Il y a vingt ans, l'espoir fugace des accords d'Oslo
Le 13 septembre 1993, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le Président de l'OLP Yasser Arafat signaient à Washington sous le regard ému de Bill Clinton une "déclaration de principes" préparée en Norvège et à Paris, désignée sous le nom d'Accords d'Oslo. Supposés fonder les bases de l'autonomie palestinienne et d'une entente à venir symbolisée par une historique et prometteuse poignée de main, ceux-ci ont permis quelques avancées, mais aussi débouché sur d'immenses désillusions.
A Washington le 13 septembre 1993, la poignée de main historique qui scelle les accords d'Oslo.
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Marché de dupes
C'est d'abord et surtout une photo. Bill Clinton radieux bénissant tel un pasteur entre ses bras ouverts la poignée de mains des deux ennemis irréductibles du conflit le plus insoluble et profond de la seconde partie du XXème siècle. A gauche, Yitzhak Rabin, Premier ministre d'Israël; à droite Yasser Arafat, Président d'un peuple palestinien sans territoire. Cela s'est produit presque par surprise à Washington le 13 septembre 1993 et pendant un bref moment, le monde a pu croire à la paix. Ainsi désignés du nom de la capitale norvégienne où ils ont été préparés en secret, les « accords d'Oslo » (ou « Oslo 1 ») n'en sont pas vraiment. "Déclaration de principes", ils ouvrent un cadre de dialogue plus qu'ils ne résolvent. Pour la première fois dans l'histoire, les deux parties se sont du moins reconnues mutuellement (reconnaissance scellée deux jours plus tôt à l'hôtel Bristol de Paris), affirmant – dénominateur à la fois minime et révolutionnaire - leur désir de paix.
Secousses
La première Intifada (1987 - 1993)
Sans être le moins du monde à l'euphorie, le contexte est propice à une évolution. L'URSS vient de s'effondrer, laissant l'Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.) orpheline de son principal appui politique international. La première guerre du Golfe – où elle avait soutenu Saddam Hussein contre la coalition – l'avait également privée de ses bailleurs de fonds majeurs, les monarchies pétrolières en tête desquelles l'Arabie Saoudite. Israël, de son côté, quoique renforcée démographiquement par l'apport d'un million de nouveaux immigrants de l'Est fait face depuis 1987 à une Intifada (« guerre des pierres », soulèvement prolongé de la population palestinienne) qui atteint sa société.
Sous l'impulsion d'un George Bush Sr au faîte de son autorité et soucieux de mettre un terme au conflit qui nuit au « nouvel ordre mondial » en gestation, une première conférence se tient en 1991 à Madrid sans grand résultat. Arabes et Israéliens discutent certes pour la première fois mais l'OLP, organisation « terroriste », en est officiellement exclue. Si des Palestiniens des territoires occupés participent à la rencontre et rendent heure par heure compte à leur direction (exilée à Tunis depuis qu'elle a été chassée du Liban), l'absence béante de l'un deux des principaux protagonistes ne rend guère possible une avancée réelle.
La défaite du Likoud en 1992 et avec lui d'un Yitzhak Shamir rétif à tout compromis ouvre en revanche la voie à un certain assouplissement d'Israël. Sans être personnellement très porté au dialogue – il déteste Arafat - , son successeur travailliste Yitzhak Rabin est plus sensible au désir de paix d'une part des ses compatriotes, croissante à l'époque, et dont le mouvement « La paix maintenant » est l'une des expressions. Son éternel rival et ministre des affaires étrangères, Shimon Peres est en revanche, lui, favorable à des discussions directes avec l'adversaire et parvient à le convaincre.
La Norvège est choisie pour sa neutralité présumée et du fait de liens historiques maintenus avec les deux parties depuis la guerre des Six jours. Sa situation excentrée la rend en outre particulièrement adaptée à des rencontres discrètes. Les discussions sont en effet longtemps cachées – même aux Américains -, par souci d'efficacité mais aussi parce que ni les uns ni les autres ne peuvent sans danger – la suite le prouvera - transgresser devant leur opinion publique le tabou d'une négociation avec l'ennemi.
Révélé fin août 1993, le contenu de ce qui va devenir les « Accords d'Oslo » tient en peu de choses. Sa principale disposition territoriale, précisée par la suite, concerne le statut de Gaza et Jéricho qui deviennent autonomes (« self government ») mais non souveraines. La santé, l'éducation, les affaires sociales, la taxation, le tourisme et la culture sont transférés à ce qui deviendra l'"Autorité palestinienne" . Un Conseil sera élu pour Gaza et la Cis-Jordanie (colonies juives et zones militaires exclues) et une route établie pour relier les deux zones mais elle sera librement empruntée par les Israéliens civils et militaires. Une coopération économique israélo-palestinienne est prévue (notamment pour le partage de l'eau). Les questions les plus sensibles (réfugiés, implantations, frontières, Jérusalem, sécurité …) sont renvoyées à plus tard. Car, et c'est un peu l'essentiel du message délivré par la poignée de mains de Washington, on va désormais se parler.
Promesse déçue
Elections palestiniennes de 1996. DR
Dans la réalité, pourtant, les Israéliens en position de force se soucient peu de saisir cette opportunité et en termes concrets, le maigre programme avancé en 1993 sera appliqué au cours des années suivantes d'un façon si restrictive qu'elle ne permet en rien de bâtir un futur, encore moins une entente. Le 28 septembre 1995 un « accord intérimaire sur la Cis-jordanie et la bande de Gaza » surnommé Oslo 2 est signé en grande pompe à Washington. Il consacre l'existence d'une Présidence palestinienne élue (inaugurée par Arafat, rentré à Ramallah un an plus tôt) mais celle-ci n'exerce un maigre pouvoir que sur des confettis de territoires éparpillés.
Les Palestiniens contrôlent alors des villes isolées coupées de leur arrière-pays et soumises aux bouclages répétés et arbitraire de l'armée israélienne. Ils ne disposent ni d'un port ni d'un véritable aéroport et pas même d'un passage permanent entre la Cis-jordanie et Gaza. Plus grave encore, la colonisation israélienne s'est poursuivie et même intensifiée passant, pour la seule Cis-jordanie (hors Jérusalem Est) de cent mille à cent-quarante mille colons en moins de trois ans, rendant – c'est aussi son but – impossible toute continuité territoriale et éloignant toute paix durable … que certains ne souhaitent d'ailleurs aucunement comme l'a souligné en février 1994 le massacre d'Hébron (29 Palestiniens civils massacrés 250 blessés pendant le Ramadan par un colon « extrémiste ».).
Un mois après le paraphe d'Oslo 2, le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin est assassiné à Tel Aviv par un autre extrémiste juif. En mai 1996, la droite israélienne revient au pouvoir. Cinq ans plus tard, Arafat président d'une « autorité palestinienne » ruinée est assiégé à Ramallah.
S'il a existé, l'esprit d'Oslo n'est alors plus qu'un souvenir de promesses déçues. Son icône pétrifiée, le cliché de Washington, restera celle d'un geste historique émouvant qui fut aussi la poignée de main d'un marché de dupes.