Carlos Abrego, écrivain et journaliste salvadorien, correspondant à Paris pour le supplément culturel de Co-Latina.
Que pensez-vous de l'appel à l'insurrection lancé par Manuel Zelaya depuis le Guatemala ? Je ne crois pas que l'insurrection va se produire. Il n'y a ni armes ni organisations au Honduras pour qu'une telle chose puisse avoir lieu. Mais cet appel me paraît juste puisque les putchistes ont pris le pouvoir par la force. Croyez-vous que la médiation mise en place par le Costa Rica peut aboutir ? Je pense que cette médiation ne sert qu'à prolonger la situation actuelle et à maintenir les putchistes au pouvoir. C'est une stratégie pour arriver jusqu'aux élections de novembre prochain. Ceux qui ont fait le coup d'Etat ne vont pas se retirer par eux-mêmes. Ils restent assez intransigeants et n'ont pas de très bonnes relations avec les États-Unis. L'ancien ministres des Affaires étrangères de Micheletti a même prononcé des insultes racistes à l'égard de l'administration américaine. Une intervention américaine serait-elle la solution ? Cela pourrait en effet ramener Zelaya au pouvoir. Mais les problèmes de fond ne seraient pas pour autant réglés. Le Honduras est touché par de graves problèmes sociaux et économiques. Avec le Nicaragua, c'est le pays le plus pauvre d'Amérique centrale. Il y a la corruption, le chômage, la précarité et une très forte migration vers les États-Unis. 3% de la population hondurienne possèdent 50% du patrimoine national. Le pays est sclérosé. La gauche est absente de la scène politique. Certains écrivains et universitaires posent les problèmes fondamentaux et tentent de se faire entendre mais le pouvoir reste monopolisé par les deux partis de droite qui partagent presque la même idéologie. Une des réformes constitutionnelles envisagée par Zelaya était de permettre au peuple de prendre part à la vie politique nationale, d'encourager la participation. Est-il temps, selon vous, que le Honduras s'émancipe des États-Unis ? Le Honduras doit sortir de l'emprise américaine. Mais comment faire ? Ça, c'est autre chose... Les États-Unis se sont implantés au Honduras au début du XX siècle avec la compagnie United Fruit qui était pratiquement propriétaire de toutes les terres. Le Honduras était devenue une colonie des États-Unis. Aujourd'hui, c'est encore une base militaire. Certes, les États-Unis versent des aides au Honduras mais c'est un système pervers qui a pour effet de ruiner l'économie nationale au lieu de la soutenir. Et c'est pareil dans tous les autres pays d'Amérique centrale. On reste redevable des États-Unis. On est obligé d'acheter du matériel étranger mais jamais pour le développement réel du pays. C'est toujours au service des sociétés étrangères pour faciliter leurs exportations. Je pense qu'il est urgent de négocier la dette du Honduras, ou du moins la question des intérêts, et de favoriser un développement national. Au Venezuela, Chavez a trouvé des solutions. Mais les processus en oeuvre sont différents d'un pays à l'autre. L'Amérique centrale est loin d'être homogène. Chaque État doit trouver sa solution. Comment voyez-vous l'avenir de l'Amérique centrale ? Si le processus de démocratisation se poursuit, il est alors possible que de lentes avancées se fassent. Mais si on nous impose encore des coups d'États et des interventions étrangères, alors on ne s'en sortira pas. J'ai l'impression qu'une campagne internationale a été orchestrée pour alerter l'opinion publique sur l'avancée de la gauche du sud de l'Amérique vers le Nord. Aujourd'hui il n'y a plus de terrorisme en Amérique du Sud mais on s'est inventé une nouvelle maladie, le chavisme. Propos recueillis par Camille Sarret
Comprendre le coup d'État
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Les nouvelles autorités du Honduras excluent tout retour de Manuel Zelaya. Elles menacent de l'arrêter s'il rentre au pays. Retour sur les raisons du coup d'État du 28 juin dernier. Récit Silvina Carbone3 jullet 2009 - 2'24
“Les partis politiques du Honduras sont bloqués sur des conflits vieux de trente ans“
Entretien avec Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques, spécialiste de l'Amérique latine et centrale.
Que peut-on espérer des négociations en cours au Costa Rica ? Zelaya et Micheletti ont des positions très dures. Le président sorti refuse de négocier s’il n’est pas réadmis dans son pays et le président de fait déclare vouloir le traduire devant les tribunaux s’il rentre. C’est un face-à-face assez classique en période de crise. Mais les deux camps ont laissé des négociateurs sur place au Costa Rica, qui sont probablement en train de chercher des solutions de sortie de crise. Comment les deux camps peuvent-ils trouver un terrain d’entente ? Zelaya compte sur la date butoir de l’élection présidentielle prévue en novembre prochain. Tandis que le gouvernement de Micheletti doit faire face à la suspension des livraisons de pétrole par le Venezuela et le gel de l’aide internationale. D’ici trois à quatre semaines, ces mesures vont commencer à se faire sentir. Le climat social ne sera plus le même. Chacun va devoir faire des concessions. Quels sont les appuis de Manuel Zelaya ? Zelaya n’a que des soutiens extérieurs. Il a l’appui du Venezuela et des États-Unis qui ont exclu de l’Organisation des États américains le Honduras depuis le coup d’Etat. Mais dans son pays, il n’a pas d’assise populaire. Il n’avait pas la majorité au Parlement. Les partis politiques, l’armée et l’Eglise sont contre lui. Le président déchu n’est-il pas entrain de payer son rapprochement avec le président vénézuelien Hugo Chavez ? Issu du parti libéral du Honduras, Zelaya s’est rapproché du Chavez pour des raisons de conjoncture économique et politique. Avec l’augmentation du prix du pétrole et des denrées alimentaires, il devait absolument trouver des solutions. Il a sollicité Georges Bush qui n’a pas répondu. Il s’est alors retourné vers Chavez qui lui a fait des propositions. Maintenant, la droite conservatrice du Honduras pointe du doigt la menace communiste. Elle ressort un discours de croisade datant de la Guerre froide. C’est le problème du Honduras. Les partis politiques, tous de droite monopolisant la scène politique depuis des décennies, sont bloqués sur des conflits vieux de trente ans. Le système politique hondurien n’a pas réussi à évoluer. Pourquoi les partis politiques honduriens ne se sont-ils pas modernisés ? Le Honduras a toujours vécu à l’écart. Il a été la base arrière de différentes armées, mais n’a jamais été le terrain d’un conflit. C’est un pays rural, l’un des plus pauvres de l’Amérique centrale, avec une société fixée sur des schémas qui datent du début du XXème siècle. Aujourd’hui, 27 % du PIB provient des transferts monétaires des Honduriens vivant à l’étranger et notamment aux États-Unis. Dans son histoire récente, le Honduras n’a connu qu’un seul moment de mobilisation. C’était en 1954. Une grève a éclaté dans les bananeraies. Les syndicats se sont organisés et un parti communiste s’est créé. Mais tout est retombé très vite. Les élites du pays ne sont pas soumises à des pressions intérieures. Le Honduras est régulièrement frappé par des catastrophes naturelles qui mettent tout à plat. : tremblements de terre, glissements de terrain, cyclones comme celui de Mitch en 1998. Il n’existe pas d’opinion publique. La première préoccupation des Honduriens est d’abord de survivre. Le coup d’État qu’a vécu le Honduras était-il vraiment inattendu ? Oui. Il était d’autant plus inattendu qu’il était inutile. Zelaya ne disposant pas de majorité au Parlement, il suffisait d’entamer une procédure pour le destituer comme cela s’est fait au Brésil. Les armes n‘étaient pas nécessaires. Mais l’opposition a préféré recourir à une méthode archaïque, le coup d’État. Ce qui est, en plus, en contradiction avec son discours. Alors qu’elle reprochait à Zelaya de ne pas vouloir se soumettre aux institutions en place en décidant de modifier la Constitution, elle a utilisé la force pour reprendre le pouvoir. Propos recueillis par Camille Sarret