Fil d'Ariane
Difficile à ce stade d’en mesurer la portée mais la réunion est une première. D'Idriss Deby à Mohamed VI en passant par Mugabe, plus de quarante chefs d’États et de gouvernements réunis toute cette semaine à New Delhi pour un sommet Inde-Afrique : on est dans une toute autre dimension que la précédente édition qui, en 2011, en avait rassemblé une petite quinzaine à Addis Abeba. L’Inde n’a guère habitué à ce type d’initiative diplomatique spectaculaire, qui est également la plus notable depuis l'arrivée au pouvoir il y a dix-huit mois de son très nationaliste Premier ministre, Narendra Modi.
Si Delhi n’est pas encore perçue, sauf exceptions, comme un acteur majeur sur le continent africain, ses échanges avec lui se développent pourtant de façon quasi exponentielle, passant de 3 milliards de dollars en 2000 à ... 70 milliards en 2014. Encore loin derrière, bien sûr, de la Chine dont le commerce avec l’Afrique frôle les 200 milliards de dollars, soit plus que le PIB des 30 plus petites économies africaines. Le ralentissement de la croissance chinoise, pourtant, devient sensible, occasionnant des annulations d’investissements ou de contrats.
C'est dire que l’Inde apparaît, pour les dirigeants africains, comme une alternative à ne pas négliger. Ses 8 % de croissance annuelle alimentent une très forte demande de matières premières présentes sur leur sol. Malgré sa taille, elle doit importer l’essentiel de son pétrole et souhaiterait que l’Angola et le Nigéria l’aident à réduire sa dépendance à l’égard du monde arabe.
Outre ses ressources, le continent africain représente un marché prometteur pour l’Inde, qui n’a pas réussi en Europe la percée espérée. Il ne pèse pour l’instant que pour 11 % des exportations indiennes. Mais son retard dans la course l’a conduit à présenter un profil séduisant pour l’Afrique en terme de partenariats et transferts technologiques. Elle est réputée compétente en matière d’infrastructures, de téléphonie, d’informatique ou dans l’industrie pharmaceutique.
Ponctuellement présente dans certains grosses opérations – elle a prêté 300 millions de dollars pour la construction d’une ligne de chemin de fer entre l’Ethiopie et Djibouti – l’Inde l’est plus encore à travers une multitude de petits investissements privés, à l’inverse de la Chine dont les offensives sur le continent sont d’avantage le fruit d’initiatives d’État, parfois impopulaires.
L'enjeu est aussi politique pour une Inde dont le nouveau pouvoir cherche à s'affirmer sur la scène internationale. Visant à terme un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies (Pékin a le sien), Delhi n’ignore pas, comme bien d’autres avant elle, que le continent africain représente, dans son assemblée générale, plus d’une cinquantaine de voix.
Moins triomphant que la Chine qui tend désormais - loin de son image "tiers-mondiste" d'antan - à apparaître comme membre du club des grandes puissances converti à leur logique, Delhi prend d’ailleurs soin de se présenter en ami et non en prédateur. Elle insiste sur son histoire commune avec l’Afrique, invoquant à l’occasion sa lutte passée contre l’apartheid – Gandhi vient d’Afrique du Sud - voire contre le colonialisme. Non sans quelque peine sur ce dernier point car, ici et là, les communautés indiennes passent plutôt pour avoir penché du côté des Européens durant la colonisation. Leur réputation de repli sur elles-mêmes et leur attachement encore souvent persistant au système des castes n’est pas non plus un argument très universaliste.
La politique et le commerce en ont vu d'autres. Si le gouvernement de Delhi reste discret sur les objectifs économiques et même diplomatiques du sommet – qui court-circuite au passage l’OUA -, sa tenue même et son ampleur font office de message. L’Inde quitte son profil relativement bas dans la région et devient un protagoniste du continent africain avec lequel il faut compter.