Fil d'Ariane
Des employés équipés de puces RFID implantées sous la peau, des voitures sans chauffeur ou de la nourriture commandées par Internet, des logiciels qui remplacent des équipes entières de professionnels, des logiciels prédictifs, assistants numériques intelligents, technologies de reconnaissance faciales, de surveillance et profilage : les nouvelles applications technologiques proposées, à venir, ou imposées aux populations sont en croissance permanente. Tout nouveau procédé technologique n'envahit pas pour autant le quotidien, et si certain tentent de les rendre incontournables, ils peuvent être parfois abandonnés malgré des campagnes publicitaires géantes. Les Google Glasses en font partie : aussitôt promues et testées, presque aussitôt non-commercialisées. Le public n'en voulait pas vraiment, tandis que les autorités publiques craignaient les débordements que ce "jouet" technologique — capable entre autres de filmer n'importe quand et n'importe où, sur une simple commande vocale — pouvait générer. Mais le Google X Lab n'a pas dit son dernier mot, et il est probable qu'une nouvelle version des Google Glasses reviendra hanter les écrans de publicité, une fois que le public — et la société dans son ensemble — seront déclarés "prêts".
Les humains ont, de tous temps, rêvé de construire des machines intelligentes, le plus souvent des androïdes à figure humaine.Introduction du projet de rapport parlementaire européen pour une résolution concernant des règles de droit civil sur la robotique
C'est ainsi que chaque année des annonces sont faites pour promouvoir des nouvelles formes de travail, de consommation, d'accès aux loisirs, à l'information, de médecine ou de transports, d'outils numériques plus ou moins intelligents. C'est en réalité toutes les activités humaines qui sont "en mutation" sous la poussée de services technologiques lancés par des firmes internationales, le plus souvent californiennes, GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) en tête. Face à cette "révolution technologique" — comme elle est souvent intitulée — la question d'une régulation émerge, particulièrement pour accompagner les changements de société à venir.
La récente affaire des puces RFID implantées dans la main d'employés belges — bien que volontaires — pose de nombreuses questions éthiques. Ces puces électroniques placées sous la peau permettent d'ouvrir les portes des bureaux, de déverrouiller des ordinateurs, d'activer un photocopieur, et sont donc proposées comme une facilitation au travail. Mais les données personnelles des salariés permettant ces actions sont contenues dans les puces, le vol de ces données est donc possible. Au delà du risque technique et de la protection de la vie privée qu'il implique, qu'en est-il de la surveillance que ces implants permettent ? Chacune des actions des salariés est tracée, leur activité pistée de façon automatique… Le droit du travail peut-il s'accommoder d'un tel pouvoir offert aux employeurs à l'égard de leurs employés ?
Quand la technologie vient s'intégrer au corps humain, c'est une forme d'intrusion étrangère permanente qui s'opère, avec une capacité qu'aucun autre implant ne permettait jusqu'alors, dans le cas des puces RFID sous-cutanées : la transmission de données numériques. Le corps humain — en devenant un conteneur de données pouvant interagir, et être identifié par d'autres machines — devient une sorte "d'extension numérique physique" : le cyborg de la science-fiction n'est pas loin, ou tout du moins, commence à se dessiner. En Suède, une entreprise a proposé d'implanter une puce RFID à ses 400 employés sur la base du volontariat.
Ces nouveaux procédés technologiques ouvrent de nombreuses portes sur des univers encore inconnus, avec leur lot de problématiques qui ne peuvent pas être écartées facilement : de la même manière que les techniques de procréation assistées ou de génétiques ont été encadrées, les nouveaux procédés technologiques, basés sur l'identification numériques des personnes, les machines autonomes ou "intelligentes", la collecte de données personnelles, les robots "apprenants", etc, ne devraient-ils pas l'être aussi ?
Eu égard aux effets potentiels, sur le marché du travail, de la robotique et de l'intelligence artificielle, il convient d'envisager sérieusement l'instauration d'un revenu universel de base
Extrait du projet de rapport parlementaire européen pour une résolution concernant des règles de droit civil sur la robotique
L'Union européenne commence à y songer, dans le domaine de la robotique. Un projet de rapport, de la députée européenne luxembourgeoise Mady Delveaux a d'ailleurs été publié et va bientôt être débattu au Parlement de Strasbourg. La députée répondait à Mohamed Kaci sur la nécessité d'une régulation des "robots" et les enjeux à venir sur ce sujet, lors du 64' de TV5Monde le 8 février 2017 :
L'introduction du rapport de "recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique" indique la chose suivante :
Les humains ont, de tous temps, rêvé de construire des machines intelligentes, le plus souvent des androïdes à figure humaine; considérant que, maintenant que l'humanité se trouve à l'aube d'une ère où les robots, les algorithmes intelligents, les androïdes et les autres formes d'intelligence artificielle, de plus en plus sophistiqués, semblent être sur le point de déclencher une nouvelle révolution industrielle qui touchera très probablement toutes les couches de la société, il est d'une importance pour le législateur d'examiner toutes les conséquences d'une telle révolution.
Les effets de l'arrivée des robots intelligents dans nos sociétés sont immenses; et le rapport ne manque pas de souligner l'ensemble des secteurs d'activités humaines qui seront touchés :
(…) à court ou moyen terme, la robotique et l'intelligence artificielle promettent une grande efficacité et des économies conséquentes, non seulement dans la production et le commerce, mais également dans des domaines tels que le transport, les soins médicaux, l'éducation et l'agriculture (…)
Cette réalité, déjà partiellement en place va devenir très concrète dans les quelques années à venir : certaines maisons de retraite médicalisées utilisent déjà des "robots d'animation", et les robots médicaux commencent à émerger (lire notre article : "Vieillissement : les robots arrivent en maison de retraite"). La voiture autonome d'Uber est prête, elle risque d'arriver assez vite en Europe, tout comme les assistants numériques en tout genre, immobiles pour l'heure, mais physiquement actifs au Japon sous la forme d'androïdes. Toutes les activités concernées bénéficient économiquement de l'efficacité redoutables de ces machines aux performances supérieures à l'homme (Lire notre article : "MadeByGoogle : les intelligences artificielles de Google vont-elles envahir le monde ?" . Des "robots tueurs" militaires sont développés par certains pays… (Article TV5Monde : "Robots tueurs : un problème mondial méconnu")
Le projet de rapport de Mady Delveaux balaye donc tous les champs d'activité où la robotique et ses intelligences artificielles vont se positionner, et demande : quelles réglementations, encadrements juridiques, aménagements sociaux, économiques, faut-il effectuer pour s'adapter à cette nouvelle donne ? Au delà de la responsabilité juridique des robots (en cas d'accidents ou de problèmes), la question du changement de société et des effets socio-économiques engendrés par ces nouveaux "collaborateurs" de l'humanité se pose.
(…) il y a lieu d'envisager la nécessité de définir des exigences de notification de la part des entreprises sur l'étendue et la part de la contribution de la robotique et de l'intelligence artificielle à leurs résultats financiers, à des fins de fiscalité et de calcul des cotisations de sécurité sociale; est d'avis qu'eu égard aux effets potentiels, sur le marché du travail, de la robotique et de l'intelligence artificielle, il convient d'envisager sérieusement l'instauration d'un revenu universel de base, et invite l'ensemble des États membres à y réfléchir (…)
C'est ainsi que la nécessité d'un revenu universel de base émerge, en partie financé par les entreprises utilisant ces "concurrents" professionnels que seront les robots intelligents. Le débat ne se situe donc pas sur le nombre d'emplois qui disparaîtront et ceux qui se créeront avec l'arrivée des intelligences artificielles, mais plutôt sur "comment compenser le changement radical de modèle économique et social qu'ils produiront". Le rapport de Mady Delveaux propose donc que les entreprises qui améliorent leurs profits grâce à l'usage de ces nouveaux "employés mécaniques et numériques" payent des cotisations sociales afin de financer un revenu donné à tous, pour garantir aux humains qu'ils ne seront pas lésés.
La révolution des intelligences artificielles est en cours, et déjà, comme le stipule le rapport de Mady Delveaux, dans plusieurs pays, comme "les États-Unis, le Japon, la Chine et la Corée du Sud, il est envisagé des mesures réglementaires dans le domaine de la robotique et de l'intelligence artificielle, et certains ont même déjà pris certaines mesures en ce sens". L'Europe devrait réglementer et encadrer ces nouveaux procédés technologiques, avec, si le rapport est suivi dans son analyse et ses préconisations, la création d'un nouveau modèle de société : celui où l'être humain cohabite avec la machine. Une machine, qui si elle n'est pas encore "intelligente" au sens de l'intelligence humaine , est redoutablement… efficiente.
Sur l'intelligence artificielle, ses possibilités et conséquences, cette conférence très éclairante de Stéphane Mallard (spécialiste du numérique pour l'entreprise Blu Age) à visionner :
"L'intelligence Artificielle - A l'aube de la disruption ultime"