Hirak en Algérie : ce que dit l’enquête d’Amnesty International sur la torture et les mauvais traitements

Dans un rapport publié cette semaine, à l’occasion du deuxième anniversaire du déclenchement, en février 2019, du Hirak, Amnesty International « a recueilli des informations concernant les cas de trois militants, arrêtés et placés en détention parce qu’ils avaient exprimé leur opinion ou avaient manifesté sans violence, qui auraient été torturés ou, plus généralement, maltraités. »
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Manif
Manifestant.e.s du Hirak réuni.e.s le 16 février 2021, à Kherrata, à 300 km à l'est d'Alger, en Algérie.
© AP Photo/Fateh Guidoum
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En dépit de la libération récente d’une quarantaine de militants emprisonnés, dont notre confrère Khaled Drareni, correspondant de TV5MONDE à Alger, et de la promesse, par le président Abdelmadjid Tebboune de nouvelles élections, le Hirak, mouvement de protestation pacifique contre le système politique algérien, reprend de la vigueur. Au risque de voir se poursuivre la répression féroce entreprise ces derniers mois par le régime en place. 

Des détenus auraient été torturés ou maltraités

Dans cette enquête qui porte sur 73 cas individuels, Amnesty International démontre qu’au cours des deux dernières années, le pouvoir algérien a multiplié les arrestations arbitraires, les poursuites et les condamnations à de très lourdes peines à l’encontre de toutes les personnes qui participent à des manifestations pacifiques, ou qui expriment tout aussi pacifiquement leurs opinions sur Facebook. Mais surtout, l’organisation de défense des droits de l’Homme affirme que trois de ces détenus auraient été torturés ou maltraités. 

Tebboune
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d'un discours au palais présidentiel, à Alger, le 19 décembre 2019.
© AP Photo/Toufik Doudou

Originaire de Ain Temouchent, dans l’ouest du pays, Mohamed, 30 ans, (son nom a été changé afin de garantir son anonymat) a été arrêté à son domicile le 30 avril 2020. Au cours d’un entretien téléphonique avec les enquêteurs d’Amnesty, il a déclaré : « J’ai aperçu les policiers par la fenêtre. L’un d’eux m’a demandé de sortir pour qu’il puisse me remettre une convocation. Je suis donc sorti. Dehors, je me suis retrouvé face à quatre hommes, plus le chauffeur. Un type de la brigade de recherches et d’investigations m’a donné un coup de pistolet paralysant. Il m’a demandé si je savais ce que c’était, puis il m’a dit que si je ne sortais pas pour aller les voir, il me tuerait. J’ai demandé ce que j’avais fait, mais ils ne m’ont pas répondu. » 

Présenté à un juge d’instruction le 3 mai 2020, Mohamed a été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement. Deux mois plus tard, le 3 juillet 2020, il a été libéré après la grâce accordée par le président Abdelmadjid Tebboune. 

Des interrogatoires musclés

Autre témoignage saisissant, celui de Brahim Daouadji, 37 ans, membre du mouvement politique Rachad, une organisation classée comme islamiste et dangereuse par les services de sécurité algériens. Selon les informations recueillies par Amnesty International, Brahim Daouadji est arrêté le 6 mars 2020 alors qu’il déjeunait avec d’autres militants dans un restaurant, après une manifestation estudiantine à Alger. Conduit à la gendarmerie de Bab Jdid, à la périphérie de la capitale algérienne, il subit un interrogatoire musclé au cours duquel il était frappé lorsqu’il refusait de répondre aux questions des gendarmes. 

Lire aussi : "Le pouvoir n'a qu'une alternative, la répression"

Libéré le même jour, dans la soirée, vers 21 heures, Brahim Daouadji publie immédiatement une vidéo dans laquelle il dénonce ses conditions de détention. Une dizaine de jours plus tard, alors qu’il circule à Mostaganem, dans l’ouest de l’Algérie, sa voiture est prise en chasse par la police. Très vite, il se retrouve encerclé et les policiers lui demandent de descendre de son véhicule. Face à son refus d’obtempérer, les policiers ont brisé la vitre et l’ont extrait de force de la voiture. Ces derniers lui auraient ensuite passé une capuche sur la tête, avant de l’interroger sur la vidéo qu’il avait mise en ligne. 

(Re)voir : "Ces figures du Hirak libérées de prison"

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Pendant tout le temps qu’a duré son interrogatoire, Brahim Daouadji n’a pas été autorisé à prévenir sa famille. Puis, il a été conduit de Mostaganem à Oran, et d’Oran à Alger. Transféré dans un centre de sécurité du Département du renseignement et de la sécurité algérien, Brahim Daouadji refuse de déverrouiller son téléphone portable.

« Tous les agents ont quitté la pièce où je me trouvais, sauf un, qui est resté, a-t-il confié aux enquêteurs d’Amnesty International. Il m’a fait sortir dans la cour et m’a déshabillé, en ne me laissant que mes sous-vêtements, et il m’a dit que j’allais rester comme ça, que, puisque je ne voulais pas coopérer avec eux, ils allaient me maltraiter. On m’a laissé nu dans la cour. Au bout d’un moment, on m’a rendu mes vêtements. Puis les policiers ont recommencé à m’interroger. Ils m’ont frappé au niveau du cou. »

Le 18 mars, Brahim Daouadji a enfin été autorisé à contacter sa famille. Ses avocats ont alors demandé au juge qu’il soit examiné par un médecin susceptible de constater les traces éventuelles de torture et de mauvais traitement. Non seulement sa requête est rejetée, mais il est inculpé pour « insulte envers l’armée » (article 74 du Code pénal) et « d’atteinte à l’unité nationale » (article 79 du Code pénal). Le 9 avril 2020, Brahim Daouadji est condamné à six mois d’emprisonnement par le tribunal de Sidi M’hamed, près d’Alger. Une peine réduite à trois mois en appel.

Walid Nekkiche, un cas emblématique 

Cependant, au cours des derniers mois, le cas de torture et mauvais traitement le plus emblématique reste sans conteste celui de Walid Nekkiche. Cet étudiant de 25 ans est arrêté le 26 novembre 2019, à Alger, à la suite d’une manifestation estudiantine dans le cadre du Hirak. Son avocate, Me Nacera Haddouche, a affirmé aux enquêteurs d’Amnesty International qu’il a passé six jours en détention au centre de sécurité Antar, à Alger. Le prévenu quant à lui a confié au juge en charge de son affaire qu’il a été « exposé à des actes de torture physique et verbale » pendant sa détention. 

(Re)voir : "Algérie : l'affaire Nekkiche, un scandale judiciaire qui secoue le pays"

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Selon Amnesty International qui a pu consulter la plainte déposée par son avocate, Me Nacera Haddouche, Walid Nekkiche « a été soumis à plusieurs séances de torture entre le 26 novembre et le 2 décembre 2019. » Et malheureusement, malgré leurs demandes, le juge a refusé d’ordonner un examen médical. Finalement, Walid Nekkiche a été condamné le 2 février 2021 par le tribunal de Dar El Beïda, à six mois d’emprisonnement. Néanmoins, devant le tribunal, le jeune homme a réaffirmé ses accusations d’abus physiques, sexuels et verbaux durant sa détention. Le 8 février 2021, le ministère public d’Alger a ordonné  « l’ouverture d’une enquête sur les allégations  d’actes de torture dont aurait été victime Walid Nekkiche. »