Immigration : Mayotte et sa situation migratoire dans le viseur de l'exécutif

La situation migratoire du 101ème département français préocuppe l'exécutif français. À tel point que le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, souhaite y consacrer « un projet de loi spécifique ». Par ailleurs, la tenue d’une opération spéciale visant à raser des bidonvilles et procéder à des explusions à partir de fin avril crée des remous.

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Mayotte bidonville
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Dans les quartiers pauvres de Mamoudzou, certains immigrés comoriens déplorent  un climat de plus en plus tendu sur la question de l'immigration clandestine.
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Bidonville Mayotte
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Une vaste opération de destruction d'habitats illégaux en application de la loi Elan, dans un bidonville de Koungou, commune de Mayotte, où 230 cases sont détruites, le 8 mars 2021.
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"Il y aura un projet de loi spécifique pour Mayotte." C'est à la sortie du Conseil des ministres réuni pour la présentation du nouveau projet de loi immigration, le 1er février 2023, que le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, affichait ses ambitions pour le département français le plus pauvre de la France.

En effet, cela fait depuis des années que Beauvau souhaite se saisir de la situation migratoire tendue du 101ème département français. Depuis 2019, l'État français a considérablement augmenté ses moyens de lutte contre l'immigration clandestine qui persiste sur l'île, avec notamment la présence continue en mer de bateaux intercepteurs et une surveillance aérienne. En visite en décembre 2022 à Mayotte, le ministre de l'Intérieur français, Gérald Darmanin, avait exprimé une nouvelle fois sa volonté de renforcer la lutte.

25 000 expulsions par an 

En 2022, 86 % des demandes d’asile déposées à Mayotte ont été rejetées, un taux d’acceptation deux fois moindre que sur le reste du territoire français.

Depuis 2018, hors période de pandémie, ce sont 25 000 personnes en moyenne qui  sont expulsées chaque année, soit la moitié du total des expulsions françaises. En application de la loi Elan (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique), la préfecture se saisit de la question de l’habitat informel en détruisant les bidonvilles. Le 8 mars 2021, ce sont 230 cases du bidonville de Koungou qui ont été détruites au grand désespoir de leurs habitants.

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L'opération avait été motivée par les "risques pour la sécurité des occupants" du bidonville et "pour la sécurité et l'ordre public" selon les autorités. Le préfet avait notamment fait référence au fait que le bidonville était construit sur une zone instable, alors que la saison des pluies battait son plein à Mayotte. Problème, le relogement ou l’hébergement d’urgence adapté censé être garanti à chaque occupant « décasé », comme inscrit dans le texte, est limité. 

Mayotte présente par ailleurs une démographie en croissance constante. L’estimation de l’Insee s’élève à 350 000 âmes contre 100 000 en 1991. Un boom démographique qui résulte d’une part d’un taux de natalité largement supérieur à la moyenne nationale, à savoir 4,6 enfants par femme contre 1,76 en métropole, et d'autre part à l’étendue de l’immigration clandestine. 

Selon les données de l’Institut national de la statistique et des données économiques (Insee), les étrangers composaient 45 % de la population en 2017. Les migrants sont alors majoritairement originaires d’Afrique ou des Comores voisines, notamment d’Anjouan, où le PIB est dix fois inférieur. 

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Département le plus jeune de France

Le 5ème département d’Outre-mer est le plus pauvre de France. En 2018, 77 % de la population vivaient sous le seuil de pauvreté nationale, soit plus de 200 000 personnes. Sur les hauteurs de la capitale Mamoudzou, l'île abrite le plus grand bidonville du pays fait d'enchevêtrements de logements insalubres et qui constituent aussi les principaux refuges des étrangers en situation irrégulière.

En 2020, le défenseur des droits, Jacques Toubon, estimait cependant que seulement 12 % de la population était en situation irrégulière. Une estimation qui ne prend pas en compte les mineurs, rappellent nos confrères de La Première, dans le département le plus jeune de France avec une moyenne d’âge de 23 ans en 2021 (contre 41 en métropole).

Macron Mayotte
Capture d'image
Faute d’une situation administrative régulière, une grande partie de ces jeunes n'a aucune perspective à la sortie de l’école, et se trouve parfois avec la délinquance comme seule issue. L'aide sociale à l'enfance et la protection judiciaire de la jeunesse peinent à endiguer le phénomène. 

Opération « Wuambushu »

Depuis fin février et une révélation du Canard Enchaîné, l’imminence d’une intervention de police provoque le branlebas de combat sur l’île et les réseaux sociaux.
L’hebdomadaire satirique s’est fait l’écho d’une opération intitulée « Wuambushu » (« reprise » en mahorais), pensée par Gérald Darmanin et validée par Emmanuel Macron lors d’un Conseil de défense. Elle aurait pour objectif la suppression d’un millier de logement illégaux et la multiplication d'arrestations et d'expulsions.

La Convention nationale consultative des Droits de l’Homme tient à exprimer en urgence ses graves préoccupations sur les risques d’un tel projet, à double titre : l’aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé et l’atteinte des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d’expulsions massives. Jean-Marie Burguburu, président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme,

Les 1 350 gendarmes et policiers déjà déployés sur place seraient ainsi renforcés par près de 500 autres dont des unités de CRS 8 - spécialisées dans les violences urbaines - et des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), constituées de personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire. Selon des informations de la presse locale, ces gardiens de la paix d’élite auront en partie pour mission d’eviter les débordements dans une prison dont le taux d’occupation a déjà atteint les 210%, mais qui devra pourtant accueillir les migrants en situation irrégulière potentiellement arrêtés.

Des voix s'élèvent pour exprimer les craintes suscitées par une telle opération. Les personnels de santé de l'île ont ainsi rappelé dans un communiqué "les conséquences dramatiques" des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l'immigration. 

Le président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, Jean-Marie Burguburu, a également adressé une lettre au ministre de l'Intérieur pour l'exhorter à "renoncer" à ce projet, au risque d'aggraver "des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé (...) et l'atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d'expulsions massives".

À l'inverse, des élus apportent ouvertement leur soutien, comme le député Les Républicains, Mansour Kamardine.
Si le gouvernement opte pour le mutisme, l'opération serait actée par les protagonistes sur place. Elle devrait durer deux mois et débuter aux alentours du 20 avril. Une date qui coïncide avec la fin du ramadan et l’examen au Parlement du projet de loi immigration.