Immigration et politique extérieure : l'Europe en panne ?

Tandis que le Danemark, faisant cavalier seul, aura réintroduit en juin 2011 les contrôles permanents douaniers, la France et l'Italie demandent à l'Union européenne une révision des accords de Schengen menant à un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières nationales. Cette entorse à la libre circulation est possible dans certaines circonstances «exceptionnelles» : au Parlement européen, les débats consécutifs à cette requête ont souligné la paralysie de la politique commune de l'Union face aux enjeux majeurs que les révolutions arabes soulèvent. Plus de 740 000 personnes, principalement originaires d'Afrique sub-saharienne, auraient fui la Libye, depuis le début de l'intervention militaire contre Mouammar Kadhafi.
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Immigration et politique extérieure : l'Europe en panne ?
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Immigration et politique extérieure : l'Europe en panne ?
“Manuel Barroso, président de la Commission européenne“ (AFP)
L'impact des flux migratoires sur l'espace Schengen sans frontières était en débat au Parlement européen, le mardi 10 mai 2011, en présence de Manuel Barroso, le président de la Commission européenne. La déclaration de 5 minutes de M. Barroso démontre l'incapacité de l'Europe à répondre de façon concrète et coordonnée aux événements survenus dans les pays du sud de la Méditerranée. Après les réponses chaotiques de l'Italie et de la France à la demande toujours plus forte d'immigration, aucune décision précise n'est prise ; ne sont réitérées que des paroles rassurantes, de simples rappels de la vocation européenne. Les parlementaires exaspérés : la commission veut ménager la chèvre et le chou " L'intention de préserver la libre circulation des citoyens doit être conservée, la gestion des flux migratoires est importante et le Conseil doit étudier la manière de concilier les deux, il faut mieux gérer les frontières extérieures de l'Europe, renforcer Frontex ". Monsieur Manuel Barroso a conclu sa déclaration par ces mots : " la commission ne veut pas accompagner des tentations populistes, extrémistes ou xénophobes, mais veut renforcer les règles de Schengen par le biais d'un nouveau mécanisme". Le " mécanisme " avait déjà été déjà évoqué par Cecilia Malmström, la responsable des Affaires intérieures quelques jours auparavant : la " suspension provisoire des accords de Schengen sous conditions strictes et géré au niveau européen ". Les parlementaire européens ont, pour la grande majorité, en réponse à la déclaration du président de la commission, dénoncé le populisme de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi et rappelé leur attachement à la libre circulation des personnes, saluée comme la " plus grande réussite de l'Union européenne ". Mais aucune décision claire n'est ressortie de ce débat, si ce n'est un " ni oui ni non " du président de la commission : il ne faut pas remettre en cause Schengen, mais si la situation l'exige, des contrôles exceptionnels aux frontières pourraient se faire. Si les députés se sont majoritairement déclarés contre la réintroduction de frontières internes dans l'espace Schengen, ils n'ont pas reçu aucun éclairage de la commission sur les demandes d'organisation de l'accueil des réfugiés tunisiens ou libyens de façon concertée. Les révolutions nord-africaines soulignent l'incapacité à agir de l'union européenne La Vice-présidente de la Commission et Haute représentante de l'Union, Catherine Ashton, participait le mercredi 11 mai 2011 à un autre débat, sur la politique étrangère de l'UE, en particulier sur la politique européenne de voisinage (voir encadré repères). L'Europe, accusée de ne pas soutenir l'Italie mais qui laisse la France enfreindre les accords de Schengen (afin d'empêcher l'entrée des migrants de Lampedusa sur son territoire), était appelée par les députés européens à " reprendre la main " et à s'engager dans deux politiques parallèles vis-à-vis des pays du sud de la méditerranée. La première mettrait en œuvre une coordination européenne pour la " gestion " des réfugiés Tunisiens et Libyens. La deuxième doit définir l'aide concrète aux pays en proie à la répression des régimes autoritaires, comme la Libye ou la Syrie, le soutien aux pays post-révolutionnaires comme la Tunisie ou l'Égypte. Il n'en a rien été. Ou si peu. Au grand dam d'une majorité de représentants de groupes parlementaires.
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“Catherine Ashton, Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité“ (AFP)
L'UE : un petit poucet politique mené par une haute représentante paralysée ? La politique étrangère commune de l'Europe attendra encore. Catherine Ashton, par ses réponses évasives déclarant que " le voyage sera long [pour agir envers les pays arabes en difficultés], qu'il faut plus de coopération, faire preuve de prudence " ne fait que renforcer cette impression. Mais les parlementaires n'ont cessé de rappeler qu'on " ne pouvait se contenter de simples déclarations, qu'une politique commune réelle et relayée par des actions concrètes devait se mettre en place ". L'ouverture d'un bureau de l'Union européenne à Benghazi en Libye n'est pas un acte politique majeur et les sanctions à l'encontre de 13 représentants syriens, qui ne touchent pas le président Bachar al-Assad, ont sonné comme un aveu de compromission. Les députés européens ont fait savoir que cette inaction, ce manque d'initiative, de leadership et de feuille de route étaient dangereux, que le temps pressait. Une " nouvelle politique européenne " de voisinage a été évoquée du bout des lèvres par Madame Ashton, sans autres précisions.
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“Cecilia Malmström, responsable des Affaires intérieures sur l'immigration légale“ (AFP)
Les politiques nationales unilatérales supplantent la politique commune de l'Union ? Alors que la responsable des Affaires intérieures, sur l'immigration légale, Cecilia Malmström recevait les ministres européens de l'Intérieur, le jeudi 12 mai 2011, pour discuter de la modification temporaire des accords de Schengen, le Danemark annonçait la veille, " rétablir " au plus vite " (d'ici trois semaines) des contrôles permanents à ses frontières intra-européennes, sous la forme de contrôles douaniers aléa­toires sur les véhicules. Mais cette entrave aux accords de Schengen, non motivée, n'a pas été sanctionnée par l'Union européenne. Madame Malmström, comme ses homologues, a seulement rappelé la " formidable opportunité qu'offre l'espace Schengen ", et qu'un engagement clair envers la solidarité européenne était en cours, que la constitution d'un système d'asile commun allait survenir suivi de propositions pour réduire le fardeau administratif des pays accueillants. Madame Malmström a cependant confirmé qu'en cas de situation exceptionnelle, des contrôles aux frontières étaient possibles dans les pays signataires des accords de Schengen mais de façon très contrôlée par l'Europe, ce dont s'est félicité immédiatement Monsieur Claude Guéant, le ministre de l'intérieur français. Plus de 740 000 personnes, principalement originaires d'Afrique sub-saharienne, auraient fui la Libye, depuis le début de l'intervention militaire contre Mouammar Kadhafi. Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne arbitreront le débat au cours de leur prochain sommet au mois de juin mais l'accord du Parlement européen demeure indispensable pour toute réforme qui serait adoptée par les gouvernements. La PEV : faire entrer les pays des contours de la méditerranée dans une " petite europe bis " La réponse constructive aux flux migratoires (de faible ampleur, comme les parlementaires l'ont rappelé), d'une Europe en accord avec ses valeurs, devrait passer par la réactivation et le renforcement de la politique européenne de voisinage (voir encadré repères). Les parlementaires sont nombreux à le demander et attendent que la commission agisse en ce sens, pas qu'elle permette un retour même temporaire des frontières intérieures. La PEV, sur le papier, pour la Tunisie, a par exemple vocation à " offrir une participation dans le marché intérieur ainsi que la possibilité de prendre progressivement part aux composantes clé des politiques et des programmes de l’UE ". Cette politique de voisinage, très ambitieuse, voudrait aussi amener " le développement de la recherche scientifique, de l’enseignement supérieur, de l’éducation et de la formation en tant qu’éléments essentiels contribuant à l’édification de la société du savoir ;la coopération en matière d’emploi et de politique sociale et le rapprochement progressif de la législation tunisienne des normes de l’UE ", tout en opérant une " gestion efficace des flux migratoires ". Une Europe en panne a l'abri de sa forteresse Mais pour l'heure, la politique européenne de voisinage semble se cantonner au rayon des bonnes intentions. Cette habitude de la commission européenne à délivrer des messages positifs à l'égard des voisins orientaux, sans pour autant agir, est dénoncée par les parlementaires. Manuel Barroso se rend à Tunis le 17 mai 2011 pour jeter les bases d'une coopération " conditionnée " à l'arrêt de l'immigration clandestine vers l'Europe. Le président de la commission européenne veut globalement " inciter " le gouvernement tunisien à empêcher ses ressortissants de fuir vers l'Europe au moment où celle-ci est incapable d'organiser une réponse communautaire et solidaire.

Le Bar de l'Europe : invité Fiorello Provera député européen de la Ligue du Nord (Italie)

12.05.2011
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Repères

Le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité existe depuis le 23 juin 2007 avec l'adoption du traité de Lisbone. Il remplace le ministre des Affaires étrangères de l'Union, peut négocier au nom des États membres, est responsable des représentants spéciaux et effectue certaines nominations telles que celles des coordinateurs anti-terroristes. Il coordonne la Politique européenne de sécurité et de défense. Le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité s'appuie sur une nouvelle structure administrative, le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), dont il désigne les membres et contrôle le budget. La britannique Catherine Ashton est le premier titulaire de ce poste depuis le 19 novembre 2009. Politique européenne de voisinage (PEV) Initialement, la PEV ne visait que les états à l'est des nouvelles frontières de l'UE suite à l'élargissement de 2004, c'est-à-dire la Russie, la Biélorussie, l'Ukraine, et la Moldavie. La PEV a cependant été étendue aux pays du Caucase méridional (Géorgie, Arménie, et Azerbaïdjan) ainsi qu'au partenariat euro-méditerranéen (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Tunisie, Syrie.
  • 650 millions de personnes passent les frontières de l'espace Schengen chaque année
  • 20 000 immigrants sont entrés illégalement en Europe depuis le début de l'année
  • 257 800 demandeurs d'asile ont été enregistrés en Europe en 2010
  • L'aide de l'UE aux réfugiés en provenance d'Afrique du Nord est de 100 millions d'euros
Source : Parlement européen
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La Une de El Païs (Espagne) du 18 avril 2011 : “La vague d'immigrants ouvre une crise dans l'Union européenne.“

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