Fil d'Ariane
En Inde, plus de 970 millions d’électeurs sont appelés aux urnes depuis le vendredi 19 avril. Ils doivent entre autres élire les 545 députés de la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement indien. Le scrutin va durer plusieurs semaines jusqu'au 4 juin. Le vote déterminera qui sera le futur chef du gouvernement du pays. Décryptage.
Des fonctionnaires transportant des machines à voter électroniques montent à bord de leurs véhicules alors qu'ils se dirigent vers les bureaux de vote qui leur ont été attribués, à la veille de la deuxième phase des élections nationales à Barmer, Rajasthan, en Inde, jeudi 25 avril 2024.
En Inde, les électeurs ont commencé à se diriger vers les urnes depuis ce vendredi 19 avril, pour les élections législatives. Le scrutin permettra d'élire les prochains 545 députés de la Chambre basse du Parlement. Au total, 970 millions d’électeurs sont attendus dans les 1,2 million de bureaux de vote installés dans les 28 États que compte le pays. 2 millions de machines à voter électroniques y ont été également acheminées. Le dispositif mobilise quelques 300 000 membres des forces de sécurité fédérales indiennes, chargés d’encadrer le vote.
Les 28 États et huit territoires d'Inde élisent leur nouveau Parlement au cours d'un processus démocratique long de 44 jours.
Le scrutin se déroulera en sept étapes dans ce pays à la superficie de 3,3 millions de km2, grand comme l’équivalent de l’Union européenne. La population se répartit dans les mégalopoles, les villages de l'Himalaya, le long du Gange ou encore dans le désert du Thar. La loi indienne stipule que tous les électeurs doivent avoir un bureau de vote situé à moins de 2 kilomètres de leur domicile. Pour les élections législatives, des agents électoraux ont été dépêchés pour installer les bureaux de vote sur l’ensemble du territoire, et même dans les villages les plus reculés. Pour y accéder, ils doivent parfois emprunter des chemins tortueux, à pieds, à vélo, en hélicoptère, en bateau, voire à cheval, à dos de chameau ou à dos d'éléphant, selon le New York Times. Ainsi, cinq agents féderaux, en 2009, ont dû pénétrer la forêt de Gir, dans le Gujarat à l'ouest de l'Inde, pour rejoindre l'unique habitant d'un temple hindou isolé, rappelle le quotidien américain.
L'Inde est un pays fédéral. Chaque État a son parlement qui nomme un exécutif. Les États du sud de l'Inde sont dominés par des partis qui représentent les interêts des populations de basses castes. Les États du nord sont en partie contrôlés par le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de l'actuel chef du gouvernement.
New Delhi est le siège du gouvernement fédéral. Le Parlement fédéral, organe législatif, est une institution bicamérale qui comprend une Chambre basse, la « Lok Sabha » ou Assemblée du peuple, et une Chambre haute, la « Rajya Sabha » ou Assemblée des États. La Chambre basse compte 543 députés élus au suffrage universel et deux nommés par le président de la République. La Chambre haute comprend 233 membres élus par les assemblées législatives des États fédérés. Les futurs députés de la Chambre basse, pour qui les Indiens votent jusqu’au 4 juin, seront élus au suffrage universel direct par un scrutin uninominal à un tour.
La réalité du pouvoir politique se trouve au sein de la Chambre basse. Le chef de gouvernement est issu du parti majoritaire à la "Lok Sabha".
Après deux mandats consécutifs, le Premier ministre indien de la formation BJP, Narendra Modi, est candidat à sa réélection. Le gouvernement de l’ultranationaliste hindou a connu des succès économiques. La croissance du pays dépasse les 8%. L'Inde est désormais la cinquième puissance économique mondiale devant le Royaume-Uni ou la France. Le bilan du BJP reste cependant mitigé. Le taux de chômage chez les jeunes est particulièrement haut, d’après les chiffres de la Banque mondiale. L’inflation est en constante augmentation. Un rapport du World Inequality Lab, publié fin 2023, révélait que 1% des Indiens les plus riches détenaient 40% des richesses du pays. Ces inégalités économiques pèsent particulièrement sur les musulmans. Bien que la laïcité soit un principe inscrit dans la Constitution, Narendra Modi est soupçonné de vouloir changer l’Inde en une théocratie hindoue. Ce projet politique exclurait de fait les musulmans de toute citoyenneté. Plus de 16% de la population indienne est musulmane, soit 200 millions de personnes.
(Re)lire Inde : Ayodhya, un temple très politique
Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le Premier ministre a instauré une politique nationaliste nommée l’hindutva. Cette idéologie politique, théorisée par le dirigeant politique Veer Savarkar en 1923, repose sur le principe d’hégémonie culturelle. Selon les partisans de l’hindutva, l’hindouisme est plus qu’une religion : elle est la culture fondamentale de l’Inde. Le principe marginalise donc les minorités religieuses et menace même leur accès à la citoyenneté. Dans l’hypothèse où Narendra Modi est réélu, le chercheur Ashutosh Varshney, cité par The Guardian, craint « le triomphe du « majoritarianisme » hindou » qui entrainerait « la relégation de musulmans au rang de citoyens de seconde zone et à long terme la perte de leur nationalité ».
Face à la formation du Premier ministre, donnée favorite, une opposition s’est formée. Une coalition de plus de 40 partis, l’« India » ou Alliance nationale indienne pour le développement inclusif, s’est constituée pour affronter les candidats du BJP. Parmi les leaders de l’India, le ministre en chef du territoire de Delhi, Arvind Kejriwal, représente un opposant de taille. Avec son parti, Aam Aadmi, le ministre et militant anti-corruption a déjà battu le BJP à deux reprises pour la gouvernance de la capitale indienne, New Delhi. Le 21 mars, à quelques semaines du début des élections législatives, Arvind Kejriwal s’est fait arrêter dans le cadre d’une enquête pour corruption. "Nous avons été clairs dès le début : si nécessaire, Arvind Kejriwal dirigera le gouvernement depuis sa prison", a assuré la ministre de l'Éducation de l'État de Delhi, Atishi Marlena Singh. Elle dénonce une conspiration politique orchestrée par le BJP.
(Re)lire L'Inde vote avec le nationaliste hindou Modi pour favori
Au-delà des pressions supposément exercées par le parti de Narendra Modi, l’opposition reste affaiblie. La formation India compte parmi ses têtes de file Rahul Gandhi, chef du parti « Congrès », et issu d’une famille qui a dominé la vie politique du pays pendant près de sept décennies. Mais après avoir essuyé deux grosses défaites, en 2014 et 2019, le leadership de Rahul Gandhi est contesté au sein de la formation.