Immigration : Patrick Weil, historien et politologue français

Identité nationale et déchéance de nationalité sont des débats qui remuent la société française actuelle. Une société qui a connu des vagues successives d'immigration. Comment le débat a-t-il évolué depuis des décennies ? Les explications de Patrick Weil, historien et politologue, directeur de recherche au CNRS, et spécialiste de l'histoire de l'immigration en France.
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« Il y a toujours eu un lien entre la situation économique et les tensions sur la question de la présence des immigrés. »

« Il y a toujours eu un lien entre la situation économique et les tensions sur la question de la présence des immigrés. »
La question de l'immigration agite la société française pourtant l'immigration en France est un phénomène ancien... En effet, l’immigration en France remonte à très longtemps. Elle prend une dimension massive à partir du 19ème siècle avec l’immigration du voisinage dans les années 1880. Ce sont principalement des travailleurs venus de Belgique, d’Italie et d’Allemagne. Cette immigration continue après la première Guerre Mondiale, avec des immigrés venant des pays d’Europe plus éloignés comme la Pologne et la Tchécoslovaquie. L'immigration algérienne qui se développait déjà un peu avant la Seconde Guerre, prend une dimension de masse après 1945. Les Espagnols arrivent en France à partir des années 1950, suivie dans les années 1960 des Portugais, en parallèle avec l’immigration du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie). Les ressortissants d'Afrique noire arrivent à la fin des années 1960. Quelles ont été selon les époques, les motivations à l'afflux d'immigrés sur le sol français ? La plupart des migrants viennent pour travailler, certains viennent comme réfugiés politiques, surtout dans la période de l’entre deux guerre, parce que se produisent des révolutions, des guerres civiles, la mise en place des dictatures dans leur pays d’origine ou encore des persécutions, comme c'est la cas avec les Arméniens ont été l’objet d’un génocide au cours de la Première Guerre mondiale. Les immigrés juifs arrivent en France suite à l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne.
Immigration : Patrick Weil, historien et politologue français
Exposition permanente sur l'histoire de l'immigration en France - Cité de l'immigration à Paris - Wikicommons
Comment a évolué le débat sur l’immigration au fil des ans ? Il y a toujours eu un lien entre la situation économique et les tensions sur la question de la présence des immigrés. La France est ouverte à l'immigration depuis 1880, avec une gauche républicaine qui est favorable à l’immigration parce que liée aux droits de l’homme et aussi parce qu'on observe une baisse de la démographie française par rapport à celle des pays voisins. Les femmes françaises font moins d’enfants et l’immigration est un moyen de compenser cette perte démographique. En revanche à l’extrême droite et à droite, le fait d’intégrer dans la nationalité des personnes étrangères, les Métèques comme on les désigne au début du 20ème siècle provoque des réactions et des campagnes parmi la population. Ce qui pousse d’ailleurs le Parlement à prendre des mesures de restriction notamment lorsque les effets de la crise économique de 1929 se font sentir dans les années 1930 en France. On parle très couramment d’un modèle républicain d’intégration en France, comment définiriez-vous ce modèle républicain d’intégration ? Cela signifie que les étrangers reçoivent les droits en fonction de leur situation individuelle et ne sont pas traités comme appartenant à un groupe en particulier. Il y a donc un respect progressif des droits de plus en plus important au fur et à mesure que le séjour se déroule, indépendamment de l’appartenance ethnique. Il n'existe pas formellement de distinctions sur les origines aussi bien pour l’entrée que pour l’attribution du titre de séjour. Tout ceci reste bien entendu formel, parce que dans la pratique il existe quand même une distinction et des préférences qui ne sont pas inscrites dans la loi.
Les communautés qui vivent sur le sol français ont-elles le sentiment de partager une histoire commune ? Ces communautés partagent une histoire commune parce qu’elles sont en souffrance ensemble. Les communautés ont le droit d’exister, la France n’a jamais été contre le fait que les gens vivent ensemble. Il y a une différence entre communauté et communautarisme. Le communautarisme c’est quand la loi de la communauté ou du groupe s’impose à la loi de l’État. Mais quand les gens regroupés ensemble respectent la loi de l’État, il n’ y a pas de problème. Il y a cependant des parties de l’histoire de France qui ont du mal à être partagées, je pense à l’histoire de la colonisation, c’est un travail qu’il faut faire, mais pour le reste, les Français partagent bien sûre un destin commun. Comment expliquer le malaise social et politique qui règne en France face au sujet de l'immigration ? Il faut l’expliquer d’abord de façon structurelle par le chômage qui sévit depuis 30 ans, et qui touche particulièrement les immigrés et leurs enfants, et puis de façon conjoncturelle par le fait qu’on a un président de la République qui attise des tensions qui sont tout à fait normales. C’est normal qu’il y ait des problèmes d’adaptation et d’accommodement parmi des personnes qui ont des cultures différentes. Lorsque ces personnes arrivent dans une société, elles doivent évoluer et de même la société qui les accueille évolue du fait de leur présence. Les tensions sont normales, qu’elles soient exploitées politiquement, c’est tout à fait nouveau. La Cité nationale de l'immigration à Paris, un musée en hommage aux migrants : visite en vidéo
Le projet de loi Besson sur la durcissement de l’immigration avec pour mesure phare la déchéance de nationalité est en débat à l’Assemblée Nationale. Que vous inspire cette démarche ? C’est un projet de loi qui est le signe d’un échec du président de la République, qui au fond avait voulu mettre en place un système de sélection par l’origine sur le modèle américain de l’entre deux guerre, mais il n’a pas réussi ce système de quota. Il a fixé à son gouvernement des objectifs de reconduite aux frontières, ce qui était absolument irréalisable et dangereux parce que cela mène à l’arrestation dans des conditions humiliantes de gens qui ont commis comme infraction celle d’être en situation irrégulière. Ce ne sont ni des criminels ni des gens dangereux. Le gouvernement cherche à compenser cet échec par des mesures de durcissement qui portent atteinte à certains droits fondamentaux, comme par exemple le droit de passer devant un juge dans un délai assez rapide. Mais à cela s’ajoute des dispositions qui visent à attiser les tensions dans l’opinion publique, donner le sentiment que les étrangers et les naturalisés sont dangereux. Il y a la mesure de déchéance de la nationalité dont la portée ne sera pas très importante ( parce que le nombre de naturalisés qui tuent des policiers n’est pas très important) et dont la constitutionnalité me paraît contestable. Je pense qu’il y a un problème de constitutionnalité parce que la mesure de déchéance va concerner les gens qui ne se sont pas montrés comme des agents d’une puissance étrangère, (ce qui est souvent la cause des déchéances pour les autres catégories de possibilité de déchéance) et dont les liens avec la France sont si fort qu’on peut considérer que le renvoi dans leur pays d’origine est non seulement une atteinte aux principes d’égalité, mais au droit à la vie privée et familiale. Cela peut être le cas d’un enfant né en France de parents étrangers, n’ayant acquis la nationalité française qu’à 18 ans et qui commet un grave crime à 27 ans, mais qui va pouvoir être renvoyé dans son pays d’origine après avoir purgé une partie de sa peine à 30 ou 40 ans en n'ayant vécu qu’en France. Cela est contestable du point de vue de la constitutionnalité.

Biographie

Né en 1956, Patrick Weil est un historien et politologue français, spécialiste des questions d'immigration. Il a étudié à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales de Paris (ESSEC), avant d'obtenir un doctorat en sciences politique. Il a notamment exercé la fonction de chef de cabinet du secrétariat d'État aux immigrés de 1981 à 1982. Il a fait partie de la du Haut Conseil à l'intégration, ainsi que des instances de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration dont il a démissionné en mai 2007, avec sept autres universitaires, pour protester contre l'instauration par Nicolas Sarkozy du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale.

À lire

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Qu'est-ce qu'un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution Patrick Weil Folio, 2005

« Deux siècles d'immigration en France »

Un film de la Cité nationale de l'histoire de l'Immigration

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