Le son, la parole et l’écriture
Par Pavel Spiridonov, chercheur, Saint-Pétersbourg - Lausanne
La langue française est, pour un Russe, souvent entourée de clichés presque romantiques bien ancrés dans l’imaginaire collectif : les relations affectives entre les deux pays ; l'attirance irrésistible qu’exerce sur les russes, depuis des siècles, tout ce qui est apposé au mot « français » ; l’intérêt des Russes pour la culture française, qui n'est pas concevable sans cette belle langue. J’aimerais plutôt parler ici de mes sentiments et mes émotions à travers mon apprentissage de la langue française sans cours ni profs, qui, j’ai ce fort pressentiment, ne se terminera jamais. Tout a commencé pour moi par le son, celui des discussions de mes amis suisses et français dans un foyer d'étudiants à Saint-Pétersbourg. J'ai commencé à apprendre cette langue bien plus tard, mais à ce moment j'ai surtout aimé me plonger dans les tonalités et les intonations étranges pour mon oreille et ma langue, et nous avons eu beaucoup des fous rires provoqués par mes essais phoniques. Et, comme toujours avec une langue étrangère, un miracle s'est produit, de cette longue phrase continue sans pause ni rupture que j'entendais, quelques mots solitaires ont commencé à se cristalliser, et un jour on reconnaît la formule qu'on a appris par cœur dans un manuel. La parole arrive, hésitante, gauche et timide, mais quel bonheur de remarquer qu'on arrive à construire une phrase entière sans l'aide d'un dictionnaire ! Puis la partie la plus intéressante a commencé. J'ai eu envie d’écrire, non pas pour pouvoir remplir les formulaires d'administration de l'Université ou simplement pour prendre des notes dans les conférences, mais pour exprimer mes pensées et mes idées par écrit. Et j’ai été stupéfié par le fait que la langue écrite s'exprime souvent selon des règles qui diffèrent de l'oral (il paraît que de ce point de vue, le russe n'est pas très facile non plus, mais au moins nous n'avons pas de conjugaisons des verbes qui ne s'utilisent qu’à l’écrit !). Il fallait se reprendre en mains après ce choc terrible et bien travailler ma grammaire. Je ne suis qu’au début de ce chemin et il y a beaucoup à faire, mais je suis sûr d’y arriver. Surtout je suis très reconnaissant à cette langue qui m’a permis de rencontrer des personnes hors du commun ; certaines sont devenues mes amis les plus proches, d’autres des ennemis intimes, mais toutes ont profondément marqué mon existence. Et j’espère bien que je ne suis pas au bout des surprises que me prépare encore la langue française, car plus nous y plongeons profondément, plus nous comprenons qu’il faut tout le temps remettre en doute nos connaissances et être prêt pour de nouvelles découvertes.