Hausse des frais scolaires : les universités peuvent-elles boycotter la décision de l'État ?

A la rentrée 2019, les frais de scolarité en France pour certains étudiants étrangers, hors Union européenne, seront multipliés par dix. Une décision du gouvernement d'Edouard Philippe qui a du mal à passer. Plusieurs établissements publics de l'enseignement supérieur ont décidé purement et simplement de la boycotter. Sont-ils hors-la-loi ? Tentons d'y voir clair...
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Université Tolbiac
L'université de Panthéon I Paris-Sorbonne, décembre 2018
©Associated Press / Christophe Ena
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"Bienvenue en France", c'est le nom de la stratégie d'attractivité lancée par le gouvernement en novembre 2018 pour inciter les étudiants étrangers à étudier sur le territoire... Bienvenue, vraiment ? Avec l'augmentation des droits de scolarité pour les étudiants résidant hors Union européenne, le slogan est difficilement compréhensible.

Ces frais vont passer de 170€ à 2770€ en licence et de 243€ à 3770€ en master et doctorat. L'UNEF y voit une discrimination évidente. Pour le syndicat étudiant, cela fermera la porte à de nombreux étudiants venus de pays hors Europe.
 


Et c'est aussi ce que craignent les étudiants venus d'Afrique que nous avons rencontrés. Des étudiants, la plupart francophones, qui représentent plus de 40% des effectifs étrangers en France. 
 

La fronde des universités

Face à cette inquiétude, plusieurs universités ont décidé de ne pas appliquer la décision du gouvernement, telle l'Université Lumière Lyon 2. Dans un communiqué, elle explique que la mesure prise à l'automne "remet en cause le principe d'une université française ouverte à tou.tes ainsi que la stratégie internationale de la France en matière d'accueil des étudiant.es étranger.es, de développement de la Francophonie et d'attractivité de la recherche française." Et de poursuivre : "l'augmentation des droits d'inscription ne paraît ni pertinente, ni juste car elle concerne des étudiant.es parmi les plus fragiles et bat en brèche le principe d'égalité de traitement entre usager.es du service public de l'enseignement supérieur et de la recherche."

Des arguments qui ont poussé Lyon 2 et une douzaine d'autres universités à boycotter la mesure. Le 10 janvier, la conférence des présidents d'université a rappelé son opposition et appelle à un véritable dialogue avec le ministère de tutelle. Elle réclame en outre que la mesure soit suspendue.

Concertation oui mais suspension non : le gouvernement ne veut pas en entendre parler.

Recadrage de la ministre

Lors d'une séance de questions au Sénat, le 16 janvier dernier, la ministre de l'Enseignement supérieur s'est livrée à un véritable recadrage. Les universités, explique Frédérique Vidal, sont "des établissements publics, opérateurs de l’État. Il est évidemment essentiel que, en leur sein, les fonctionnaires d’État que sont l’ensemble des présidents d’université, des professeurs, des maîtres de conférences et la très grande majorité des personnels administratifs, techniques et de bibliothèque, déclinent les politiques publiques décidées par l’État.. Et d'ajouter que "tout fonctionnaire doit respecter ce devoir d’obéissance et de loyauté."

Cette fronde des universités est-elle hors-la-loi ?

Des établissements publics peuvent-ils se rebeller contre leur employeur, à savoir l'État français ? Deux jours après la mise au point de la ministre, le Conseil d'administration de l'Université Aix-Marseille reste décidé à ne pas laisser passer une décision qui nécessite "une large concertation".  "Si l’augmentation générale des droits d’inscription entre en vigueur", explique l’établissement, il "utilisera toutes les possibilités règlementaires qui lui seront offertes pour permettre aux étudiants internationaux extra-communautaires concernés de bénéficier du maintien du régime tarifaire actuellement appliqué."

En l'absence de texte contraignant, les universités envisagent d'appliquer le décret relatif à l'exonération des droits de scolarité dans les universités datant de 1984. Cette exonération concerne notamment les étudiants qui en font le demande "en raison de leur situation personnelle, notamment les réfugiés et les travailleurs privés d'emploi."
En faisant valoir cela les universités restent dans la légalité.... jusqu'à ce qu'un décret du gouvernement sur l’augmentation des droits soit publié. Cela ne devrait pas être le cas avant la fin de la concertation finalement engagée avec les établissements du second degré jusqu'à la mi-février.

Mais pour les étudiants concernés le temps est compté. D'autant plus qu'ils doivent faire parvenir leurs dossiers d'inscription avant le 1er février. La menace d'une augmentation conséquente des droits de scolarité en a peut être déjà fait fuir certains. Ce que redoutent les universités.