Internet : l' “Open gove“ ou la “démocratie ouverte“

Le 22 février 2014 s'est déroulé la journée internationale des données ouvertes. Ce concept, entièrement lié à celui de démocratie ouverte n'est pas bien connu en France. Il est pourtant très développé au Québec, et a été fortement mis en avant en Tunisie à la suite de la révolution de 2011. Où en est cette nouvelle gouvernance transparente, citoyenne et participative, basée sur la libération des données ?
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Internet : l' “Open gove“ ou la  “démocratie ouverte“
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Transparence, participation, collaboration : tels sont les maîtres mots de la doctrine de l'OpenGov. Cette nouvelle approche de la vie démocratique, que l'on peut traduire par "gouvernement ouvert" ou "démocratie ouverte" a été insufflée depuis 2009 par quelques grandes nations occidentales, Etats-Unis et Royaume-Uni en tête. L'OpenGov commence à trouver ses marques un peu partout dans le monde : les promoteurs de ce nouveau mode de gouvernance affirment que son développement modifie radicalement la vie citoyenne, change durablement les rapports entre administrés et élus, régénère le fonctionnement démocratique, diminue la corruption et offre un territoire sans pareil pour la collaboration du plus grand nombre dans la gouvernance des Etats. Petite immersion dans la possible société du futur, basée sur les principes du logiciel libre et des données ouvertes…

Un gouvernement basé sur la collaboration de tous…

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Tweet du Gouvernement ouvert du Québec pour la journée internationale des données ouvertes, ce 22 février.
Qui n'a pas rêvé de pouvoir connaître l'utilisation exacte de ses impôts : investissements et dépenses précis de l'Etat, rémunération des élus, statistiques sur la santé publique, de l'éducation, etc ? Une population qui pourrait proposer des solutions à des problèmes, à partir de données publiques fiables et contrôlées ne pourrait-elle pas reprendre confiance dans la vie politique, à l'inverse de ce que renvoient les sondages d'opinion actuels ? Le principe de gouvernement ouvert propose cette nouvelle approche démocratique, basée sur la transparence via Internet, et organisée autour de "clubs citoyens" en ligne, sorte de forces de propositions politiques qui s'appuient sur la mise à disposition par l'Etat de données publiques librement utilisables et dans des formats "ouverts". Le Québec s'est engagé fortement dans cette approche de transparence publique, qui mise sur une amélioration continue des services de l'Etat (voir vidéo en encadré : "le gouvernement ouvert") grâce, par exemple, à des tableaux de bord que l'on peut trouver sur le site www.donnees.gouv.qc.ca : "le gouvernement ouvert du Québec permet à la population de suivre l’évolution des échéanciers et des budgets alloués à certains projets. D'autres tableaux de bord suivront, notamment sur les suivis de grands projets gouvernementaux".   L'illustration suivante permet de mieux envisager le fonctionnement optimal (et souhaité par ses promoteurs) d'un gouvernement ouvert :
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Oxygène démocratique et… risques de récupération

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Carte des pays membres de l'Open Government Partnership : la France refuse de faire partie de l'organisation (cliquer pour agrandir)
L'Open Government Partnership (Partenariat des Gouvernements Ouverts, OGP, voir en encadré), composé de plus de 60 pays et créé sous l'impulsion de grandes nations comme le Brésil, la Norvège, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, s'est réuni les 31 octobre et 1er novembre derniers à Londres. La France, qui refuse de participer à l'OGP y était présente, mais seulement en tant qu'observateur. Contacté par TV5MONDE, le cabinet de la ministre de l'Innovation et de l'économie numérique, Fleur Pellerin, explique que la France "a pris et annoncé la décision de rejoindre l'OGP, selon un calendrier défini. Nous avons également participé au Sommet de Londres en novembre dernier, et entretenons des relations de travail très étroites avec les Britanniques et les Américains." Sur le fait qu'il n'y a pas de gouvernement ouvert en France, le cabinet de Fleur Pellerin estime qu'"il y a bien une démarche de gouvernement ouvert en France, au contraire. Le "gouvernement ouvert" c'est en effet un gouvernement plus transparent et plus ouvert à la contribution et à la coproduction. Il s'agit d'un programme profondément enraciné dans le projet de ce gouvernement au service de la transparence et de l'innovation." Pour autant, le mouvement Opendata est actif dans l'Hexagone, avec par exemple la constitution d'Open Data France, association réunissant des collectivités locales comme la Ville de Paris, la Communauté urbaine de Toulouse, de Bordeaux, de Conseils généraux… La nouvelle version d'Etalab, le service du Premier ministre français créé en 2011, et chargé de créer un "portail internet unique interministériel des données publiques" françaises, data.gouv.fr, est considéré comme "une démarche assez pionnière" par Pierre Chrzanowski, l'un des administrateurs d'OKF France (Open Knowledge Foundation France, promotion du savoir libre) et membre du groupe d’experts Open Government Data de la Banque Mondiale. Le spécialiste des données ouvertes estime que "les personnes dans les administrations se sont emparées d'Etalab, mais il est aussi possible de contribuer, d'apporter des jeux de données qui ne sont pas issus des administrations, et cela les Britanniques n'ont pas encore su le faire". Mais ce qui semble assez absent en France, c'est "une volonté des dirigeants de parler du concept. On n'a jamais eu un discours de Jean-Marc Ayrault ou François Hollande qui parleraient de gouvernance ouverte, alors que cela a été évoqué par Etalab au G8. C'est cela qui manque", selon Pierre Chrzanowski.

“Lors du sommet de Londres le Royaume-Uni s’est présenté en leader des gouvernements ouverts“

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La Tunisie vient de rejoindre le Partenariat des Gouvernements Ouverts (OGP)
Si la transparence des gouvernants et la collaboration avec les citoyens sont des points centraux pour l'OGP, ils sont avant tout inscrits dans les agendas des pays membres de l'organisation, et pas encore une réalité tangible. Un pays semble cependant en pointe sur la transparence : c'est le Royaume-Uni, selon OKF France (présente au sommet de Londres) qui écrit sur son site : "Lors du sommet de Londres le Royaume-Uni s’est présenté en leader des gouvernements ouverts. David Cameron a annoncé la création d’un registre en accès libre des responsables bénéficiaires des entreprises (company beneficial ownership) ainsi que l’ouverture des données sur les comptes annuels des sociétés (accounts data). L’accès à ces informations était une demande forte des acteurs de la société civile mais également du secteur privé. Le pays voit dans les principes de gouvernance ouverte un moyen efficace pour combattre l’évasion fiscale, la corruption ou la mauvaise gestion du foncier. Il va ainsi apporter son aide à la Tanzanie pour la mise en place d’un cadastre numérique. Le Royaume-Uni n’est cependant pas exempt de critiques sur sa vision de l’OGP. Il est ainsi régulièrement reproché à David Cameron d’utiliser la vision de la gouvernance ouverte pour justifier sa politique d’austérité. Son programme de surveillance électronique des citoyens est également très critiqué." La récupération politique, grâce au principe de Gouvernement Ouvert, est un risque que Pierre Chrzanowski admet : "Cameron a mis en place le concept de "Big Society" qui promeut une plus grande intervention de la part de la société civile et aussi plus de délégation dans les services publics. Donc, certains services publics pourraient être de la responsabilité d'entreprises ou d'acteurs de la société civile. C'est une conception britannique, celle des conservateurs, qui permet de justifier des coupes budgétaires. La question qui a été posée est donc la suivante : "est-ce que l'OpenGovernment ne permet pas à Cameron de se dégager d'une part de ses responsabilités et de dire 'et bien voilà, on est tous responsables…' ?" On peut donc se demander, qui au final est responsable des services publics, et qui en est le garant dans cette configuration. C'est un point important et une réflexion à effectuer au sujet de cette approche de l'OpenGov."

Un mouvement inéluctable ?

La Tunisie est une pionnière de l'OpenGov qu'elle a mis en place en 2011, au lendemain des élections de l'Assemblée nationale constituante : si la révolution avait pour objectif de "dégager" Ben Ali, elle avait aussi celui de changer la pratique du pouvoir. Dans ce contexte, le principe de gouvernement ouvert était tout indiqué. La Tunisie vient de rejoindre l'OGP, et l'OpenGovTN vient de remettre ses "Awards 2013" (récompenses) aux associations, médias, municipalités, personnalités publiques, personnalités de la société civile et organismes publics les plus méritants en termes de transparence et de participation citoyenne. Face au désir de transparence et de participation démocratique des populations d'Etats autoritaires, le système de gouvernement ouvert prend tout son sens. Les pays en voie de développement commencent d'ailleurs à se lancer dans ce nouveau paradigme à l'instar de la Côte d'Ivoire qui va participer à l'Open Government Partnership cette année, ou encore le Kenya, déjà membre de l'OGP et en pointe dans ce domaine. Il semble que le mouvement d'ouverture des données publiques soit inéluctable, ce qui, en termes de transparence des Etats est une avancée démocratique indéniable, comme tous les acteurs des mouvements OpenGov le soulignent. Mais de grands pays comme la France restent à la traîne (16e position), avec des données publiques fondamentales qui restent encore indisponibles.
le détail des dépenses publiques reste hors de portée des citoyens. - See more at: http://fr.okfn.org/2013/10/28/opendataindex2013/#sthash.izWvfIPR.dpuf
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La démocratie ouverte est en marche, avec encore beaucoup d'étapes à franchir pour parvenir au modèle collaboratif, participatif qui doit la caractériser. Mais si les volontés politiques et citoyennes sont au rendez-vous, nul doute que cette nouvelle forme de gouvernance verra le jour, avec ses avantages…et certainement, ses défauts.

L'OGP (Partenariat des Gouvernements Ouverts)

Créé en 2011, l’Open Government Partnership (OGP), ou Partenariat pour des Gouvernements Ouverts, est une initiative multilatérale dont le but est d’améliorer la gouvernance des pays membres grâce à une plus grande transparence de l’État, une plus forte participation des citoyens et une collaboration plus efficace entre les différents acteurs de la société. Huit pays, dont le Brésil, la Norvège, le Royaume-Uni et les États-Unis, sont à l’origine de cette organisation internationale. 58 pays sont aujourd’hui engagés dans le partenariat. La France, pour l’instant, refuse de rejoindre l’initiative. Outil de dialogue multi-acteurs, composé d’ONG et de gouvernements, l’OGP vise à obtenir des engagements concrets des pays en matière de gouvernance ouverte et à permettre une évaluation indépendante de leur mise en œuvre. L’initiative réside dans la publication d’un plan d’action élaboré en collaboration avec les acteurs de la société civile. Une démarche de gouvernement ouvert suppose une utilisation large et intelligente des outils numériques. L’ouverture des données publiques (Open Data) en est l'une des composantes.