Fil d'Ariane
Des dizaines d'Indonésiens et d'étrangers condamnés à la peine capitale pour des affaires de stupéfiants attendent leur exécution en Indonésie, dont la législation en la matière est l'une des plus sévères au monde. Parmi eux, un homme de 51 ans, Serge Atlaoui. Si la sentence est mise en oeuvre, il sera le premier Français exécuté depuis Hamida Djandoubi, guillotiné à la prison des Baumettes à Marseille en 1977 (en France, la peine de mort est abolie depuis 1981). Un événement traumatisant pour la France, qui ramènerait la société à une période révolue.
Serge Areski Atlaoui est artisan-soudeur. Recruté par une ''fabrique d'acrylique'' indonésienne de Tangerang pour 2000 euros hebdomadaires au noir, il échoue dans une usine clandestine réalisant des ''tests'' de fabrication du MDMA, le composant de l'ecstasy, mais sans produire de cachets. Simple ouvrier, Serge Ataloui ne craint rien, explique-t-il après son arrestation, "puisqu'ils ne faisaient que des tests''. En novembre 2005, le laboratoire illégal est démantelé à la suite d'une descente de la police. Un an plus tard, Serge Areski Atlaoui est condamné à la réclusion à perpétuité. Sa peine sera confirmée en appel, puis transformée en peine de mort à la suite d'un recours de ses avocats devant la Cour suprême d'Indonésie.
"Depuis quelques jours, explique Raphaël Chenuil-Hazan, une liste non-officielle circule, qui fait état d'exécutions prochaines - dimanche, selon certains. Si cette liste reste hypothétique, il n'en est pas moins certain qu'une exécution aura lieu dans les prochains jours en Indonésie, et que Serge Atlaoui est en première ligne." Mais en dehors de la voie diplomatique, point de salut.
Le ministre des Affaires Étrangères, Laurent Fabius, devait se rendre en Indonésie cette semaine pour plaider en faveur d'une suspension de la procédure, avant de reporter le voyage en raison de la crise ukrainienne.
Alors, les organisations contre la peine de mort prennent le relais. "Ensemble contre la peine de mort tente de coordonner l' action conjointe de tous les Etats - le Brésil, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Australie et la France - qui ont des nationaux dans les couloirs de la mort en Indonésie, explique son directeur. Objectif : exercer une pression politique sur le gouvernement indonésien pour qu'il comprenne qu'il fait face à une action coordonnée mondiale dont la portée dépasse celle de l'Union européenne. Il n'encourt pas seulement de petits désagréments diplomatiques passagers, mais risque de compliquer réellement la position de l'Indonésie sur l'échiquier international." La mobilisation qui pourrait se concrétiser par une lettre à très haut niveau signée non pas par un président, mais par cinq, six, voire une dizaine de chefs d'Etat.
Jusqu'à présent, les interventions au niveau diplomatique sont restées sporadiques et lettres mortes. A l'issue des dernières élections au Brésil, Dilma Roussef a eu une conversation téléphonique avec le président indonésien, qui s'est soldée par une fin de non-recevoir. Le 18 janvier 2015, un Brésilien a été exécuté avec cinq autres étrangers. Il s'agissait des premières exécutions depuis l'arrivée au pouvoir, en octobre 2014, du président Joko Widodo, qui avait déclaré, peu après sa prise de fonction, qu'il n'y aurait "pas de grâce" pour les affaires de drogue, qui plongent l'Indonésie dans un "état d'urgence". Il a d'ailleurs rejeté la demande de grâce du Français.
Depuis, le Brésil et les Pays-Bas ont rappelé leurs ambassadeurs. Aujourd'hui, l'objectif est de montrer que ces pays ne sont pas seuls à adopter une position forte. Car pour l'heure, au lieu de montrer des signes d'indulgence, le président indonésien reste inflexible sur les questions de souveraineté nationale, de justice et de lutte contre le trafic de drogue. Or en France, explique Raphaël Chenuil-Hazan, "on a longtemps pensé que, en présence d'une grande fierté nationale de la part du gouvernement indonésien, il était préférable d'adopter un profil bas." Certes, François Hollande a écrit fin janvier à son homologue Joko Widodo pour plaider la cause de Serge Atlaoui. "Mais maintenant que rien ne semble arrêter le président indonésien, il faut entrer dans le bras de fer."
Serge Atlaoui n'est pas le seul étranger à avoir subi ce traitement sans concession. Pour Raphaël Chenuil-Hazan, l'acharnement de la justice indonésienne reflète "la volonté politique du gouvernement de lutter contre le trafic de drogue, mais aussi une sorte d'obsession à frapper impitoyablement les étrangers, quels qu'ils soient, européens, africains, sud-américains, australiens ou asiatiques, avec une dureté accrue." Une dureté largement relayée par l'opinion publique indonésienne, selon Raphaël Chenuil-Hazan : "les Indonésiens se montrent tout à fait dénués d'empathie envers les étrangers condamnés dans leur pays, alors qu'ils se mobilisent en masse pour manifester leur soutien à leurs concitoyens dans les couloirs de la mort à l'étranger, notamment dans les pays du Golfe, comme en Arabie Saoudite, où se sont surtout des femmes qui sont visées par la justice. Et le gouvernement indonésien tient compte de ces nationaux menacés hors de leurs frontières." Une dichotomie parfois difficile à comprendre.