Infirmière pour Médecins sans frontières, Lajos Zoltan Zecs raconte les premiers instant après le bombardement de l’hôpital de Kunduz, dans le nord de l’Afghanistan. L’attaque, qui pourrait être due à un raid américain, a fait 19 morts . Voici son témoignage, recueilli par MSF et publié chez nos partenaires du journal "Le Temps".
"C’était absolument terrifiant. J’étais en train de dormir dans un pièce sécurisée de l’hôpital. Il était environ deux heures du matin quand j’ai été réveillée par une grosse explosion à proximité. D’abord, je n’ai pas compris ce qu’il se passait. Durant la semaine, nous avions déjà entendu des déflagrations, mais plus loin. Celle-ci était différente, plus proche et plus forte. Il y avait beaucoup de confusion et de poussière.
Alors que nous tentions de savoir ce qu’il se passait, d’autres bombes sont tombées.
Après 20 ou 30 minutes, j’ai entendu quelqu’un qui m’appelait. C’était l’un des infirmiers de la salle des urgences. Il chancelait avec un trauma massif au bras. Il était couvert de sang, des blessures sur tout le corps.
A ce moment là, mon cerveau ne parvenait pas à saisir les événements. Pendant une seconde, je suis restée plantée, complètement choquée.
Il appelait à l’aide. Dans la pièce sécurisée, nous avions quelques médicaments, mais pas de morphine pour stopper sa douleur. Nous avons fait ce que nous pouvions.
Je ne saurai dire combien de temps exactement s’est écoulé. Peut-être une demi-heure plus tard, ils ont arrêté de bombarder. Je suis sortie avec le responsable de l’hôpital pour voir ce qu’il s’était passé. Ce que nous avons vu, c’était l’hôpital détruit, en flammes. Je ne sais pas ce que j’ai ressenti, encore un choc.
"Six patients brûlaient dans leur lit"
Nous avons cherché des rescapés. Certains s’étaient déjà réfugiés dans la pièce sécurisée. Un par un, les soignants commençaient à apparaître, beaucoup blessés.
Nous avons essayé de regarder à l’intérieur de l’un des bâtiments en flammes. Je ne peux pas décrire ce que j’ai vu à l’intérieur. Il n’y a pas de mots pour dire combien c’était terrible. Aux soins intensifs, six patients brûlaient dans leur lit.
Nous avons cherché les collègues qui étaient à la salle d’opération. Un patient était encore allongé sur la table d’opération, mort au milieu de la destruction. Il n’y avait personne d’autre. Heureusement, nous avons appris plus tard qu’ils s’étaient enfuis pour se mettre à l’abri.
Non loin de là, nous avons jeté un coup d’oeil aux chambres d’hospitalisation. Par chance, le département avait été épargné par les bombes. Nous avons rapidement vérifié que tout le monde était OK. Même chose dans le bunker juste à côté.
Nous sommes retournés dans le bureau. Il était rempli de blessés en pleurs. C’était fou.
Nous devions organiser un plan pour prendre en charge les multiples blessés. Voir quels médecins étaient encore en vie et à même de nous aider. Nous avons opéré l’un d’entre eux mais il est mort sur le bureau. Nous avons fait tout ce que nous pouvions. Ce n’était pas suffisant.
"Nous avons vu nos collègues mourir"
Tout cela était très dur. Nous avons vu nos collègues mourir. J’avais encore parlé au pharmacien le soir d’avant pour gérer les stocks de médicaments, puis il est mort dans notre bureau, lui aussi.
Au début, c’était le chaos. Nous étions suffisamment pour s’occuper de tous les blessés qui pouvaient être sauvés. Mais il y en avait beaucoup pour lesquels nous ne pouvions rien faire. D’une certaine manière, c’était très clair. Nous avons traité ceux qui avaient besoin de traitements. Nous n’avons pas eu à faire des choix. Comment aurions pu le faire dans un tel chaos et un tel effroi.
Certains de mes collègues étaient dans un état de choc trop grand. Ils n’arrêtaient pas de pleurer. J’ai essayé d’encourager plusieurs d’entre eux, de leur donner une tâche sur laquelle se concentrer, pour que leur esprit ne reste pas obnubilé par l’horreur. Mais certains étaient trop choqués pour faire quoi que ce soit. Voir des adultes, vos amis, pleurer de façon incontrôlable n’est pas facile. Je travaillais ici depuis le mois de mai et j’avais vu beaucoup de cas très lourds. Mais c’est une autre histoire, lorsqu’il s’agit de vos collègues et de vos amis.
"Des soins de santé pour Kunduz: c'est fini"
Ces gens travaillaient dur depuis des mois. La semaine dernière, c’était non-stop. Ils n’étaient pas rentré chez eux, n’avaient pas vu leurs familles, ils étaient à l’hôpital pour aider les gens… et maintenant ils sont morts. Des amis, des amis proches. Je n’ai pas de mots pour l’exprimer. C’est indescriptible.
Ces derniers mois, cet hôpital a été mon lieu de travail et ma maison. Il est bien davantage que cela: des soins de santé pour Kunduz. C’est fini.”