Fil d'Ariane
Cela aurait pu n’être qu’une sorte de monôme, un débordement vite contenu de manifestation étudiante enthousiaste. C’est devenu une des crises internationales conséquentes de la fin du siècle dernier. Elle continue de marquer, quarante ans plus tard, les rapports électriques entre l’Iran et les États-Unis, et avec eux les relations internationales.
Le 4 novembre 1979, entre 300 et 400 « étudiants islamiques » en route vers une manifestation prévue à l'université prennent soudain d'assaut l'ambassade américaine dans le centre de Téhéran. Ils se présentent comme des « étudiants islamiques suivant la voie de l'imam » Khomeini. Ils exigent l'extradition de l'ex-chah.
Depuis sept mois, le pays vit sous le régime de la république islamique. Malgré la protection américaine d’une autocratie alors qualifiée par le président Carter d’« îlot de stabilité », son dernier empereur n’a pas résisté à la révolution à la fois politique, sociale et religieuse menée par celui que Le Monde, avec autant de clairvoyance, appelait alors le « Gandhi iranien » : l’ayatollah Rouhollah Khomeiny. Isolé et malade du cancer, le chah (ou « roi des rois ») Mohammad Reza Pahlavi, second et dernier de sa dynastie, a pris le 16 janvier précédent le chemin d’un exil fictivement temporaire avec sa femme - la très médiatique impératrice Farah - et quelques proches, aux commandes de son Boeing 707. Direction : l’Égypte.
La première étape, en réalité, d’un périple qui conduit les étoiles d’hier devenues pestiférées au Maroc, aux Bahamas, au Mexique et enfin, pour cause d’aggravation de la maladie de l'ex-chah, aux États-Unis pour y recevoir des soins. Accueil embarrassé et sans enthousiasme de l’ex-protecteur, qui met pourtant en fureur ces étudiants iraniens enivrés par l’influence que leur accorde le nouveau régime.
Armés de gourdins, les manifestants du 4 novembre envahissent la chancellerie, après trois heures de résistance au cours desquelles des marines ont tiré quelques grenades lacrymogènes avant d'être pris en otage, raconte un journaliste de l'AFP sur place. Les étudiants emmènent leurs prisonniers, les yeux bandés et les mains liées, des bureaux du consulat vers un autre local de l'ambassade.
Devant l'ambassade, une potence a été dressée. Au bout de la corde pend une pancarte : « Pour le chah ». À côté, un drapeau américain brûle devant les poings tendus de centaines de manifestants venus soutenir, de l'extérieur, les occupants de l'ambassade. Le drapeau américain est remplacé par une étoffe blanche frappée des mots « Allah Akbar » (« Dieu est le plus grand »).
Attaché aux grilles cadenassées, un haut-parleur hurle des slogans anti-américains, entre un verset du Coran et un chant révolutionnaire, assourdissant les policiers et Gardiens de la Révolution – la milice du régime instaurée quelques mois plus tôt - qui montent la garde devant un mur couvert d'inscriptions anti-américaines.
Derrière ce mur, des étudiants barbus armés de gourdins et des étudiantes en tchador arborant un grand portrait de l'imam Khomeini sur la poitrine déambulent dans les allées du parc de l'ambassade des États-Unis. Du pain, des cartons pleins de sandwiches leur sont passés à travers les grilles. Aux cris de « Marg bar Amrika » (« Mort à l'Amérique »), les Iraniens manifestent en masse leur soutien à l'occupationde l'ambassade. L'ayatollah Khomeini la qualifie de « seconde révolution ».
Elle vient servir son dessein : en finir avec le gouvernement de Mehdi Bazargan, mis en place peu après la victoire de la Révolution islamique mais jugé enclin à composer avec les États-Unis. Le 6 novembre, Bazargan démissionne de son poste de Premier ministre. Le Conseil de la révolution prend les commandes du pays et s’engage dans une escalade avec Washington.
L'Iran refuse toute livraison de pétrole aux États-Unis, qui décrètent un embargo sur les biens de consommation et gèlent les avoirs bancaires iraniens. En avril 1980, le président américain Jimmy Carter rompt les relations diplomatiques avec Téhéran et lui impose un embargo commercial.
Le 25 avril, une tentative de libération des otages par des forces spéciales américaines tourne au désastre dans le désert iranien, près de Tabas (nord-est). L'opération "Eagle Claw" ("serre d'aigle") est mise en échec par des tempêtes de sable et des problèmes mécaniques. Trois hélicoptères tombent en panne. Un quatrième entre en collision avec un avion de transport de troupes, tuant huit soldats américains. L'ayatollah Khomeini y voit une punition divine. Les otages, dont certains avaient été libérés au fil des mois pour raisons humanitaires, sont aussitôt dispersés dans plusieurs villes d'Iran, notamment dans la ville sainte de Qom, à 100 km au sud de Téhéran.
Le 27 juillet, l'ex-chah meurt au Caire, après 18 mois d'exil. En septembre 1980, l'imam Khomeiny pose quatre conditions à la libération des otages : la restitution des biens de l'ex-chah, le dégel des avoirs iraniens aux États-Unis, l'annulation des demandes de dommages à l'Iran par les Américains et le respect de la non-ingérence en Iran. Le 19 janvier 1981, un accord est conclu entre Téhéran et Washington, grâce à une médiation algérienne. Le 20, les 52 derniers otages sont libérés, le jour même de l'investiture de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis.
Le traumatisme et le souvenir de l'outrage, pourtant, étaient durablement installés du côté américain. Et à Téhéran, l'ex-représentation états-unienne demeurée « nid d'espions » dans la terminologie officielle abrite aujourd'hui le « Musée-jardin anti-arrogance ».