Liberté, égalité, fraternité !
Par Mauricio Tolosa, écrivain - Chili
Le “français” m’a accompagné depuis mon enfance. C’était le nom que nous donnions au cours de langue française à l’école, et plus tard au Lycée. Au début ce fut la fenêtre sur un monde plus vaste et plus riche que celui qui nous offrait l’espagnol depuis le Chili : les bandes dessinées, - Tintin et Astérix -, puis la poésie, -Prévert, Baudelaire et Rimbaud-, les romans, -Fournier, Camus, Stendhal-, mais surtout un regard plus complexe sur l’histoire, la philosophie, les sciences. Pour un adolescent qui commençait à questionner la dictature de Pinochet, où les chansons et les livres « révolutionnaires » (ceux de la révolution industrielle et de 1789 y compris) avait été brulés et interdits, la possibilité d’accéder et connaître un autre regard, une autre version des faits, fut un privilège. Probablement, les censeurs ne parlaient pas français et donc je pus lire les ouvrages interdits de penseurs anarchistes ou socialistes, sur la Révolution française ou industrielle, tout en écoutant les chansons de Reggiani, Moustaki, ou Maxime Le Forestier. Le français fut pour moi, et un groupe important de camarades du Lycée, une porte qui nous conduisait vers la Liberté et la pensée démocratique. Nous étions un peu bizarres et « exotiques » parmi la classe favorisée chilienne, dont la grande majorité avait pris fait et cause pour l’anglais et accentuait ainsi sa suprématie qui ne finirait jamais de grandir. Mais la liberté et la critique n’étaient pas faciles à exercer au Chili. À vingt ans j’arrivais à Paris, dans une sorte d’auto exil intellectuel et libertaire, pour connaitre et vivre le socialisme de Mitterrand. Curieusement, plus qu’un moyen de connexion avec la France et sa politique, le français devint à nouveau un véhicule pour élargir mon monde. Une multitude colorée qui parlotait et rêvait dans la cité des lumières, et que ceux restés de l’autre côté de l’Atlantique, à la périphérie des bottes militaires, ne pouvaient apercevoir. Bruns, noirs, maghrébins, antillais, asiatiques, tous métèques, nous parlions un français sale et mal accentué, mais qui était un pont pour l’échange d’idées sur nos luttes et nos défis. Paradoxalement, cet argot qui nous unissait dans une certaine Égalité, pour nombre d’entre nous devenait une barrière dans les boulangeries, le métro ou les cafés, partout où la « vraie » France avait l’oreille dure et nous excluait depuis le haut de sa prononciation impénétrable. Au retour, en Amérique Latine, le français disparut. C’était la fin des dictatures, le commencement des démocraties. Pour des raisons de géopolitique ou de développement technologique ou économique, l´anglais devint roi. Le français se réduisit à des salutations complices entre anciens exilés, ou compagnons d’école. « Ça va Pedro? », « Salut les mecs », sont des phrases qui, encore aujourd’hui, évoquent avec nostalgie, une Fraternité aimée et lointaine, qui habite la mémoire mais peu l’avenir.