Fil d'Ariane
C’est l’une des dernière grandes ombres du siècle passée qui s’efface, à peine compréhensible dans l’ordre mondial qui s’est redessiné depuis. Un homme de la guerre froide passé, avec moins de succès, sur l’autre rive. S’il fut in fine l’une des figures les plus marquante de l’Europe d’après-guerre, Helmut Kohl le doit sans doute moins à son charisme personnel qu’au destin de son pays, qu’il a su infléchir à des moments décisifs.
Né en 1930 dans une famille chrétienne et conservatrice du Palatinat rétive au nazisme, il est enrôlé comme ceux de sa génération vers la fin de la seconde guerre mondiale – dans laquelle il a perdu son frère – mais ne participe à aucun combat. La paix revenue, il adhère à l’Union chrétienne démocrate d’Allemagne, la CDU naissante d’Adenauer, qu’il ne quittera plus.
Il y fait rapidement carrière, devenant dès 1953 membre de son comité directeur de Rhénanie-Palatinat tout en poursuivant ses études d’histoire et de sciences politiques. Il en est élu député en 1959, à vingt-neuf ans. Débuts d’une ascension politique presque sans accroc qui le voit accéder à la chancellerie en 1982, à la faveur d’un coalition avec les libéraux. Kohl devient, selon le mot de son prédécesseur Helmut Schmidt lors de la passation de pouvoirs, «le premier représentant de la génération d'après-guerre à prendre place dans le fauteuil de chef du gouvernement allemand».
De sa jeunesse dans une région frontalière dévastée par les conflits comme de sa formation d’historien, Hemut Kohl conserve la conviction que la réconciliation franco-allemande est une chose sérieuse nécessitant un soin prioritaire. Le 22 septembre 1984, il célèbre avec François Mitterrand, au mémorial de Verdun, le souvenir des soldats français et allemands tombés durant la Première Guerre mondiale.
Près de vingt ans après le Traité de l’Elysée et la fameuse accolade De Gaulle – Adenauer, l'image émouvante des deux hommes d'État main dans la main durant la cérémonie fait le tour du monde et devient le symbole de l’amitié gagnée des ennemis d’hier.
La chute du mur de Berlin va pourtant confronter celle-ci à une nouvelle épreuve. Peu de dirigeants occidentaux croient alors à la réunification allemande qui suscite encore la méfiance. Nourrie par des souvenirs fâcheux, l’inquiétude de voir renaître un nouveau géant de 80 millions d’habitants devenant aussitôt la première puissance économique du continent persiste chez beaucoup de Français – dont sans doute, même s’il s’en défendra, Mitterrand lui-même – qui font leur la phrase prêtée à l’écrivain gaulliste François Mauriac : « J'aime tellement l'Allemagne que je préfère qu'il y en ait deux ».
Servi par la victoire en RDA des démocrates-chrétiens et leurs alliés (mars 1990), Kohl prend tout le monde de court. Un traité d’union monétaire est signé (1er juillet), suivi moins de deux mois plus tard, dans la torpeur de l’été, d’un traité d’unification (août 90). Avec plus ou moins d’enthousiasme, l’Europe et ce qui reste d’URSS s’inclinent devant un fait accompli … en moins de six mois.
L’auréole d’ « artisan de la réunification » ne suffira pas à mettre à l’abri le chancelier vainqueur mais vieillissant des turpitudes de la politique. S’il remporte encore, sur le front européen, le succès avec François Mitterrand du traité de Maastricht annonçant l'avènement d'une monnaie unique aux allures de Deutschmark, l’absorption de l’Allemagne de l’Est – qui voit disparaître son système social protecteur - a un coût économique qui se traduit entre autre par une montée du chômage. La CDU accumule les revers électoraux et son rival du SPD (social-démocrate) gagne les élections de 1998. Helmut Kohl perd le pouvoir après seize ans d’exercice, échouant, comme on lui en prêtait l’espoir, à battre le record des dix-neuf ans de Bismarck... un siècle plus tôt.
Sa retraite du pouvoir lui-même est vite aggravée du « scandale des caisses noires » impliquant son parti sous sa direction. L’ex-chancelier est poursuivi, et devra s’acquitter d’une lourde amende. Il abandonne en 2000 la présidence d’honneur de la CDU et se retire de la vie politique. Un accident vasculaire le cloue en 2009 sur un fauteuil.
Dans quelques uns de ses rares entretiens délivrés dans ces années, il égratigne sévèrement Angela Merkel – qui lui doit son ascension dans les années 90 mais l’avait sacrifié dans les scandales de 1998 -, déplorant, outre une certaine rusticité (« elle ne savait pas manger correctement avec un couteau et une fourchette ») son manque de sens politique à ses yeux en matière européenne : « elle n’a pas d’intuition ». Réponse embarrassée de la chancelière alors déjà aux prises avec ... la Grèce : « chaque époque à ses défis spécifiques ».