Il y a 40 ans, la naissance tourmentée du Centre Pompidou

Le Centre National d’Art et de Culture George Pompidou de Paris – plus familièrement surnommé Centre Pompidou ou simplement Beaubourg – fête cette semaine son quarantième anniversaire. Quarante ans de succès qui font suite à … sept années d’une gestation difficile sur fond de polémiques.

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Beaubourg
Le centre Beaubourg durant sa construction.
 
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Cent millions de visites depuis son inauguration. Le premier site de France dédié à l’art contemporain en fréquentation. Plus de 3,3 millions d'entrées en 2016, en augmentation en dépit des attentats. Quinze mille tonnes de métal d’un toujours étrange bâtiment au cœur du vieux Paris, mais dont on ne discute plus guère la silhouette torturée et les tripes à l'air. L'édification et, il y a juste quarante ans, l'inauguration de ce qui allait devenir le Centre National d’Art et de Culture George Pompidou, furent pourtant l'occasion de l'un de ces psychodrames que la France affectionne, divisant – bien au-delà de la capitale - familles et milieux politiques.

Dès l'aube de son mandat - il est élu président de la République en 1969, après la démission du Général de Gaulle -, Georges Pompidou exprime son ambition de « doter Paris d'un ensemble architectural et urbain qui marque notre époque ».

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Le site de Beaubourg dans les années 1960.
© Photo D.R.

Rayonnement

L’objectif est multiple : renforcer le rayonnement de Paris – miné par New York - dans l’art contemporain, favoriser la création française et l’ouvrir à un public plus large. Cela dans un lieu qui soit lui même remarquable de l’architecture moderne. Entreprise régalienne plus encore qu'aujourd'hui. La capitale n'a alors pas de maire.

L'intendance suivra : en ces temps de croissance annuelle de 5 %, la France n'est pas démunie. Le 11 décembre 1969, Pompidou « propose » à la Ville de Paris l'installation d'un complexe culturel sur le « plateau Beaubourg ». Un espace libre jouxtant les halles, abandonné au stationnement automobile sauvage depuis la démolition avant guerre d'un îlot insalubre. La Ville accepte et cède le terrain.

Compétition

Pour la réalisation du Centre, un concours international est lancé. Son retentissement est considérable. 681 projets sont reçus. Présidé par l'architecte Jean Prouvé, le Jury - désigné mais international - comprend neuf personnalités, experts techniques et architectes. Elles s'enferment au Grand Palais le 5 juillet 1971 et délibèrent durant dix jours.

C'est le projet de l'Italien Piano et de l'Anglais Rogers qui est retenu. Associés depuis peu, ils ont une trentaine d’années et encore peu construit. Le choix du jury surprend, jusqu'aux gagnants eux-mêmes. Et le tollé est immédiat.

Projet
Dessin du premier projet de Renzo Piano et Richard Rogers présenté au concours
© DR

Notre-Dame de la Tuyauterie

L'architecture, bien sûr, déroute. On traite le futur édifice tantôt de « silo à voitures », tantôt de raffinerie de pétrole. On le surnomme « Notre-Dame de la Tuyauterie ». Son coût – un peu moins d'un milliard de francs – est jugé exorbitant. On s'inquiète des monstres bureaucratiques qui devront gérer sa réalisation puis l'administration de ses multiples activités.

Les initiatives urbaines de Georges Pompidou – homme de lettres qui a sacrifié les berges de la Seine à la « voie express » et laissé raser au cœur de Paris les précieuses halles de Baltard – « les Français aiment la bagnole, disait-il »- sont vivement contestés à gauche comme à droite. Celui-ci, en outre, n'est lui-même qu'à moitié convaincu par le choix du jury du projet Piano-Rogers. Il le respecte cependant et les travaux commencent. La polémique s'essouffle.


Je voudrais passionnément que Paris possède un centre culturel qui soit à la fois un musée et un centre de création où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audiovisuelle...
Georges Pompidou, 1972
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Très atteint d’une maladie dont il sait qu’elle lui laisse peu de temps, Georges Pompidou formule dans un entretien au journal Le Monde (1)ce qui sera une forme de testament:

« Je voudrais passionnément que Paris possède un centre culturel comme on a cherché à en créer aux États-Unis avec un succès jusqu'ici inégal qui soit à la fois un musée et un centre de création où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audiovisuelle, etc.

Le musée ne peut être que d'art moderne, puisque nous avons le Louvre. La création serait évidemment moderne et évoluerait sans cesse. La bibliothèque attirerait des milliers de lecteurs qui du même coup seraient mis en contact avec les arts. 
»

Remise en question

Le doute revient après son décès, survenu en cours de mandat le 2 avril 1974. Son successeur Valéry Giscard d'Estaing penche pour un urbanisme moins monumental. Il délivre le quartier des halles d'un autre projet en cours, le Centre de Commerce international, pour lui substituer un espace vert. Toute cette zone centrale de Paris, où se déchaînent la spéculation immobilière sous couvert de « rénovations urbaines » et ses cortèges d'expulsions émaillées de résistances embarrassantes, est un lieu politiquement sensible.

Peu convaincu de l'esthétique du projet Beaubourg et peu sensible à son esprit, Giscard aimerait bien sinon l'abandonner – les travaux sont trop avancés – du moins le modifier. Il se heurte à un adversaire résolu : Jacques Chirac. Allié politique indispensable, héritier du gaullisme pompidolien et Premier ministre, celui-ci est un fervent défenseur du futur centre, dont il visite régulièrement le chantier. Il met, dit-on, sa démission dans la balance. Giscard s'incline.

Ce que l'hypermarché est à la marchandise...Jean Baudrillard, 1977

Et c'est lui qui, le 31 janvier 1977 prononce le discours inaugural du nouveau centre, baptisé du nom de son prédécesseur défunt. Tonalité funèbre. A sa veuve, Claude : « L'art et la culture porteront désormais, Madame, le nom de votre mari »….  «  Voilà la cendre et la semence de Georges Pompidou ».

Sous ces auspices peu sautillants, le Centre national d’art et de culture le plus controversé du siècle peut commencer sa carrière, inspirant au philosophe Jean Baudrillard (2) un commentaire aux allures, aussi, de de profundis : « Beaubourg est pour la première fois à l'échelle de la culture ce que l'hypermarché est à l'échelle de la marchandise. »

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(1) entretien paru dans Le Monde, 17 octobre 1972)

(2) Jean Baudrillard, L'Effet Beaubourg, implosion et dissuasion, Galilée, 1977