Interdiction de la BBC en Chine : "Pékin essaie d'imposer un nouvel ordre de l'information"

La Chine continue inexorablement sa route vers son "nouvel ordre mondial de l’information", la BBC World News n’en fera pas partie. L’Autorité de régulation de l’audiovisuel chinois a interdit, ce jeudi, la chaîne de télévision britannique de diffusion sur tout territoire. Londres n’a évidemment pas tardé à dénoncer cette décision tant elle interroge sur l’avenir de la liberté de la presse à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Analyse de Daniel Bastard, directeur du bureau Asie-Pacifique de l’ONG Reporters sans frontières (RSF). 
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BBC interdite en Chine
Une photo du siège de la British Broadcasting Corporation (BBC)  dans le quartier de White City à Londres, le 17 octobre 2007.
©AP Photo/Kirsty Wigglesworth, File
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Une "atteinte inacceptable à la liberté de la presse", fustige le ministre britannique des Affaires étrangères, Dominic Raab. Pour la Chine pourtant, la décision semble irrémédiable :  elle "n’autorise plus la BBC à continuer d’émettre en Chine".
 
La chaîne britannique est en effet accusée d’avoir enfreint le principe selon lequel "les informations doivent être véridiques et justes", portant ainsi "préjudice aux intérêts nationaux" du pays. 
 
C’est en réalité un reportage diffusé par la BBC le 3 février dernier qui a déplu. Y est en effet relaté l’enfer des femmes Ouïghours détenues dans la région occidentale du Xinjiang. Tortures, viols, abus sexuels, stérilisations forcées, le résultat de l’enquête menée par la BBC et basée sur de nombreux témoignages est accablant. 
 
"Les cris résonnaient dans tout le bâtiment", entend-t-on d’un témoin interrogé. 
 Mais cette décision de Pékin intervient surtout dans un contexte particulièrement tendu entre les deux pays dont les relations diplomatiques sont fragilisées par de nombreux désaccords (loi controversée sur la sécurité à Hong Kong, origine du coronavirus, Ouïghours). Une mésentente qui a d’ailleurs provoqué la semaine dernière, le retrait de la licence de la chaîne publique chinoise d'informations CGTN au Royaume-Uni qui la juge trop assujettie au Parti communiste chinois. 
 
Pour le député britannique Tom Tugendhat, la décision d’interdire la BBC n’est pas surprenante mais il s’inquiète : "L'approche de plus en plus agressive du Parti communiste chinois à l'égard des médias étrangers est une question qui mérite un examen beaucoup plus approfondi".
 
Un examen approfondi semble en effet nécessaire, l'interdiction de la BBC en Chine pose la question de l'avenir de la liberté de la presse. Une question dont nous avons discuté avec Daniel Bastard, directeur du bureau Asie-Pacifique de l'ONG Reporters sans frontières (RSF). 


TV5MONDE : En interdisant la diffusion de la BBC World News sur son territoire, la Chine passe-t-elle un nouveau cap dans sa stratégie de censure des médias étrangers ? 
 
Daniel Bastard : Il faut savoir que cette interdiction de la diffusion de la BBC en Chine n’aura que des effets très limités. Les foyers chinois n’ont pas accès à la chaîne qui n’est diffusée que dans les hôtels internationaux.  
DANIEL BASTARD RSF
Daniel Bastard est directeur du bureau Asie-Pacifique de l'ONG Reporters sans frontières (RSF). 

 
En revanche, cette décision rentre dans un contexte plus global de durcissement des relations entre les deux pays. Du temps de David Cameron, la politique britannique était en faveur de la Chine. Aujourd’hui on sent une posture beaucoup plus proche de celle des Etats-Unis, plus intransigeante avec la Chine qui, en voulant imposer son ordre mondial, essaie d’imposer une sorte de "modèle" de l’information qui n’est autre que de la propagande évidemment. 
 
Les médias n’ont pas à se retrouver au milieu de querelle gouvernementales mais il faut aussi voir ce qu’est le journalisme en Chine : il n’existe pas. Il y a beaucoup d’organes de presse en Chine, mais que ce soit dans les médias privés ou publics, il n’y a qu’un rédacteur en chef, c’est le directeur de propagande du Parti. 
 
  • Voir aussi : Chine : le pouvoir de Xi Jinping ne tolère aucune opposition
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TV5MONDE : Est-ce que la Chine est inquiète du poids porté par les médias occidentaux, au sujet des Ouïghours notamment ? 
 
Daniel Bastard : Il est clair que la question des Ouïghours doit être posée et reposée mais je vais être un peu cynique, le gouvernement chinois n’en a un peu rien à faire des déclarations des Occidentaux sur le sujet. Il n’aime évidemment pas la mauvaise publicité mais de telles déclarations ne sont pas dramatiques d’autant que l’opinion publique chinoise n’est pas du tout au courant des camps d’internement, dont on dit d’ailleurs que ce sont des camps de formation. 
 
De plus, si les médias occidentaux commencent à parler des Ouïghours, les chefs de gouvernement, eux, ne prennent pas la parole sur le sujet, donc le gouvernement chinois n’est pas inquiété.  
 
La Chine s’apprête à devenir la première puissance mondiale. Doit-on craindre pour l’avenir de la liberté de la presse ?
 
Daniel Bastard : Chaque pays à sa propre souveraineté et la Chine a le droit d’interdire des journaux étrangers. En revanche, ce qui est inquiétant c’est la volonté de la Chine d’imposer son propre ordre mondial de l’information qui repose sur une information directement imposée par le pouvoir exécutif et a fortiori par le Parti communiste. 
 
Et c’est justement ce contre modèle de l’information qu’il convient de combattre à l’intérieur de la Chine comme à l’extérieur.
 
 
TV5MONDE : Ce contre-modèle de l’information dont vous parlez, risque-t-il de s’étendre à d’autres pays ?
 
Daniel Bastard : La Chine sert déjà de modèle à tous les dictateurs du monde qui veulent interdire des médias. Nous sortons en plus d’une phase où l’on avait un contre-modèle chinois de l’information qui allait avec un contre-modèle trumpiste de l’information. Nous étions dans une sorte de jungle informationnelle où il était difficile d’y voir clair. 
 
La Chine sert non seulement de modèle mais en plus, elle exporte ce modèle de l’information. En finançant une chaîne du ministère de l’Intérieur au Cambodge, des chaines d’information au Laos ou encore en invitant des journalistes étrangers, notamment africains, à être formé au journalisme chinois dans les Université de Pékin. 
 TV5MONDE : et au niveau européen ?
 
Daniel Bastard : La Chine s’évertue à diviser les Européens sur la question de la liberté de la presse. Elle fait notamment de l’œil à la Hongrie et aux pays du Visegrád [Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie,ndlr] mais aussi à la Grèce. La Chine essaie d’investir dans des pays, de passer des accords bilatéraux avec certains pays européens pour saper l’unité européenne envers elle. Ça fonctionne plus ou moins bien mais il y a vraiment une volonté de la part de la Chine de miner la cohésion et l’unité européennes dans sa politique étrangère.
 
 
TV5MONDE : En juillet 2018, RSF a justement publié un rapport,  "Le nouvel ordre mondial de l’information selon la Chine". Un avenir plus serein est-il envisageable entre les médias occidentaux et le gouvernement chinois ? 
 
Daniel Bastard : Nous essayons de former une commission de la société civile mondiale et chinoise pour essayer de voir dans quelle mesure nous pourrions promouvoir une liberté de la presse à partir des valeurs chinoises. 
 
Les Chinois disent toujours que les valeurs universelles de la liberté de la presse sont en fait des valeurs occidentales. Donc, l’idée est de mettre en valeur le fait que certaines valeurs chinoises sont aussi tout à fait en faveur de la liberté de la presse. 
 
  • Voir aussi : Diaspora : "L'image de la Chine est toujours très négative en France"
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