Il y a 50 ans, le "Vive le Québec libre!" du général de Gaulle

Le 24 juillet 1967, le général de Gaulle plongeait le Canada en état de choc et ravissait les indépendantistes en ponctuant son discours de Montréal d'un tonitruant "Vive le Québec libre!".
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Le général de Gaulle au balcon de l'Hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 2017
(ap photo)
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15.000 personnes sont massées ce lundi soir sur la place Jacques-Cartier au-dessus de laquelle se dressent des pancartes du RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale).

Le président de la République française, en tenue de général de brigade, lance: "Vive Montréal, vive le Québec (ovation), vive le Québec libre (très longue ovation), vive le Canada français, vive la France! (ovation à nouveau)".

 

Le public entend enfin tomber de la bouche de l'ancien chef de la France Libre ce cri de ralliement, qui ne peut que donner une impulsion à un mouvement indépendantiste encore balbutiant.

Le Canada fédéraliste et anglophone juge ces propos "inacceptables". "Les Canadiens sont libres, chaque province du Canada est libre. Les Canadiens n'ont pas à être libérés", s'emporte le Premier ministre Lester Pearson.
 

- Comme un libérateur -

Ce discours fut le paroxysme d'une journée étonnante qui conduisit le général le long de la "Route du Roy", reliant Québec à Montréal par la rive nord du Saint-Laurent.

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Le général de Gaulle lors de sa visite triomphale au Québec. Ici, à Sainte Anne de la Perede.
(ap photo)

Partout, il est salué comme un libérateur et acclamé par les habitants des villages bordant le fleuve. "Rien ne différenciait ce voyage de ceux qu'il a effectués dans les provinces françaises", note l'AFP.

A Donnacona, il lance : "vous êtes un morceau du peuple français qui ne doit dépendre que de lui-même". A Trois-Rivières, il dit : "nous sommes à l'époque où le Québec redevient maître de son destin". 

A Montréal, où il arrive avec retard, Charles de Gaulle monte au balcon de l'hôtel de ville. Il n'est pas prévu qu'il s'adresse à la foule mais il insiste pour s'exprimer et, voyant un micro débranché, il demande de pouvoir s'en servir. Un technicien d'une radio se trouvant sur place lui installe.

"Je vais vous confier un secret. Ce soir, ici et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération" (ndlr : 1944/45), lance-t-il. Une phrase qui, ajoutée au camouflet du "Québec libre", blesse profondément Ottawa.

Le 25, imperturbable, il poursuit son voyage officiel dans l'ancienne Nouvelle-France. Il visite le métro de Montréal, construit par la France, fustige ceux qui le critiquent, "tout ce qui grouille, grenouille, gribouille et scribouille", se félicite d'être allé, la veille, "au fond des choses".

Le 26, coup de théâtre, le Canada décide de ne pas l'accueillir, selon certains historiens, tandis que pour d'autres, c'est lui qui annule sa visite à Ottawa. Il s'envole pour Paris à bord du DC-8 présidentiel. A l'arrivée, l'attendent des ministres stupéfaits, une opposition déchaînée, une presse exceptionnellement véhémente.
 

- 'Mégalomanie' -

 

"Le Monde" dénonce ce "tapage, cette hostilité exaspérée contre les anglo-saxons, cette jubilation d'un vieillard expert à provoquer l'acclamation des foules".

"Mégalomanie avancée", titre le journal new-yorkais "Daily News". "Triste déclin du général", regrette le "Times" de Londres en le comparant à un jongleur qui poursuit son numéro, bien que la plupart de ses assiettes soient tombées.

"Le général a internationalisé la cause du Québec", résumera en juillet 2007 l'ancien Premier ministre indépendantiste québécois, Bernard Landry, racontant qu'un ministre chinois lui a avoué n'avoir jamais "entendu le mot +Québec+ de sa vie avant juillet 1967". 

Les relations entre la France et le Canada ne s'amélioreront qu'après la démission de la présidence française de de Gaulle en 1969. Il décédera en 1970. 

La question de la préméditation a été souvent débattue, nombre d'observateurs estimant que le général, fatigué, ému, emporté par la foule en liesse, aurait tenu des propos dépassant sa pensée.

"Rien ne permet de penser qu'il s'est laissé gagner par l'enthousiasme populaire", écrit pourtant alors l'AFP. "+Vive le Québec libre!+ ne fut pas plus improvisé que l'Appel du 18 juin" (1940), assurera des années plus tard l'ancien ministre Alain Peyrefitte, fin connaisseur de la pensée gaullienne.

Toujours est-il que les Québécois rejetteront l'option indépendantiste à deux reprises, lors des référendums de 1980 et de 1995 (de peu dans ce dernier cas).