Fil d'Ariane
Un homme se tient debout dans une rue marquée par les bombardements de l'armée azérie à Stepanakert, la capitale de la république autoproclamée du Haut-Karabakh peuplée d'Arméniens, le 6 octobre 2020.
4400 mètres carrés sur lesquels la communauté internationale a les yeux rivés depuis dix jours. Mais pour la population du Karabakh ("le jardin noir" en turco-persan), majoritairement arménienne chrétienne, les guerres qui opposent les forces séparatistes soutenues par Erevan et l’armée azérie ne font que se succéder. Pour comprendre l’origine du conflit, il faut alors remonter à la création de l’Union Soviétique, dont les deux pays ont fait partie.
Début des années 1920, Staline est à la tête de l’URSS. En plus de vouloir créer le plus grand Etat fédéral transcontinental communiste, il décide en 1921 de rattacher la région du Haut-Karabakh, dont la population est déjà majoritairement arménienne chrétienne, à l’Azerbaïdjan, à majorité musulmane chiite. Un mariage forcé qui dure alors presque 70 ans. Ce n’est qu’en 1988, dans le climat libéral de la Perestroïka de Gorbatchev, que les dirigeants du Karabakh décident de faire sécession avec l’Azerbaïdjan et votent leur rattachement à l’Arménie, provoquant des nombreuses offensives des deux pays.
En 1991, lors de l’effondrement de l’URSS, le Haut-Karabakh proclame unilatéralement son indépendance. Ajouté à cela, "son armée décide d’occuper des districts de l’Azerbaïdjan, qui n’avaient alors jamais fait partie de la région autonome du Karabakh" précise Jean Radvanyi, géographe spécialiste du Caucase et professeur émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris. Démarre alors une guerre qui durera trois ans et fera presque 30 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés.
Les violents affrontements entre les deux armées inciteront la communauté internationale à réagir. C’est ainsi qu’en 1992, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) décide de créer le Groupe de Minsk, une organisation européenne coprésidée par la France, les Etats-Unis et la Russie, chargée d’établir des négociations et de trouver une issue pacifique au conflit. En 1994, l’instance européenne arrive à imposer un cessez-le-feu, sans pour autant résoudre le conflit. En 2016 notamment, une attaque azérie lance le début de la "guerre des Quatre Jours" qui fera une centaine de morts.
Mais alors, à qui appartient la région du Haut-Karabakh, grande comme le Luxembourg au regard du droit ? "Ce sont deux principes internationaux qui s’affrontent" explique Jean Radvanyi : "Il y a d’abord l’intangibilité des frontières internationales, et dans ce cadre, c’est l'ensemble des territoires contestés qui appartient à l'Azerbaïdjan. Mais il y a aussi le principe du droit des peuples à l'autodétermination, qui a régné sur toute la période de la décolonisation. Et les Arméniens s'en réclament, en disant qu’ils sont majoritaires depuis longtemps sur le territoire, et qu’ils ont droit à réclamer leur indépendance ou à se rattacher à l'Arménie."
Pour les Azéris comme pour les Arméniens, le Haut-Karabakh appartient au patrimoine national. […] Et comme les négociations n'aboutissaient pas, les Azéris ont brandi la solution militaire depuis des années.
Jean Radvanyi, professeur émérite à l'Inalco
Région agricole, parsemée de vignes et de vergers, le Haut-Karabakh ne se retrouve pas convoité pour ses sous-sols riches en minerais ou en hydrocarbures. Ses hautes montagnes ne permettraient même pas d’en faire une voie de transit pratique. Ce n’en est pas moins "un territoire historiquement symbolique pour les deux peuples" précise Jean Radvanyi. "Pour les Azéris comme pour les Arméniens, le Haut-Karabakh appartient au patrimoine national. […] Et comme les négociations n'aboutissaient pas, les Azéris ont brandi la solution militaire depuis des années". Un recours avantageux pour le pays turcophone qui bénéficie d’un budget militaire dix fois plus élevé que l’Arménie et qui dit avoir fait l’acquisition de drones israéliens.
Depuis dimanche 4 octobre, les bombardements touchent les villes de part et d’autre de la ligne de front, sur une zone de guerre qui s’élargit un peu plus chaque jour, hors du Haut-Karabakh. La capitale du Haut-Karabakh, Stepanakert, est particulièrement touchée, poussant ses 55 000 habitants à trouver refuge dans les sous-sols de la ville.
Le président de la république autoproclamée, Arayik Haroutiounian, a, lui, revendiqué une riposte sur la deuxième ville d’Azerbaïdjan, Ganja, blessant des dizaines de personnes. Le 7 octobre, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian dénonçait l'implication militaire turque qui "risque d'alimenter l'internationalisation du conflit". Quelques jours auparavant, la présence combattants syriens pro-turcs avait suscité une réaction de la part d’Emmanuel Macron qui avait ordonné "des explications" à la Turquie. Le 5 octobre, le bilan du conflit faisait état de 245 morts.
A l’international, la reprise du conflit a suscité de nombreuses réactions, notamment en raison de l’importante diaspora arménienne, estimée à 7 millions de personnes dans le monde, et des forts liens diplomatiques que les deux pays entretiennent avec diverses puissances économiques.
Voir aussi : Haut-Karabakh : des volontaires de la diaspora arménienne reviennent pour s'enrôler dans l'armée
Alors que le Conseil de Sécurité de l’ONU a réclamé le 30 septembre un "arrêt immédiat des combats", la Turquie a préféré réitérer son soutien à son allié azéri en condamnant les attaques "arméniennes". Pour Jean Radvanyi, Recep Tayyip Erdogan voit dans ce conflit un véritable espoir d’expansion panturquiste : "le président turc a un problème de mobilisation, il est contesté politiquement, les élections [de 2019] ont pu en témoigner. […]". Le conflit du Haut-Karabakh serait alors une occasion pour remobiliser sa base nationaliste en ranimant "le vieux rêve de créer un espace turc contigu depuis la Turquie jusqu’au Xinjiang, en passant par l'Azerbaïdjan jusqu'en Asie centrale".
La Russie, allié et exportateur d’armement vers les deux pays, adopte un discours plus modéré. Peu de temps après les premières attaques, Vladimir Poutine a appelé le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, afin de lui demander de "désamorcer la crise" aussi vite que possible. Depuis 2002, les deux pays sont en effet partenaires militaires au sein de l’organisation du traité de sécurité collective (avec la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan), qui induit la défense immédiate de l’intégrité et la souveraineté d’un pays membre qui se retrouverait attaqué.
(Re)voir: Affrontements dans le Haut-Karabakh : vers un face-à-face entre la Russie et la Turquie ?
La crainte à l’international porte aussi sur la régionalisation du conflit. Une guerre dans le Caucase du Sud pourrait mettre en porte-à-faux toute une région transitoire, qui achemine gaz et pétrole à de nombreuses puissances économiques dont l’Union européenne (90% des exportations de l’Azerbaïdjan sont constituées d’hydrocarbures). La réponse diplomatique reste cependant très discrète depuis le début des combats, alors que les bombardements s’intensifient de jour en jour, et que les deux camps ne semblent vouloir accepter aucun compromis.
1921 : rattachement du Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan décidé par Staline.
1988 : le Haut-Karabakh se révolte contre la tutelle azérie et vote son rattachement à l’Arménie.
1991 : avec l’effondrement de l’URSS, le Haut-Karabakh proclame son indépendance unilatéralement. C’est le début de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
1992: création du groupe de Minsk, coprésidé par la France, la Russie et les Etats-Unis, chargé de trouver une issue pacifique au conflit.
1994: signature d’un cessez-le-feu entre les dirigeants de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et du Haut-Karabakh. La guerre aura fait près de 30 000 morts.
2016 : de nouveaux affrontements éclatent au Haut-Karabakh. La "guerre des quatre jours" fera une centaine de morts dans les deux camps.
27 septembre 2020: reprise des combats au Haut-Karabakh.