle ont des munitions.
Distribution de nourriture
Au volant de sa voiture, Bassil décroche l’un de ses quatre téléphones portable posés devant lui qui sonnent en permanence. « Ah enfin ! » lance-t-il. « De la nourriture est arrivée au QG. Il est urgent d’aller aider la population qui n’a rien mangé depuis 5 jours». Sur ce, il fait crisser ses pneus et fonce vers le QG. Ici, aucune échoppe n’a survécu. Ni nourriture, ni eau, ni quoi que ce soit ! Tout vient de la ville enclave d’Atmeh et de la Turquie voisine. Il inspecte d’un coup d’œil les vivres arrivés et ordonne à ses gars de se dépêcher. Ils bourrent les coffres de sacs de viande, de pain, de conserves, de bidons d’eau et de paquets de cigarette… Et annoncent par haut parleurs leur venue. On voit alors sortir des maisons des femmes et des fillettes. Un gamin vient même chercher des bidons d’eau en poussette. «Il n’y a pas d’électricité pour cuire la viande alors on va improviser un barbecue. » sourie-t-il, faisant le V de la victoire avec ses doigts.
Entre obus de mortiers et raids aériens
L’armée gouvernementale ne laissera pas ce « verrou » qu’est Harem lui échapper. La province d’Idleb est aujourd’hui à l’avantage des forces rebelles qui si elles gagnent cette localité, contrôlent alors l’accès de la Turquie (depuis cette province frontalière de Hatay où l’ASL a son QG et le noyau dur de son commandement à Apaydin) jusqu’à Alep, et au-delà. Si dans les rues de Harem, la situation semble calme, du moins le jour où nous patrouillons, les combats dans la citadelle grondent et assourdissent notre discussion avec le général. Lequel raccroche son talkie walkie, et ordonne sur le champ à une dizaine d’hommes de se poster sur leurs bases arrière. Depuis le toit des maisons,munis de Doushka et de Katioucha, ils répliquent à des tirs de mortiers de l’armée d’Al Assad. « Partons d’ici » lance-t-il avec fermeté. « Les pro Assad peuvent nous viser à tout moment. Il y a des civils dans Harem qui le soutiendront jusqu’au bout, et ils sont armés. Regardez ce mur ! Il y a deux jours il n’y avait rien» pointe-t-il du doigt. Sur un pan de mur, on peut lire « Bachar, ne t’inquiète pas. On boira le sang des rebelles jusqu’à la dernière goutte ».
Redémarrant nerveusement son 4x4, il freine pile devant une maison intacte, petite et quelconque. Un repaire où il s’entretient avec son cercle proche. « Au sol, nous sommes plus forts. Le problème, ce sont les frappes aériennes. On doit changer de tactique. Dans trois jours, la citadelle sera entre nos mains ». C’est tout ce qu’il dira. Dans le ciel, un hélicoptère d’Al Assad survole la ville… Et s’en va. Bassil est tendu. Le lendemain, il sera pris pour cible dans ce même repaire, et mourra dans un bombardement aérien avec 20 de ses hommes. Il n’aura pas libéré Harem.
Des agriculteurs “passeurs“ à la frontière Turco-Syrienne
Entre la province turque d’Hatay et la province syrienne d‘Idleb près de 300 kms de frontière séparent les deux pays. De part et d’autre, des terres agricoles, où l’on franchit la frontière illégalement. Un business juteux pour certains. Haçipaça, une localité turque à flancs de montagne, est entourée de vergers où les grenadiers croulent sous le poids des fruits bien mûrs que personne ne semble venir cueillir. Devant nous, un sentier de terre rouge barrée par des barbelés. De l’autre côté, la Syrie. Par endroits, la clôture est détruite : volontairement pour permettre les franchissements illégaux de frontière. « Il y a plus de 200 Syriens qui passent chaque jour par ce trou que vous voyez dans la clôture » pointe avec son index Ahmet, propriétaire des lieux. « Avec les obus qui peuvent tomber sur nos villages, je n’ose plus trop m’aventurer dans mes vergers. Surtout pour ce que me rapportent les grenades ! ». Costume et souliers cirés, ce quarantenaire très élégant pour un agriculteur continue de venir sur ses terres. Mais pour une toute autre activité. « Je suis devenu passeur » chuchote-t-il alors que les lieux sont déserts. « J’aide des civils turcs et syriens qui viennent voir de la famille, des soldats de l’armée libre qui font passer des vivres et de la logistique et aussi les médias étrangers à qui je prends 100 $ par personne, par passage. On passe aux heures où l’armée turque alterne ses gardes frontières ». Et le commerce est encore plus lucratif pour les Syriens. De l’autre côté des barbelés, Alaa est lui aussi passeur. « Avant la guerre, j’étais agriculteur. Aujourd’hui, j’ai changé de métier » lance t-il avec ironie. « Du côté syrien, on ne peut pas rester à pied et isolés à la frontière. Il faut au moins aller à Atmeh, à 6 kms. A chaque passage, je compte donc en plus le trajet en voiture. Je me fais plus de 300 $ par jour et gagne bien ma vie grâce aux journalistes !»