Fil d'Ariane
Les chiffres sont froids mais laissent songeurs : "80 personnes, à elles seules détiennent la moitié de la richesse mondiale", "En 2014, 80% de la population mondiale devait se contenter de 5,5% des richesses", "En 2016, les 1% les plus riches possèderont plus de richesses que les 99% restant"…
Ces constats effectués et illustrés par une carte du monde où le coefficient de Gini est appliqué en couleur, méritent une analyse. Henri Sterdyniak, directeur du Département économie de la mondialisation de l'OFCE répond à nos questions.
Quels sont les effets directs des inégalités en observant cette carte ? Un pays inégalitaire est-il en général plus, ou moins performant, d'un point de vue économique ?
Henri Sterdyniak : Moins performant pour qui ? C’est un peu comme à la chasse, tout dépend de quel côté du fusil vous êtes. On voit en Europe des pays extrêmement égalitaire qui sont très performants économiquement. C’est le cas des pays scandinaves, et ça a été le cas de l’ Europe dans son ensemble pendant les 30 glorieuses. Il n’y a donc pas de fatalité en disant qu’il y aurait besoin d’inégalités pour la croissance. Le fait d’être un pays relativement égal fait que tous les jeunes sont dans des situations favorables pour être éduqués, pour se préparer à la société du XXème siècle. Alors que dans une société inégale, il y a forcément un manque à gagner et une partie des jeunes sont dans la délinquance, et ne réussiront jamais à s’intégrer dans la société.
On peut toujours dire que "les inégalités ça incite les gens à travailler fort pour être dans la tranche supérieure", mais l’expérience montre au contraire que les pays très inégaux sont des pays où les inégalités sont héréditaires. Si l’on prend l’Afrique du Sud, pays très inégalitaire, alors qu’il est considéré comme la plus forte économie du continent, c’est une construction statistique. Les disparités sont énormes, par exemple entre le monde rural, très arriéré, et le reste. Ce pays ne connaît pas un très fort dynamisme économique au sein des pays d’Afrique.
Plus la richesse s'est accrue entre très peu de mains, plus les inégalités ont augmenté, semble-t-il… Y a-t-il selon vous une cause à effet ?
H.S : Les inégalités dépendent de deux facteurs qui sont peu liés. Le premier c’est le traitement des bas revenus, le fait de savoir s’il y a un revenu minimum, un minimum vieillesse, des aides pour les enfants pauvres, etc. Il est important de savoir s’il y a des filets de protection pour les plus pauvres, comme c’est le cas en Europe, mais n’existe pas dans un certain nombre de pays en développement. Ce qui explique pour ces pays les vrais cas de pauvreté, extrêmement importante.
Le second phénomène qui s’est développé, c’est l’apparition dans un certain nombre de pays d’une petite couche excessivement limitée de personnes avec des revenus extrêmement élevés qui sont soit des financiers, des cadres d’entreprises ou des propriétaires d’entreprises qui les ont obtenues souvent par le pillage ou la prédation, mais aussi des stars, des vedettes. Cette petite couche très limitée a des revenus très importants, et dans un certain nombre de cas on peut dire que c’est justifié parce que ce sont des revenus de l’invention, et dans d’autres cas ce sont des revenus de la prédation, qui ne sont pas justifiés, et sont liés à la corruption. Ce phénomène vient de la manière dont les socialistes ont été capitalisés ainsi qu'au développement des moyens de communication de masse, qui fait qu’il y a des sommes importantes qui traînent dans la publicité et par conséquence dans certains mondes culturels.
Cette part de patrimoine détenue par les plus riches que veut-elle dire ? Quelles en sont les conséquences au sein des sociétés ou elle est la plus élevée ?
H.S : Avec le capitalisme financiarisé, un certain nombre de familles extrêmement riches possèdent les entreprises, ou comme je le disais, d’autres fortunes acquises par prédation. Heureusement il y a les inventeurs, comme Bill Gates, etc … Avec le développement prodigieux de la valorisation boursière des entreprises, cela donne aux dirigeants d’entreprises un pouvoir extrêmement important. Ce sont eux, par exemple aux Etats-Unis, qui font presque les élections en donnant de l’argent aux différents candidats. En France, ce sont 7 capitalistes qui possèdent la presque totalité des médias. Ils jouent un rôle important avec le mécénat, ils orientent la production avec de moins en moins de contrôle, ni de la part de l’Etat, des salariés ou des consommateurs. La tendance actuelle des sociétés capitalistes est le pouvoir énorme que prennent les grands groupes capitalistes dirigés dans l’intérêt des actionnaires avec un contrôle extrêmement limité des autres membres de la société.
A un moment donné on a pensé que c’était efficace puisqu’on pensait que ce sont les chefs d’entreprise qui savent le mieux. Aujourd’hui on peut en douter, quand une banque préfère jouer sur les marchés financiers plutôt que de financer l’investissement productif, ou quand Wolswagen préfère tricher sur les tests plutôt que d’avoir des voitures performantes. Ce sont des choix qui sont faits dans l’intérêt de l’actionnaire et pas dans l’intérêt social. C’est donc un problème démocratique qui survient. Qui va orienter notre société si nous avons besoin de prendre des tournants écologiques par exemple ? On ne peut pas faire du tout confiance aux dirigeants d’entreprises qui les gèrent dans l’intérêt unique des actionnaires…