Inde : l'héritier, le nationaliste et l'homme ordinaire

Lancées le 7 avril dernier, les élections législatives indiennes, qui s’échelonnent sur cinq semaines, s’achèvent ce lundi 12 mai. L'annonce des résultats est prévue vendredi 16 mai. Un scrutin qui devait mobiliser 814 millions d’électeurs autour de 930 000 bureaux de vote dans 29 états et 543 circonscriptions. Le point sur les élections dans "la plus grande démocratie du monde" avec Vaiju Naravane, correspondante à Paris du quotidien anglophone The Hindu.
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Inde :  l'héritier, le nationaliste et l'homme ordinaire
Transport de machines de vote électronique
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Face au Parti du Congrès, miné par dix ans de pouvoir, de clientélisme, de scandales de corruption et d'érosion économique, le parti nationaliste hindou d'opposition (BJP) est donné favori de ces élections générales. Toutefois, si le BJP n'atteint pas la majorité de 272 sièges à la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement, le Congrès pourrait encore former un gouvernement en s'alliant avec d'autres partis comme le SP (Parti socialiste) ou le BSP (parti des Intouchables).
Inde :  l'héritier, le nationaliste et l'homme ordinaire
Rahul Gandhi et sa soeur Priyanka @AFP
"La clé du scrutin réside dans l’Uttar Pradesh (nord de l'Inde, ndlr), l’Etat le plus peuplé du pays, qui fera basculer la majorité d'un côté ou de l'autre," explique Vaiju Naravane. Car dans ce fief traditionnel des Ghandi, où leur parti n'a connu que de rares défaites depuis les premières élections indiennes, en 1952, le Congrès, là aussi, n'est plus que l'ombre de lui-même. Il ne tient plus que par l'attachement inconditionnel des électeurs à la famille Gandhi et souffre de l'image, de son chef, Rahul Gandhi qui, à 43 ans, a encore beaucoup à apprendre. "Il n’a aucun charisme, et pas assez d'autorité, témoigne Vaiju Naravane. Sa sœur, Priyanka, qui est très active sur le terrain, en a davantage, mais son entrée dans l'arène politique est récente. Elle reste encore peu connue de l’électorat national."
Comme le parti du Congrès, le BJP ultra nationaliste hindouiste de Narendra Modi, est proche des milieux d'affaires et des grandes familles industrielles et commerciales indiennes. "Sur le plan économique, il n'y aura pas une grande différence entre ces deux partis, confirme Vaiju Narvane. Ce qu’il faudra observer, c’est jusqu’à quel point le BJP, une fois élu, se montre aussi corrompu que le Congrès."
Inde :  l'héritier, le nationaliste et l'homme ordinaire
Narendra Modi @AFP
Mais si les Indiens votent Narendra Modi, c’est avant tout parce qu’il reste auréolé du succès de son modèle de développement dans l'Etat du Gujarat, son fief de l'ouest du sous-continent. Un modèle pourtant contesté par nombre d’observateurs, et dont le bilan social n’est pas brillant : seule une frange de la classe moyenne a progressé et le gouffre entre les riches et les pauvres s'est encore creusé. "S’il est élu, je crois que Modi sera plus regardant sur les subventions octroyées aux pauvres, alors que l’Inde est actuellement le pays au monde qui dépense le plus en chiffres absolus pour réduire la pauvreté. Concernant les questions de société, il devrait prôner un retour à une attitude beaucoup plus traditionnelle et patriarcale envers les femmes," redoute Vaiju Naravane. Reste à savoir si les Indiens souhaitent ce type de modèle ou un développement plus inclusif... Ce que les Indiens doivent avant tout décider, c'est d'accorder, ou pas, une large majorité à un parti extrémiste de droite. Car la "peur du musulman" brandie par Narendra Modi reste l'un des principaux arguments de campagne du BJP, même si, au Gujarat et dans L'Uttar Pradesh, le BJP a aussi présenté des candidats issus de la société musulmane. En pondérant ainsi sa rhétorique anti-musulmane et pro-hindoue, il souhaite donner une image plus consensuelle. Mais s’agit-il d’une réelle intention ou d’une posture électorale ? "Tout dépendra des coalitions à l’issue de l’élection, pense Vaiju Naravane. S’il est élu de justesse et forme une coalition très hétérogène, il sera bien moins extrémiste que s’il gagne les élections haut la main avec son propre parti." Narendra Modi n'aime pas partager le pouvoir, comme le raconte son biographe Nilanjan Mukhopadhyay. Mais même s'il le souhaitait, Narendra Modi saurait-il se libérer de l’emprise des très influentes organisations extrémistes hindoues comme Vishva Hindu Pariṣad ou Rashtriya Swayamsevak Sangh ? Cette question, elle, reste en suspens.
Troisième grand acteur sur la scène électorale, l’Aam Aadmi Party (AAP), le Parti de l’homme ordinaire, présente une plate-forme de bonne gouvernance fondée sur une lutte contre la corruption. Mais est-il à même de proposer une alternative crédible ? Rien n'est moins sûr, au vu d'une campagne davantage axée sur la protestation que sur un programme concret et précis - une campagne anti-corruption, anti-immobilisme du gouvernement, anti-stagnation de l’économie, anti-impunité pour les criminels... Vaiju Naravane souligne aussi qu'"il n'y a pas que la corruption qui mine le pays : le développement économique, la pauvreté, le système de santé, d’éducation sont autant de problèmes importants pour lesquels le Parti de l'homme ordinaire ne semble pas avoir de propositions. C’est pourquoi je pense que les scandales de corruption dans lesquels sont impliqués des membres du Congrès vont davantage profiter au BJP de Modi qu’à l'AAP." Si l'AAP ne parvient à grappiller qu'une poignée de sièges, l'opposition sera alors trop éclatée pour que se dégage une alliance efficace contre le BJP de Modi. S'il tire son épingle du jeu avec une cinquantaine de sièges, en revanche, alors il pourrait s'allier au Congrès et à d'autres partis laïcs désireux de faire front contre les intégristes hindous. Quoi qu'il en soit l'AAP aura réussi à mettre au centre de la vie politique indienne les trois fondements de l'Inde moderne : bonne gouvernance, lutte contre la corruption et disparition du capitalisme de connivence, auxquelles s'ajoutent les valeurs séculaires en opposition à la démocratie "ethnique", portée par Narendra Modi.

“Dignité, sécurité et autonomisation“ pour les femmes

07.05.2014Propos receuillis par Sylvie Braibant
Entretien avec Lakshmi Puri, directrice exécutive d'ONU Femmes. Une interview réalisée pour notre site Terriennes. Citoyenne indienne, qui a occupé de nombreuses fonctions au sein du ministère des Affaires étrangères de son pays, Lakshmi Puri revient sur la place occupée par les droits des femmes dans la campagne électorale, suite aux viols et aux agressions sexuelles contre des Indiennes, événements très médiatisés et qui ont suscité de fortes réactions depuis décembre 2012.
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Les médias, caisse de résonnance du mécontentement ?

08.05.2014Par Liliane Charrier, propos recueillis par Hélène Février
Les manifestations d’indignation et de colère survenues suite aux affaires de corruption, mais aussi - et surtout - de viols collectifs ont largement été relayées par les médias indiens, convertis en caisse de résonance du mécontentement d’une partie de la population. Et pourtant "cette mobilisation n’a guère eu d’impact sur la campagne. La question des femmes a, à peine, été traitée," témoigne Vaiju Naravane. "Il est vrai que nous avons beaucoup plus de chaînes d’information en continue qu’avant et que, de fait, l’information est relayée et re-relayée 24h sur 24h. Ces messages, sans cesse martelés, ont un effet amplificateur. Mais pour autant, je ne crois pas que leur impact soit plus fort", poursuit la journaliste. Si une émission comme Times Now n’a pas vraiment eu d’influence sur le déroulement de la campagne électorale et sur les comportements électoraux, c'est avant tout parce qu'elle est en anglais. "Dans les faits, combien de spectateurs regardent réellement les émissions en anglais ? Ils sont peu. C'est essentiellement la classe moyenne et la classe moyenne supérieure," souligne Vaiju Naravane. Il est vrai que les journaux en langues régionales ont de bien plus gros tirages que ceux qui publient en anglais comme The Times of India ou The hindu. A vrai dire, les Indiens, indépendamment de l'effervescence médiatique, s’intéressent de près à la politique. Les électeurs, même analphabètes, connaissent bien leurs réalités politiques et se prêtent au jeu démocratique avec joie, "car c’est la seule manière, surtout pour les pauvres, de prendre leur revanche sur une société qui les laisse pour compte pendant les cinq années du mandat," conclut la journaliste.
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Rahul Gandhi et le déclin du parti du Congrès

Après deux mandats successifs, avec à sa tête le Premier ministre Manmohan Singh (père des réformes libérales de 1991), le Congrès est en totale perte de vitesse et perd des voix pour son incapacité à enrayer le déclin économique de l’Inde. Jusqu’en 2010, il affichait encore un taux de croissance à deux chiffres qui, aujourd’hui, peine à dépasser les 4,6 %. Pire encore, le Congrès est comme orphelin, sans leader charismatique. La personnalité du dernier dauphin de la dynastie, Rahul Gandhi, 43 ans et sans expérience, ne séduit pas. Fin 2012, il était encore enfermé derrière les hauts murs des résidences officielles de Delhi. 
Maintenant, il sort peu à peu du silence et du monde des élites privilégiées. Mais ses amis n'ont pas plus foi en lui que ses ennemis. Il a beau être l'héritier, le Congrès ne l'a toujours pas intronisé comme son candidat officiel au poste de Premier ministre. "Ni lui, ni personne d'autre d'ailleurs," note le journaliste Hartosh Singh dans un dossier du Times of India (proche du Congrès) titré "Les grandes erreurs du Congrès". "Depuis le début de sa carrière politique anodine, Rahul Gandhi préfère éviter les feux des projecteurs. C'est en partie parce qu'il est un très mauvais candidat de campagne et que tout le monde le sait."
 
Dans le même temps, le Congrès a enchaîné les défaites électorales, particulièrement dans la Hindi Belt (ceinture hindiphone) - vaste région dans le nord de l'Inde qui était autrefois la base de son soutien. Cette hémorragie constante de sympathisants menace la survie du parti, de plus en plus critiqué pour servir de réseau clientéliste. 

Le “Parti de l'homme ordinaire“

En 2011, Arvind Kejriwal, un ancien fonctionnaire des impôts (!), cofonde avec Anna Hazare un mouvement issu de la société civile qui annonce d'emblée sa vocation : L'Inde contre la corruption. Quelques mois plus tard, le mouvement donne naissance à l’Aam Aadmi Party, le "Parti de l'homme ordinaire", qui réalise une remarquable percée dès les élections régionales de Delhi en 2013. "Projeté au sommet en quelques mois, il était encensé par les médias, se souvient Vaiju Naravane. Mais il n’était pas assez affuté pour gouverner et a procédé d’une manière assez gauche. Alors les médias se sont jetés sur la moindre petite faute commise - et il est vrai qu’elles ont été nombreuses. Depuis, le parti a beaucoup perdu en crédibilité."  Aujourd'hui, l'AAP fait campagne contre les trois "C" : Corruption, Communautarisme et Clientélisme.  Ses thèmes de campagne vont de la lutte contre la hausse des prix de l'électricité à l'aide aux victimes de viol, en passant par le soutien aux représentants des minorités religieuses et la dépénalisation de l'homosexualité en Inde.
Le “Parti de l'homme ordinaire“
Arvind Kejriwal, fondateur du Parti de l'homme ordinaire