La journaliste Madeleine Riffaud est une femme de terrain. Elle n'a pas couvert les négociations de paix au jour le jour. Des négociations pourtant très suivies par la presse internationale, entre Verrières-le-Buisson, où était herbergée la délégation du Sud, Choisy-le-Roi, où résidait celle du Nord, et l’avenue Kléber à Paris, où se tenaient les réunions. Tout au long de la guerre du Vietnam et des pourparlers de paix, elle est restée proche des Vietnamiens ; ses amis étaient de ceux qui, en 1973, signaient la paix. Sur le terrain, elle se trouvait aussi aux premières loges d'une guerre sans foi ni loi qui, à tout moment, risquait de mener les négociations de paix dans l'impasse. Car les Vietnamiens avaient été catégoriques dès le départ : les négociations ne commenceraient qu'à condition que les Etats-Unis cessent de bombarder les villes du Nord-Vietnam. Un engagement pris à l’issue des nombreux entretiens préliminaires menés avant 1968, mais rompu à plusieurs reprises par les Etats-Unis. Et à chaque fois, les négociations étaient plus difficiles à relancer.
La manière de travailler de Nixon “le fourbe“ Fin avril 1972, j’ai dû tourner à Haiphong face à des bombardiers américains. M. Nixon - "le fourbe", comme on disait chez lui - en avait décidé ainsi. Pendant qu’il était avec Mao Tsé Toung en visite diplomatique, et alors qu’il s’apprêtait à rendre visite à Brejnev au nom de la coexistence pacifique, il a fait bombarder la ville de nuit par des B52 lourdement armés. C’était affreux… des milliers de morts, des gens surpris dans leur sommeil. Les Etats-Unis avaient même expérimenté des armes nouvelles. Ils avaient aussi miné le port, touchant des bateaux ravitailleurs européens ou chinois. Les Vietnamiens, eux, ont quand même riposté en abattant neuf B52. Nous étions au bord de la guerre mondiale. Il ne restait plus rien de l'Haiphong qui s’était reconstruite entre 1968 et 1972 avec de jolis petits immeubles roses - puisque les Etats-Unis s’étaient engagés à ne plus bombarder le Nord. Voilà, c’était la manière de travailler de M. Nixon. Mais Nixon n’était pas l’Amérique ! Les forces de paix, avec les étudiants et les premiers vétérans du Vietnam au pays, étaient déjà très actives aux Etats-Unis. L’Europe aussi était contre la guerre, à commencer par la France.
La France punie
Nixon voulait frapper la France, qui avait donné asile aux négociateurs. D'autant plus que le général de Gaulle, en visite à Phnom Penh, venait de déclarer clairement que la guerre au Vietnam était illégale, puisqu'elle n'avait jamais été déclarée. Ce n'était, à ses yeux, qu'une guerre de destruction, que les Etats-Unis ne gagneraient pas. La France n’était pas bien vue de M. Nixon… Le quartier des ambassades de Hanoï est parfaitement reconnaissable vu du ciel, et les Etats-Unis juraient leurs grands dieux qu’ils ne frapperaient jamais cette partie de la ville. Et pourtant, le 11 octobre 1972 au soir, ils ont piqué avec une telle précision sur l’ambassade qu’ils n’ont même pas touché les pavillons des attachés militaires tout proches. Ils ont détruit l’ambassade de France, tuant le personnel et l’ambassadeur Susini, un homme très au fait des événements et apprécié de toute la presse internationale qui travaillait alors au Vietnam.
Mme Nguyễn Thị Bình : du maquis Viet Cong à l’avenue Kléber
J’ai fait une photo de la table des négociations au moment de la signature. C’était un moment très émouvant, mais ce qui m’a le plus frappée, c’est la foule rassemblée dehors. A chaque séance, pendant près de cinq ans, une centaine de personnes, des Français de tous bords, venaient manifester leur soutien à la paix et aux Vietnamiens. Ils venaient aussi pour voir, et surtout pour voir une femme littéralement A-DO-REE de tous : Mme Binh. Elle était belle, intelligente, cultivée, et parlait couramment le français et l’anglais. Elle négociait en qualité de ministre des Affaires étrangères du Front national de Libération – les Viet Cong n’avaient pas choisi n’importe qui pour les représenter ! Jamais elle ne s’est énervée face à des Américains parfois grossiers. Elle parvenait toujours à tourner la conversation à son avantage, avec un petit sourire. Si je la suivais de près, c’est que nous étions amies. En 1964-65, il n’y avait rien à voir à Saigon pour un journaliste, à part les bonzes qui s’immolaient. Les Viet Cong avaient déjà repris les deux tiers du Vietnam Sud et venaient d’élire leur gouvernement provisoire. Alors je me suis infiltrée dans le maquis Viet Cong, au Cambodge – c’était un scoop mondial. C’est là que je l’ai rencontrée, ainsi que quelques autres personnalités qui, par la suite, se retrouveraient à la table des négociations avenue Kléber. Nguyễn Thị Bình ne laissait rien transpirer, Elle n’avait pas l’habitude, et moi non plus, d'être indiscrète. Des questions sur ces négociations secrètes l’auraient embarrassée et elle n’y aurait pas répondu. Mais je sais qu’elle croyait dur comme fer à la paix.
Interview de N'Guyen Thi Binh, représentante du Gouvernement révolutionnaire provisoire (Viet Cong) Paris, le 27 janvier 1973
A-t-on jamais risqué l’échec ?
Pour ma part, j’ai toujours su que les négociations allaient reprendre, malgré les coups de force de Nixon, même si c’était à chaque fois plus difficile. J’avais réalisé un film sur les destructions au sol après le bombardement de Haïphong. Alors c’est à moi que les Américains venaient demander comment était le moral des Vietnamiens. Je leur disais qu’ils étaient plus déterminés que jamais, d'autant plus qu'ils étaient furieux ! Certes, les négociations étaient très dures, mais des deux côtés, on était animé d’une indéfectible détermination.
Les Vietnamiens résolus à en finir la tête haute
Pendant les cinq ans qui ont précédé l’accord, la guerre faisait rage sans interruption dans le Sud – contrairement au Nord, où le cessez-le-feu n'était rompu que par les frappes sporadiques décidées par Nixon. Vietnamiens et Américains étaient engagés au corps à corps. Chacun voulait être en position de force. C’était une boucherie - 12 000 cadavres de jeunes Vietnamiens n’ont jamais été retrouvés. Parmi les négociateurs à Paris, beaucoup avaient de la famille là-bas. Le porte-parole de la délégation du Nord, par exemple, Nguyen Thanh Le, un homme très fin, qui avait beaucoup d’humour. Tout le monde aimait l’entendre, y compris les Américains, même s’il était intraitable en négociation. Un jour, son fils a été grièvement blessé pendant qu’il était à Choisy. J’ai tout de suite vu à sa pâleur que quelque chose n'allait pas. Tous vivaient dans la même peur, qui aurait pu les inciter à brader la paix, mais ils ont tenu bon. Ils étaient envoyés par des gouvernements très forts, qui voulaient en finir, et en finir la tête haute.
Qui négociait à Paris ?
La République démocratique du Viêt Nam (Nord Viêt Nam) La République du Viêt Nam (Sud Viêt Nam) Le Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud Viêt Nam (alliance du Viêt Cong et d’autres mouvements proche du Nord Viêt Nam) Les États-Unis d’Amérique
Pourquoi Paris ?
Un contexte favorable incitait les négociateurs à se réunir dans la capitale française : - Aide logistique du Parti communiste français ; - Soutien des autorités et de la police française ; - Soutien d'une importante communauté vietnamienne active ; - Concentration de médias ; - Environnement francophone (les délégations parlent français)
Les accords de Paris en chiffres
Ces négociations ont été les plus longues de l’histoire de la diplomatie mondiale : 4 ans 8 mois 14 jours 202 séances publiques 24 rencontres à huis clos