TV5MONDE : Israël justifie l'interception du bateau Madleen et l’arrestation des passagers du bateau en invoquant le blocus maritime sur Gaza en vigueur depuis 2007. Que répond le droit international ?
François Dubuisson, professeur de droit international à l'Université libre de Bruxelles et membre de l'association des Juristes pour le respect du droit international (JURDI) : En droit des conflits armés, le blocus est effectivement une mesure militaire qui peut se justifier, mais uniquement sous un certain nombre de conditions précises.
En particulier, il ne faut pas que les effets du blocus soient disproportionnés pour la population civile au regard de l'avantage militaire attendu. Il ne faut pas non plus que ce blocus permette l'organisation d'une famine ou d'une pénurie d'accès aux vivres.
Sur le principe, un blocus maritime peut aussi justifier une intervention en haute mer contre un bateau dont il est avéré qu'il va briser le blocus. Mais encore faudrait-il que le blocus soit lui-même légal.
François Dubuisson, professeur de droit international à l'université libre de Bruxelles et membre de l'association des Juristes pour le respect du droit international (JURDI).
Il est clair que, de ce point de vue-là, le blocus maritime imposé par Israël sur Gaza depuis 2007 est totalement disproportionné. Déjà parce qu'il dure depuis maintenant 16 ans, avec des effets extrêmement importants pour la population civile palestinienne. C’est d’autant plus vrai dans le contexte actuel de la guerre à Gaza et de l'interruption ou la restriction de l'aide humanitaire.
Par ailleurs, plus fondamentalement, ce blocus militaire vient appuyer finalement l'occupation du territoire palestinien de manière plus générale. Or, l'occupation de Gaza est une occupation illégale en droit international, comme l'a rappelé la Cour internationale de justice le 19 juillet 2024 dernier. Toutes les mesures qui viennent renforcer cette occupation sont également illicites.
À tous les égards, en droit international, le blocus maritime imposé par Israël est illicite. Dès lors, les mises en œuvre de ce blocus, en particulier l'arraisonnement du bateau Madleen et l'arrestation de ses membres, sont illégaux.
TV5MONDE : Le bateau a été arrêté en haute mer. Quel est le statut des eaux territoriales au large de Gaza ? À qui appartiennent-elles ?
François Dubuisson : Les eaux directement adjacentes à la bande de Gaza font partie de la mer territoriale de la Palestine et sont ainsi considérées comme étant occupées, au même titre que le reste du territoire palestinien.
Donc, ce qu'on appelle les eaux territoriales font partie intégrante du territoire de l'État palestinien sur lequel il possède sa souveraineté.
Il y a des discussions quant à savoir s'il y a un État palestinien, pleinement indépendant et pleinement reconnu. Mais en toute hypothèse, ces eaux font partie du territoire palestinien occupé. Israël n'a aucun titre à faire valoir sur les eaux territoriales de Gaza.
S'agissant de l’arraisonnement du bateau Madleen, lui, il a eu lieu dans les eaux internationales avant qu’il ne pénètre même dans ces eaux territoriales.
Sur le principe, un blocus maritime peut aussi justifier une intervention en haute mer contre un bateau dont il est avéré qu'il va briser le blocus. Mais encore faudrait-il que le blocus soit lui-même légal. Or, comme je l'expliquais à toute une série d'égards, ce blocus maritime est illicite.
Même en cas de blocus licite, c'est-à-dire un blocus qui respecterait les conditions de proportionnalité, l'État occupant ou l'État en situation de conflit armé doit laisser passer l'aide humanitaire.
François Dubuisson, professeur de droit international à l'université libre de Bruxelles et membre de l'association des Juristes pour le respect du droit international (JURDI)
TV5MONDE : En droit humanitaire, cela veut-il dire que plusieurs bateaux pourraient venir apporter légalement des vivres et accoster dans ces eaux territoriales dans la bande de Gaza ?
François Dubuisson : Même en cas de blocus licite, c'est-à-dire un blocus qui respecterait les conditions de proportionnalité, l'État occupant ou l'État en situation de conflit armé doit laisser passer l'aide humanitaire.
Simplement, il faut que cette aide humanitaire puisse être distribuée de manière conforme, c'est-à-dire par des organismes reconnus comme étant neutres, indépendants et impartiaux, ce qui serait notamment le cas de la Croix-Rouge par exemple.
Les membres de l'équipage du bateau n’avaient pas l'ambition de procéder d’eux-mêmes à de la distribution. Ils les auraient amenés à un lieu, où des organisations humanitaires auraient pu en prendre possession, et elles-mêmes ensuite les distribuer.
Par ailleurs, on sait très bien que l'opération avait surtout une dimension symbolique puisque le volume d'aide qui était transporté par le bateau était extrêmement minime.
C'était plus pour marquer le coup de toutes les restrictions qui sont faites à l'acheminement de l'aide humanitaire, que pour apporter une contribution substantielle à cette distribution.
Très certainement, acheminer de l'aide par bateau, dont on sait par ailleurs qu'elle va être interceptée par Israël, ou même la larguer par avion, comme certains États se sont proposés de le faire, serait une goutte d'eau dans l’océan. Il faut une distribution d'aide faite de manière professionnelle, coordonnée.
Et pour ça, on sait qu'il y a des milliers de camions qui attendent à la frontière, à Rafah.
TV5MONDE : Face au blocus humanitaire qu'il impose à la bande de Gaza, Israël a crée sa propre fondation pour distribuer de l'aide humanitaire. Que dit le droit international sur cette proposition ?
François Dubuisson : Comme on le sait, toutes les ONG et tous les organismes des Nations Unies ont été empêchés de continuer à acheminer l'aide.
Financée par Israël et les États-Unis, les distributions de la Fondation humanitaire pour Gaza sont très certainement contraires au droit international puisque ce n'est pas une distribution d'aide faite de manière indépendante et impartiale.
François Dubuisson, professeur de droit international à l'université libre de Bruxelles et membre de l'association des Juristes pour le respect du droit international (JURDI)
Israël a lui-même repris la main sur cette distribution d'aide avec la Fondation humanitaire pour Gaza, dans des conditions qui sont décriées par l'ensemble des ONG humanitaires.
Financée par Israël et les États-Unis, elles sont très certainement contraires au droit international puisque ce n'est pas une distribution d'aide faite de manière indépendante et impartiale.
Les conditions dans lesquelles les distributions sont réalisées, avec un nombre très limité de hot spots, potentiellement très éloignés des populations civiles, ne répondent absolument pas, ni aux exigences en termes de droit humanitaire, ni aux besoins effectifs de la population palestinienne. Elle a même pour effet de créer le chaos sur place parmi les populations.
TV5MONDE : Y a-t-il des exemples dans l’histoire d'un blocus rompu en vertu du droit international ?
François Dubuisson : On peut se souvenir du pont aérien à Berlin pendant le blocus imposé par l'Union soviétique en 1948-49.
Mais là, il s’agissait d’un pont aérien organisé par les États. Il avait pu se faire parce que l'Union soviétique n'avait pas imposé de blocus aérien, mais uniquement une fermeture des frontières ou un blocus maritime, contrairement à Gaza.
Les États avaient pu jouer sur cette faille pour acheminer de l'aide, mais là encore de manière assez substantielle. L'idée, c'est toujours que ça puisse être organisé de manière opérationnelle et efficace.
L’initiative du Madleen est plutôt symbolique, mais n'ambitionne pas de remplacer l'aide humanitaire selon les principes qui s'imposent, c'est-à-dire de manière neutre, indépendante et impartiale par des organismes reconnus comme étant compétents.