Inde : le concurrent méconnu de la course spatiale

L'annonce de Narendra Modi, le Premier ministre indien, dans son discours à la nation a fait grand bruit : d'ici 2022, l'Inde enverra une mission habitée dans l'espace. Peu connu pour ses qualités de constructeur aérospatial, l'Inde est pourtant un sérieux concurrent dans la course à l'espace.
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Inde espace
Lancement d'un satellite à Sriharikota en Inde, le 29 mars 2018.
© AP Images/ R.Parthibhan
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Cette promesse pourrait prêter à sourire et pourtant ! Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a annoncé dans son discours à la nation, à l'occasion de l'anniversaire de l'indépendance indienne ce mercredi 15 août, que l'Inde "enverra dans l’espace un homme ou une femme en 2022, et avant cela si possible". Cette annonce révèle un programme spatial indien pointu et développé depuis de longues années.

Tout commence en 1967. L'Inde lance un programme spatial et l'URSS lui apporte son soutien. Moins de dix ans plus tard, en 1975, le premier satellite indien est envoyé dans l'espace. En 1997, l'Inde signe des contrats avec l'Allemagne et la Corée du Sud pour placer leurs satellites en orbite.

Certes, le programme spatial indien connaît de nombreuses déconvenues. Mais depuis un peu plus d'une dizaine d'années, les scientifiques indiens ont propulsé leur pays dans le haut du panier de l'aérospatial. Exemple avec l'opération Chandrayaan-1 : le 22 octobre 2008, l'Inde envoie un satellite en orbite autour de la Lune.
 

Une stratégie spatiale particulière

Ce qui fait la particularité de l'aérospatial indien, ce sont les bas coûts de production. En 2013, l'Inde envoie une sonde en orbite autour de Mars. Coût de l'opération : 4,5 milliards de roupies (7,2 millions de dollars à l'époque). L'opération américaine Maven, qui avait le même objectif, déclenchée en novembre 2013, avait coûté 438 millions de dollars soit 60 fois plus.

Cette différence s'explique, selon l'AFP, par le principe du "jugaad". Concrètement, les équipes scientifiques indiennes cherchent les solutions les moins chères possibles. C'est ainsi que, par exemple, les scientifiques sont payés moins cher - sachant que ces salaires peuvent représenter une part importante des coûts des lancements.

Denis Moura, spécialiste scientifique interrogée par notre journaliste Bénédicte Weiss en 2013, expliquait que "Sur les 1300 kg que pèse la sonde, plus de la moitié correspond à du carburantce qui fait un satellite assez léger. Le faible coût est induit également par les instruments, c'est-à-dire les détecteurs scientifiques qui sont embarqués. Plus le satellite est gros, plus leur nombre ou leur complexité augmente. Or une grande partie du coût total est liée à ces instruments scientifiques qui sont en général développés pour la cible observée et pour la mesure qui est recherchée."

Et cette stratégie porte ses fruits. Le 15 février 2017, l'Inde a battu le record du plus grand nombre de satellites lancés simultanément avec succès : 104 satellites au total. Alors qu'entre 1997 et 2017, l'Inde avait placé 122 satellites en orbites (et 79 d'entre eux étaient pour des pays étrangers).

Des intérêts de l'exploration aérospatiale

Si les coûts sont plus bas, c'est aussi parce que les objectifs ne sont pas tout à fait les mêmes. Pour ce qui est des satellites, là où les États-Unis et les Européens visent des objectifs purement scientifiques, l'Inde cherche à démontrer son savoir-faire.

Comme l'expliquait Alain Dupas, consultant international spécialiste des stratégies spatiales, "Les solutions qui ont été utilisées ont probablement été adaptées de technologies préexistantes développées pour des satellites terrestres ou lunaires, ce qui permet de minimiser les coûts et les délais. Mais, de ce fait, cette mission ne peut être optimisée sur le plan scientifique : avec plus d'argent et plus de temps, on pourrait faire une mission plus ambitieuse. L'optimisation n'a visiblement pas porté sur ce paramètre, mais plutôt sur le fait que l'Inde fera partie des quelques pays à avoir expédié un satellite autour de Mars et que sa technologie permet de faire des analyses scientifiques à de très grandes distances. Elle marquera ainsi sa présence dans une thématique difficile."

Et, en faisant partie du cercle restreint des nations pionnières de l'aérospatial, l'Inde obtient des contrats pour lancer des satellites pour d'autres pays. Les satellites sont devenus des ressources cruciales dans de nombreux domaines, du civil au militaire, et la capacité d'un État à en lancer rapidement et à bas coûts est un argument de poids pour remporter des contrats.

Mais l'espace représente un autre enjeu pour l'Inde. Quelques jours avant l'annonce du projet de mission habitée, le gouvernement reportait le lancement de la mission Chandrayaan-2 qui doit poser un rover près du pôle Nord de la Lune et positionner un satellite en orbite autour de l'astre. Objectifs de la mission : analyser  la topographie lunaire, la composition minéralogiques du sol et tenter de trouver des traces d'eau glacée.

Une concurrence méconnue

Face à l'Inde se dresse un sérieux concurrent : la Chine. Pékin a déjà envoyé une mission sur la Lune, de nombreux satellites et explore aussi les sols lunaires. Une nouvelle mission chinoise est prévue mais si l'Inde atteint son objectif en 2019, elle passera devant la Chine.

> Lire en complément : Chine : objectif Lune, le retour

Surtout, l'Inde deviendrait la quatrième nation à poser un objet sur la Lune après les États-Unis, l'URSS et la Chine. Cette prouesse viendrait renforcer son statut de puissance spatiale et lui taillerait une part de choix dans un marché estimé à 3 voire 4 milliards de dollars.